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Les Pratiques

L'usine Renault de Flins cale sur la sécurité

Les Pratiques | Expériences & Outils | publié le : 14.06.2005 | Jean-François Rio

Plus d'un an après la mort de Jean-Philippe Gabriel, ouvrier à l'usine Renault de Flins, l'enquête sur les circonstances du décès se poursuit. Un rapport commandé par le CHSCT pointe certains dysfonctionnements.

C'était le 29 mars 2004, dans l'usine de Flins (Yvelines) de Renault, secteur emboutissage, ligne de fabrication 42. Vers 8 h 15, ce matin-là, Jean-Philippe Gabriel, qui exerçait, seul, son activité de pontier, est retrouvé mort. Ecrasé par un outil de presse de plusieurs tonnes qui a basculé sur lui. Ouvrier à Flins depuis 1997, Jean-Philippe Gabriel avait 31 ans. Son décès, qui a traumatisé les 6 000 salariés (dont plus de 1 000 intérimaires) de cet établissement qui fabrique des Twingo et des Clio, n'a toujours pas été officiellement expliqué. Confiée à la police judiciaire de Versailles, l'enquête se poursuit. « Il est nécessaire d'attendre ses résultats. Toute communication sur cet accident serait aujourd'hui déplacée », fait savoir le constructeur automobile.

Un environnement à risques

En mars dernier, le cabinet d'expertise en conditions de travail Technologia a, à la demande du CHSCT de Renault Flins, rendu son rapport définitif. Sans prétendre détenir la vérité sur les circonstances d'un drame qui s'est déroulé sans témoin, Technologia pointe plusieurs dysfonctionnements. Parmi eux : la dangereuse accoutumance à une activité exercée dans un environnement à risques ; l'encombrement des espaces de travail, réduisant la visibilité des opérateurs et perturbant la circulation autour des machines ; l'organisation même du travail dans l'usine. Les experts brocardent, ainsi, le morcellement des tâches et l'accroissement de la charge mentale. « Les interruptions de tâches et les sollicitations auditives sont des facteurs de déconcentration pour l'opérateur en activité, qui se manifestent soit par un arrêt de l'activité, soit par des bruits détournant son attention », écrit Technologia.

La polyvalence des salariés est aussi montrée du doigt. En clair : en greffant le travail de pontier à d'autres tâches, la direction de Renault Flins a, involontairement, et, malgré quelques sessions de formation, banalisé ce métier, et, donc, en a minimisé les risques. « Au quotiden, le pontier - mais également l'ensemble des salariés - de ce secteur travaillait, avant l'accident, dans des conditions où il prenait des risques », tranche Technologia.

La loi du silence

Sur tous ces points, la direction de Renault observe la loi du silence. Tout juste fait-elle remarquer que « plusieurs séances de soutien psychologique ont été organisées pour les collègues et le personnel d'encadrement proches de la victime ». Au passage, elle rappelle qu'elle mène, depuis de nombreuses années, une politique active en matière de santé, sécurité et conditions de travail. « Renault SA a divisé par trois le nombre d'accidents du travail depuis 1990. La gravité de ceux-ci a été réduite de moitié », précise-t-elle. Des chiffres qui sont, aujourd'hui, contestés par les organisations syndicales.

Plusieurs incidents

La CGT dénonce une politique de contestation systématique du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie. Selon ce syndicat, le nombre de maladies professionnelles déclarées a, au contraire, été multiplié par 10 entre 1992 et 2004, dont une explosion de cas de troubles musculo-squelettiques. Rapporté à l'effectif global (environ 44 000 salariés chez Renault SA), le taux de décès est aussi en progression : 0,37 % l'an dernier, contre 0,23 % en 1990.

« A Flins, observe Ali Kaya, membre du CHSCT, le taux de fréquence des accidents du travail était de 6,07 en 2003, contre 3,04 en 2002. Dans le seul secteur des presses, qui abrite 600 salariés, il y a eu, en 2003, 121 passages à l'infirmerie. » Ali Kaya, qui connaissait très bien Jean-Philippe Gabriel, ne décolère pas : « Après sa mort, la direction n'a pris aucune mesure significative pour résoudre les problèmes. J'en veux pour preuve tous les incidents qui sont intervenus après cet événement tragique, dont certains auraient pu avoir des conséquences très graves pour la santé et la sécurité des opérateurs. » Et Ali Kaya de citer le pont de la ligne 51, qui s'est mis en mouvement tout seul en juin 2004. Quelques jours plus tard, c'est une bobine de tôle de 18 tonnes qui a chuté. Par chance, un salarié l'a évitée, de peu. En juillet, c'est un outil (sorte de moule qui pèse entre 4 et 6 tonnes) qui a glissé. En décembre, une élingue s'est brisée dans un atelier. Le même mois, sur la ligne 31, des boulons, dans un état d'usure avancé, sont tombés d'une hauteur d'une dizaine de mètres.

Recours massif à l'intérim

En outre, le recours massif à l'intérim suscite l'inquiétude parmi les représentants du personnel. « L'an dernier, explique l'un d'entre eux, on a demandé à un intérimaire, qui avait seulement deux mois d'expérience, de former au travail de pontier un nouvel embauché. Or, il faut presque deux ans de pratique pour se sentir vraiment à l'aise dans ce travail. »

« Nous avons vraiment le sentiment que la direction agit comme s'il ne s'était rien passé, soulève Ali Kaya. Mais, reconnaissons-le : l'usine part de tellement loin, en termes de sécurité, qu'il faudra beaucoup d'énergie pour améliorer significativement les conditions de travail à Flins. »

Auteur

  • Jean-François Rio