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Le travail est de plus en plusun lieu de réalisation de soi

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 13.09.2005 | Pauline Rabilloux

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Le travail est de plus en plusun lieu de réalisation de soi

Crédit photo Pauline Rabilloux

L'importance que nous accordons au travail tend à diminuer. Cela ne signifie pas une désaffection de la valeur travail mais plutôt le fait que le travail devient pour les jeunes générations le champ de réalisation de valeurs d'épanouissement personnel.

E & C : Depuis la fin des années 1970, vous avez participé à l'étude sur «les valeurs des Européens», menée conjointement dans plusieurs pays d'Europe. Pouvez-vous résumer le projet et son contexte ?

Jean-François Tchernia : Il était de bon ton, dans les années 1970, de déclarer que les valeurs étaient en pleine révolution sans que l'on sache très bien de quoi il s'agissait. Pour tenter de saisir au plus près ce qui, effectivement, avait changé et continue de changer dans les mentalités, un groupe de sociologues a entrepris de lancer une enquête sur les valeurs des Européens, destinée à se répéter tous les dix ans environ. La première édition date de 1981-1982. Nous finissons, aujourd'hui, de tirer les conséquences de la troisième, qui s'est déroulée en 1999-2000, dans 33 pays européens.

E & C : Quels sont les résultats marquants de cette dernière vague d'entretiens ?

J.-F. T. : En 1990, ce qui nous avait frappé s'agissant des valeurs au travail, c'était l'importance du thème du développement personnel par rapport aux éléments matériels tels que le salaire, les vacances, le temps de travail. On pouvait s'attendre à l'apparition d'un management axé sur la réalisation de la personne. Dix ans plus tard, les résultats semblent se complexifier. Tout ce qui touche aux attentes en matière de développement personnel et à la prise de responsabilité reste important, mais les aspirations matérielles remontent et, surtout, les aspirations relatives aux relations humaines au travail semblent devenues essentielles.

Le travail n'est plus forcément une priorité, notamment pour les générations les plus jeunes dont l'allégeance aux valeurs de l'emploi a été douchée par le chômage. Le travail comme valeur en soi a perdu son aura mais reste un domaine qui peut favoriser de nouvelles valeurs telles que l'expression de soi, l'autonomie, la réalisation personnelle, la créativité. A ce titre, il peut, et c'est le cas en France, être perçu comme un des domaines de l'épanouissement personnel.

En vingt ans, l'éthique paternaliste traditionnelle dans laquelle le travail était une valeur en soi, prioritaire par rapport aux autres activités de la personne, a volé en éclats. De manière générale, on peut d'ailleurs dire que plus un pays est développé et plus les valeurs post-matérialistes prédominent, notamment pour les jeunes générations. Les attentes quant aux conditions matérielles d'existence sont largement satisfaites et si le besoin demeure de gagner sa vie, les moins de 40 ans ne travaillent plus seulement parce qu'il le faut, mais aussi parce qu'il est important pour eux de se réaliser dans un contexte professionnel et humain intéressant.

E & C : Quelles sont les conséquences de ces constats sur le management et les ressources humaines ?

J.-F. T. : Corrélativement à cette complexification des motivations, il semble que le management des hommes doive prendre en compte cette aspiration des individus à rester les maîtres du jeu professionnel en personnalisant les parcours et en offrant à chacun de vraies opportunités de carrière. Alors que la hiérarchie était contestée tous azimuts dans les années 1980, aujourd'hui, il semble que le rapport hiérarchique soit devenu moins symbolique, plus fonctionnel. On ne joue plus son identité dans sa position par rapport aux chefs et aux subordonnés. On est moins que précédemment tenté de remettre en cause les places sociales.

En revanche, chacun entend que lui soit bel et bien reconnue une place en tant que personne et dévolue une véritable attention humaine. A cet égard, l'un des enjeux du management des ressources humaines des années à venir, et pas seulement dans les grandes entreprises, me semble la capacité à offrir aux salariés un management des compétences prenant pleinement en compte les aspirations individuelles, entre autres par la formation et l'enrichissement des tâches.

Loin de moi l'idée de demander aux entreprises d'investir dans des dépenses purement altruistes. Mais mutualiser les investissements formation me paraît l'un des plus sûrs moyens de faire coïncider la demande globale de professionnalisation - notamment en langues et en informatique -, et la demande individuelle d'un enrichissement personnel. Après tout, si le salarié que j'ai formé me quitte, un autre salarié formé ailleurs est appelé à prendre sa place.

La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Ulrich Beck, Flammarion, 2001.

L'insécurité sociale, Robert Castel, La République des idées, Seuil, 2003.

parcours

Professeur associé à l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble et directeur de sa propre société de conseil, Jean-François Tchernia a réalisé, pour la Commission européenne, les deux premières enquêtes Eurobaromètres sur les jeunes européens (1982 et 1987).

Il a notamment publié La morale des Français (Sciences humaines n° 46, 1995) ; ainsi que Sens du travail et valeurs économiques (en collaboration avec Hélène Riffault), dans Les valeurs des Français. Evolutions de 1981 à 1999, sous la direction de Pierre Bréchon (Armand Colin 2000).

Auteur

  • Pauline Rabilloux