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Pourquoi la directive Bolkestein fait peur

L'actualité | L'événement | publié le : 22.03.2005 | Guillaume le nagard avecFrançois Gault (Pologne), Marion Leo (Allemagne)

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Pourquoi la directive Bolkestein fait peur

Crédit photo Guillaume le nagard avecFrançois Gault (Pologne), Marion Leo (Allemagne)

Manifestations européennes et protestations des gouvernements allemand, français, suédois : la proposition de directive Bolkestein, qui ouvre le marché des services à la libre concurrence entre tous les Européens, inquiète les pays qui ont les filets sociaux les plus solides.

Haro sur Bolkestein ! Le front du refus est aussi large qu'inhabituel. La Confédération européenne des syndicats (CES) pensait rassembler au moins 50 000 manifestants, essentiellement belges, français et allemands, à Bruxelles, le 19 mars. Et, la semaine précédente, le président Chirac et une bonne partie du personnel politique français multipliaient les assauts contre la proposition de directive sur la libéralisation des services en Europe, de l'ancien commissaire néerlandais Fritz Bolkestein.

Les dispositions de ce texte préfigurent-elles une forme d'horreur économique à l'européenne ? La levée de bouclier tient, en partie, au fait que la directive fait parler d'elle alors que la France doit se prononcer sur l'adoption de la Constitution européenne.

Les partisans du «non» expliquent que les deux textes sont coulés dans le même moule ; ceux du «oui» stigmatisent la directive pour mieux faire valoir que la Constitution porte d'autres valeurs. « Cette proposition est un document un peu insuffisant juridiquement, et mal rédigé, juge l'avocat en droit social François Vergne. Mais certains commentaires laissent à penser qu'il n'a pas été lu dans le détail. »

Le texte vise à étendre le marché unique aux activités de services et, à ce titre, poursuit les objectifs du traité de Rome de 1957, alors que la liberté de circulation des capitaux et des marchandises a été acquise, parfois en justice. Pour y parvenir, il introduit (article 16) le principe du pays d'origine (PPO) : c'est le droit du pays d'origine du prestataire qui doit s'appliquer, ce qui affranchit ce dernier des contraintes imposées par le pays d'accueil (droit des contrats, par exemple).

Législation locale pour certaines normes

Est-ce à dire qu'un salarié d'une société basée en Pologne pourra exercer en France aux conditions sociales de son pays ? Non, car, sur ce point, le texte renvoie à une directive de 1996 (96/71/CE) sur les détachements de salariés. Celle-ci exige que la législation locale s'applique pour certaines « normes sociales fondamentales » : le temps de travail et les rémunérations minimales seront bien ceux du pays d'accueil. La crainte d'un dumping social serait donc infondée.

Des contrôles actuellement inefficaces

Néanmoins, la directive Bolkestein propose de supprimer la notification obligatoire de détachement de salariés aux autorités du pays d'accueil, à laquelle la directive de 1996 soumettait la société du pays d'origine. « S'il n'y a pas de contrôle possible, c'est la porte ouverte à toutes les dérives et au non-respect des normes sociales minimales de l'Etat d'accueil, indique Jean-Philippe Lhernoud, maître de conférence à l'université d'Orléans et auteur de Droit et politiques sociales communautaires (éd. Liaisons, 2003). Mais le problème actuel est que, de toute façon, les contrôles fonctionnent déjà très mal et sont inefficaces, sans compter la mauvaise volonté de certaines administrations nationales (Europe de l'Est) qui rechignent à coopérer. » La directive Bolkestein n'arrangerait donc rien ! D'autre part, le texte n'est pas limpide sur la question des droits ou des exigences inscrits dans les conventions collectives, améliorant les minima légaux.

Une logique d'élargissement

Plus largement, c'est la philosophie du texte qui peut poser problème. Car il consacre l'abandon d'une logique d'harmonisation au profit de celle de l'élargissement. « Le malaise vient du fait que l'effort continue de porter sur la création d'un marché intérieur, et c'était bien l'objet du traité de Rome, estime Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général de l'Université européenne du travail. Mais, dans le même temps, l'effort sur les conditions sociales de ce grand marché paraît quasi stoppé. »

Difficultés à 25

Les anciens Européens qui ont fait le choix du «filet social» se retrouvent en difficulté à 25. Jusqu'ici jaloux de leur modèle et déjà méfiants sur les questions d'harmonisation, ils sont confrontés à une ouverture du marché des services aux pays les moins-disants socialement. Délicat, tout de même, de dénoncer le dumping social tout en exigeant de limiter le budget communautaire à 1 % du PIB européen, dont la moitié seulement est consacrée à l'intégration des nouveaux entrants les plus pauvres.

La directive vue par trois pays européens

Pologne. Entre Varsovie et la Commission européenne, c'est l'entente cordiale. Pendant que l'«ancienne Europe» s'inquiétait de la directive Bolkestein, Jose-Manuel Barroso participait, le 18 mars, à Varsovie, à un Forum sur «La stratégie de Lisbonne» et le principe du pays d'origine, avec 400 représentants de PME polonaises.

Danuta Hubner, la commissaire polonaise aux aides régionales, annonçait déjà, il y a un mois, que « les entreprises de l'Ouest doivent délocaliser dans les pays de l'Union à l'Est, pour éviter de délocaliser plus loin, en Chine ou aux Indes ! ». Car, en Pologne, on commence en effet à redouter les délocalisations extra-européennes. Les Polonais, en retard par rapport aux pays d'Europe occidentale (salaires, temps de travail, protection sociale) sont «pour» la directive. Ils savent aussi que, si leur salaire moyen atteint 600 euros, sur les chantiers allemands, les Lettons sont nombreux à travailler, illégalement, pour des salaires de 200 euros par mois.   

Allemagne. Comme en France, c'est un concert de protestations. La directive « ne peut en aucun cas être adoptée sous sa forme actuelle », a averti le chancelier allemand Gerhard Schröder. Outre-Rhin, l'inquiétude est d'autant plus grande que le marché allemand est l'un des plus faciles d'accès pour les Polonais et aussi l'un des plus attrayants. Un employé moyen coûte, outre-Rhin, en moyenne, 3 710 euros, en Pologne, 783 euros, et en Lituanie, 487 euros.

Partisan de taille de la directive : Wolfgang Clement, ministre allemand de l'Economie, qui estime, en effet, que la libéralisation des services pourrait conduire à la création de 70 000 emplois, rien qu'en Allemagne. Il est bien seul.

Suède. Le gouvernement, les syndicats et des milliers de Suédois ont manifesté, le 18 mars, à Stockholm, pour la défense des accords collectifs, qui définissent la plus grande partie des conditions de travail et de rémunération dans le pays. Comme les Français et les Allemands, les Suédois font partie des inquiets de la directive Bolkestein. La proximité de la Lettonie, aux salaires les plus faibles d'Europe, l'affaire récente de l'entreprise lettone du bâtiment qui faisait travailler ses salariés aux conditions du pays d'origine sur un chantier suédois, alors que les Scandinaves voulaient voir prise en compte leur convention collective du bâtiment (lire E & C n° 754), ont cristallisé les craintes sur la persistance du modèle suédois dans l'Europe élargie.

Auteur

  • Guillaume le nagard avecFrançois Gault (Pologne), Marion Leo (Allemagne)