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Les Pratiques

Les collectivités veulent se montrer plus exigeantes

Les Pratiques | Point fort | publié le : 18.10.2005 | Marie-Pierre Vega

L'annonce de 1 240 suppressions d'emploi en France par Hewlett-Packard, qui a indirectement perçu de l'argent public, relance le débat sur le contrôle et l'efficacité des dispositifs publics d'aides aux entreprises. Les collectivités commencent à exiger davantage d'engagements de la part des sociétés qui les sollicitent.

Le 6 octobre dernier, le Premier ministre Dominique de Villepin a demandé au Conseil d'orientation pour l'emploi d'établir « un diagnostic sur les contreparties des aides publiques en termes d'emploi et d'investissement ». Fin septembre, il s'était prononcé pour « un code de bonne conduite » précisant les droits et devoirs des pouvoirs publics et des entreprises qui bénéficient d'aides publiques. Depuis quelques semaines, l'Etat affiche sa volonté de mieux encadrer ces pratiques. Le dossier Hewlett-Packard a fait rejaillir la polémique. Des aides accordées par le conseil général d'Isère aux communes de l'Isle-d'Abeau et d'Eybens pour des aménagements de voirie et des acquisitions de foncier ont permis au groupe informatique d'agrandir un site et de construire un bâtiment, en 1998 et 1999. Une démarche couramment menée par les collectivités.

« Je suis vice-président d'une communauté de communes, commente Jean Grellier, par ailleurs vice-président chargé des questions économiques du conseil régional de Poitou-Charentes. Il me semble normal que villes et communautés d'agglomération prennent en charge les opérations d'aménagement des environnements des zones qui accueillent les entreprises. C'est bien le rôle d'une collectivité que de payer une route d'accès ou un rond-point ! »

« A mon avis, Hewlett-Packard n'est pas à ranger du côté des prédateurs, d'ailleurs peu nombreux au final », estime Jean-Louis Levet, auteur d'un rapport, en 2003, sur le système français des aides publiques aux entreprises, pour le Commissariat général au Plan. « Il est rare de tomber sur un chasseur de primes, confirme Philippe Musset, délégué général du Comité d'expansion économique du Maine-et-Loire. Une entreprise qui cherche à s'implanter s'intéresse d'abord à des éléments comme le bassin de main-d'oeuvre, l'offre de formation, l'environnement socio-économique ou le degré de désenclavement, pas aux aides susceptibles de lui être accordées. »

Le dossier Hewlett-Packard a fait ressurgir les critiques à l'encontre des contrôles, que salariés et organisations syndicales jugent insuffisants. « A tort, estime Jean-Louis Levet. Les procédures d'attribution et de versement des aides sont très strictes et permettent de vérifier que l'entreprise tient ses engagements au fur et à mesure que l'aide est versée. » Laurent Gouzènes, directeur du plan et des programmes d'études de STMicroelectronics, confirme, à propos des projets Crolles 2 et Rousset 2 : « Nous sommes extrêmement contrôlés et nous sollicitons nous-mêmes les contrôles qui conditionnent les versements successifs de l'aide quand celle-ci est découpée en tranches. »

Aucun système d'évaluation

Pour Jean-Louis Levet, le problème réside plutôt dans la gouvernance du système et sa relation aux objectifs industriels du pays. De fait, il n'existe toujours pas de recensement public et exhaustif des aides allouées par les différents ministères, les agences publiques comme l'Anvar et les collectivités territoriales et locales. Par ailleurs, les dispositifs se sont multipliés au fil des années. Par exemple, on dénombre 64 aides à la création d'entreprise. « Et personne ne connaît leur réelle efficacité puisqu'aucun système d'évaluation n'est prévu, dénonce l'économiste. Il faut s'interroger sur la politique industrielle poursuivie, et mettre le système au service des objectifs prioritaires de cette politique. Les régions, qui sont en train d'élaborer leurs schémas de développement économique régional, commencent à aller dans ce sens. »

Le conseil régional de Poitou-Charentes a, ainsi, entrepris un travail de recensement des aides disponibles sur son territoire. « Nous essayons de mobiliser toutes les collectivités locales et territoriales pour qu'à terme, elles coordonnent leurs dispositifs et les mettent au service d'objectifs communs, dans le cadre du schéma de développement économique régional », explique Jean Grellier. Un objectif difficile à atteindre alors que l'augmentation du chômage a généré une forte concurrence économique entre les territoires.

Rationaliser le système

Le conseil régional de Rhône-Alpes, qui a mis en place une commission de contrôle de ses propres aides à l'emploi, directes et indirectes, s'est engagé, quant à lui, à assortir la création de tout nouveau dispositif d'une procédure permettant d'évaluer son impact. Il cherche aussi à «rationaliser» son système. « Une centaine d'aides qui visent à favoriser la création d'emploi, c'est un peu trop », reconnaît Christiane Puthod, conseillère déléguée à l'emploi et présidente de la commission de contrôle.

Nouer des relations

Dans l'ensemble, les collectivités tentent aussi d'abandonner le rôle de simple guichet pour nouer des relations contractuelles avec les entreprises qu'elles aident. Les conditions d'octroi sont désormais plus contraignantes. En Poitou-Charentes, depuis juillet 2004, toute société qui prétend bénéficier d'une aide de la région signe une «charte d'engagements réciproques». Elle s'engage, au moins pour la durée du projet qui bénéficie de l'aide, à « respecter le plan de formation prévu », à « maintenir le nombre d'emplois » et à « ne pas délocaliser », sous peine de devoir rembourser tout ou partie de l'aide. La charte est aussi assortie d'exigences environnementales et d'une clause de transparence qui prévoit l'information systématique des représentants du personnel en cas de demande ou d'obtention d'une aide. « A partir du moment où les syndicats savent que nous accompagnons l'entreprise, ils peuvent nous alerter en cas de difficulté. Cela permet d'ouvrir le dialogue au plus vite et d'éviter des décisions dramatiques », souligne Jean Grellier.

Une disposition qui ferait frémir Laurent Gouzènes, de STMicroelectronics, s'il devait s'y soumettre : « Nous n'avons pas envie que nos concurrents sachent exactement de quoi nous avons bénéficié. Et les syndicats sont souvent assez irresponsables pour donner des chiffres faux. » Ce n'est apparemment pas l'avis des 132 entreprises qui ont accepté de signer la charte en Poitou-Charentes, depuis sa création. « Une seule a refusé de signer, et quelquesunes ont préféré ne pas solliciter d'aides », affirme Jean Grellier.

Révision des contrats

Le conseil régional de Rhône-Alpes a, lui aussi, entrepris de réviser le contenu de ses contrats. « Ils présentent diverses faiblesses. Par exemple, ils ne comportent aucun élément qualitatif. Ils n'exigent rien des entreprises en matière de pratiques sociales ou environnementales », explique Christiane Puthod. De plus en plus, les contrats prévoient des procédures de remboursement en cas de non-respect des engagements. Beaucoup d'aides, directes et indirectes, comportent intrinsèquement des contreparties que l'entreprise est tenue de respecter. Dans les deux cas, le bailleur peut poursuivre l'entreprise devant le tribunal administratif. STMicroelectronics, qui ne détaille pas les types d'aides et les montants dont elle a bénéficié dans le cadre de ses deux derniers projets, fait remarquer que « nombre de contrats sont à la limite du léonin ». Laurent Gouzènes conclut : « La vraie question, c'est : qu'est-ce que ça aurait coûté à la collectivité si nous n'avions pas installé telle ou telle usine sur son territoire ? Crolles, par exemple, c'est 20 000 emplois, directs et indirects. »

Auteur

  • Marie-Pierre Vega