logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Demain

« La fuite des cerveaux est peut-être pour demain »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 08.11.2005 | Violette Queuniet

Image

« La fuite des cerveaux est peut-être pour demain »

Crédit photo Violette Queuniet

Pour éviter d'être confrontée à une pénurie de personnels scientifiques dans la prochaine décennie, la France doit définir une politique d'attractivité et de mobilité internationale. C'est ce que préconise un rapport du Plan qui vient de paraître.

E & C : Le rapport prospectif sur la mobilité internationale des étudiants et des chercheurs, que vous avez dirigé*, est censé répondre à la question de la fuite des cerveaux hors de France. Cette thématique est-elle une réalité ?

Mohamed Harfi : Aujourd'hui, non. Ainsi, durant les dix dernières années, les universités américaines ont délivré en moyenne 100 doctorats par an en sciences et ingénierie à des étudiants français, contre plus de 2 400 à des étudiants chinois. En outre, près de 80 % des docteurs et post-docs français aux Etats-Unis sont titulaires d'un visa temporaire. Cela explique le niveau élevé de leur taux de retour en France.

En revanche, dans les dix prochaines années, l'Etat devra être vigilant s'il ne veut pas se retrouver face à une pénurie de personnels scientifiques et techniques. En effet, les besoins de renouvellement et de recrutement en personnel de recherche seront importants dans les secteurs privé et public. D'ici à 2013, 50 % des chercheurs partiront en retraite. Par ailleurs, on assiste, depuis dix ans, à une diminution des effectifs étudiants dans différentes filières scientifiques dans l'ensemble des pays de l'OCDE. En France, cette baisse a été de 30 % entre 1995 et 2001, et les dernières statistiques du ministère de l'Education nationale confirment cette tendance, avec une baisse de 4 % entre 2003 et 2004. Tous ces facteurs amplifieront encore une mobilité internationale - entrante et sortante - déjà développée dans les pays de l'OCDE. Si elle se traduisait par des séjours longs, voire définitifs, cela aurait une incidence directe sur la situation du marché du travail des personnels de recherche en France.

E & C : Que préconisez-vous pour éviter la pénurie ?

M. H. : Il faut tout d'abord favoriser l'équilibre du marché du travail des personnels scientifiques et techniques en France. Mais le recours au seul vivier interne pour satisfaire les besoins en personnel scientifique et technique serait une illusion. Il faudrait donc définir aussi une politique d'attractivité et de mobilité internationale capable de répondre aux enjeux de demain, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour la France. Le Plan propose à l'Etat quatre objectifs hiérarchisés : alimenter le marché du travail des personnels scientifiques et techniques via l'immigration scientifique - sur des filières clairement identifiées - et l'incitation au retour des étudiants et des chercheurs français établis à l'étranger ; améliorer la performance des systèmes de recherche et d'enseignement supérieur à travers la création de pôles universitaires de recherche et d'enseignement supérieur à vocation internationale ou encore le développement d'une offre de formation supérieure française à l'étranger ; contribuer au rayonnement international de la France ; enfin, utiliser la mobilité comme vecteur d'aide au développement. J'ajoute que, face à la concurrence internationale, l'Etat devra mener cette politique de façon offensive, en lien avec les acteurs privés dans le cadre d'un processus de coopération à l'échelle européenne, en promouvant la mobilité intra-européenne des étudiants et des chercheurs.

E & C : Renforcer l'attractivité de la France contribue aussi à l'émergence d'un scénario que vous avez baptisé «Jules Verne», plutôt qu'à celle du scénario «Mickey», qui risque d'aboutir si l'on suit les tendances actuelles ?

M. H. : Effectivement, le groupe a construit cinq scénarios qui présentent un caractère graduel en termes d'ouverture et d'homogénéité des systèmes d'enseignement supérieur et de la recherche, allant de la quasi-autarcie à la globalisation-intégration. Deux scénarios sont les plus probables à l'horizon 2020 : le scénario «Mickey» et le scénario «Jules Verne». Dans le premier scénario, le modèle anglo-saxon prédomine. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie attirent le plus d'étudiants en mobilité internationale. Par ailleurs, les perspectives de carrière à l'international pour le personnel de recherche rencontrent deux limites importantes : la présence de systèmes nationaux de R & D cloisonnés, qui ne facilite pas le passage d'un système à un autre, et des coopérations scientifiques et techniques internationales peu développées.

Dans le scénario «Jules Verne», plusieurs modèles d'enseignement supérieur coexistent. L'Europe en est un, mais aussi d'autres zones du monde comme la Chine, l'Inde ou l'Amérique du Sud, où la qualité de l'enseignement s'accroît. Le processus d'harmonisation de l'enseignement supérieur entre les différents pays industrialisés se poursuit tout au long de la période 2005-2020. En revanche, les contenus restent différenciés. La mobilité des étudiants se fait donc plutôt à l'intérieur des zones qu'entre zones. Pour les chercheurs, c'est encore plus vrai. Comme on assiste à une compétition entre les zones, la demande de personnels de recherche est très forte. Les zones déficitaires en personnels scientifiques renforcent leurs politiques d'immigration et d'incitation au retour. C'est évidemment ce scénario qui a notre préférence pour la France.

* Rapport Saraswati, en ligne sur <www.plan.gouv.fr>

Aimez-vous la géographie ?, Armand Frémont, Flammarion, 2005.

La force de la fidélité, dans un monde infidèle, Alain Etchegoyen, Anne Carrière éditions, 2004.

Expatrié : rêve et réalité, sous la direction de Jean Pautrot et Yves Girouard, éditions Liaisons, 2004.

parcours

Docteur en sciences économiques, Mohamed Harfi a enseigné à l'université de Montpellier-1 avant d'intégrer le Commissariat général du Plan, où il est chargé de mission sur les questions de recherche et développement et d'enseignement supérieur. Il a dirigé les travaux du Plan sur le thème «Les étudiants et chercheurs à l'horizon 2020 : enjeux de la mobilité internationale et attractivité de la France».

Il est coauteur de La France dans l'économie du savoir : pour une dynamique collective et de Les universités en mutation : la politique publique de contractualisation (1984-2002), publiés tous deux à La Documentation française en 2002 et 2004.

Il enseigne également à l'université Paris-11.

Auteur

  • Violette Queuniet