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Enquête

Entre bonnes intentions et actes concrets

Enquête | publié le : 20.12.2005 | Céline Lacourcelle

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Entre bonnes intentions et actes concrets

Crédit photo Céline Lacourcelle

La charte de la diversité a fêté son premier anniversaire. En un an, elle a gagné une certaine audience et conduit une poignée d'entreprises à innover dans leur politique antidiscrimination. Reste quelques sceptiques et une question cruciale : comment mesurer la performance de la diversité ?

Il y a un peu plus d'un an, une quarantaine de grandes entreprises s'engageaient en faveur de la diversité en devenant signataires de la charte initiée par l'Institut Montaigne, club patronal de Claude Bébéar. Pilotée par l'Institut du mécénat de solidarité (IMS) et soutenue, entre autres, par le Centre des jeunes dirigeants (CJD) et l'ANDCP, cette charte a pour but d'amener les entreprises à rejeter tout acte de discrimination et à refléter dans leurs effectifs la composition culturelle et sociale de la société française (lire encadré p. 15). La motivation peut être humaniste. Elle peut aussi être économique. Une enquête de la Commission européenne, publiée en novembre dernier, révélait que 83 % des entreprises appliquant des politiques en faveur de la diversité reconnaissaient que celles-ci étaient commercialement rentables.

Première étape

Depuis, d'autres entreprises sont venues grossir les rangs des premiers signataires : en tout, elles seraient plus de 250. Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, pour qui « la charte est une première étape », en espère 1 000 en 2006. Déjà, la charte a, ici et là, commencé à porter ses fruits. Diverses actions concrètes et innovantes se font jour sur le terrain. « Nous avons souhaité, dans le sillage de la signature de la charte par notre groupe (PPR, NDLR), réaliser un diagnostic de nos pratiques », explique Caroline Le Bozec, DRH de Conforama. Bonne nouvelle : l'IMS, opérateur de cette évaluation, n'a décelé aucun problème de discrimination. « En revanche, il a identifié un phénomène de plafond de verre pour les femmes : seules 31 % de cadres contre 48 % de présence féminine dans l'entreprise, mais aussi un siège social qui apparaît plutôt «bon teint» », ajoute cette dernière. Le premier élan a été donné par la direction générale de Conforama, avec la signature de la charte, le 26 septembre dernier, puis la diffusion d'un film, Les défricheurs, retraçant le parcours, chez PPR, de salariés issus de l'immigration, aux salariés du siège. Ce film sera envoyé par le président à l'ensemble des collaborateurs, soit 13 600 personnes, à l'occasion des voeux.

Les compétences, seul critère de sélection

« Nous allons également, au niveau de nos process RH, et précisément lors des recrutements et des mobilités, nous prémunir contre toutes les discriminations en veillant à ce que les compétences des individus soient l'unique critère de sélection », précise la DRH. Cette sensibilisation se retrouvera à l'intérieur de nos formations déployées dès 2006. Autre nouvelle règle : l'ensemble des recrutements sera réalisé par trois recruteurs au minimum, quel que soit le niveau du recrutement.

Recrutements par habiletés

Eau de Paris a également avancé sur le sujet. « Nous avons systématisé les recrutements par habiletés, étoffé nos formations au management éthique, formé tous les salariés impliqués dans le recrutement et la gestion de carrière à des process RH non discriminants, introduit le risque discrimination dans notre document unique, mis en place une filière de recrutement spécifique pour les personnes handicapées, sensibilisé l'ensemble de nos salariés aux avantages de la diversité... », énumère Pascal Bernard, son DRH.

La SNCF a également profité de la charte pour passer au crible l'ensemble de ses procédures de recrutement pour identifier les points de vulnérabilité. « Nous nous sommes alors rendu compte que nos recruteurs ne connaissaient pas tous les textes de loi, en particulier le L.122-45 et la loi de 2001 sur le renversement de la charge de la preuve, présente Annick About, responsable du recrutement. Nous avons donc organisé une formation intitulée «gérer la diversité dans l'entreprise», recommandée par le Fasild - Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations -, à l'intention des 350 acteurs internes du recrutement. Sept sessions ont déjà été réalisées en 2005. »

Procédure qualité

Egalement en cours : l'habilitation des acteurs de terrain en charge du recrutement, qui vont suivre deux jours de formation à l'entretien. « Il s'agit d'une sorte de procédure qualité visant à vérifier la bonne orientation de ces managers-recruteurs en matière de non-discrimination. En cas de dérives, un système d'alerte est disponible », décrit Annick About. La SNCF s'est, par ailleurs, dotée d'un conseil de la diversité qui traite de l'égalité professionnelle et des salariés handicapés, auquel sont invités les représentants du personnel.

En la matière, certaines entreprises, souhaitant répondre à l'article 5 de la charte (lire encadré ci-contre), ont signé des accords diversité avec leurs organisations syndicales. C'est le cas de PSA Peugeot Citroën, en septembre 2004, qui s'est engagé à recruter, en 2005, 45 diplômés issus des zones urbaines sensibles, dont 25 pour les fonctions d'Etam et 20 pour des fonctions de cadres. Autre accord, celui d'AXA - société s'étant déjà illustrée par la mise en place des CV anonymes pour les postes de commerciaux - sur les «droits fondamentaux relatifs à la diversité et à l'égalité professionnelle», signé le 13 juillet 2005.

Accord européen

Chez Total, qui a signé avec les organisations syndicales, le 21 novembre 2005, un accord européen sur l'égalité des chances, « la charte est considérée comme une opportunité d'approfondir un travail engagé depuis plusieurs années sur la diversité », explique Catherine Ferrant, directrice de l'innovation sociale et de la diversité, une direction créée en avril 2003. Ainsi, le pétrolier, engagé notamment auprès de SOS Racisme pour collecter des CV de jeunes diplômés issus de l'immigration, s'est doté, en mai dernier, d'un conseil de la diversité, composé de 12 personnes d'origines diverses, chargé d'élaborer des recommandations pour accélérer la diversité.

Les exemples de bonnes pratiques ne manquent donc pas, même s'ils demeurent minoritaires. Beaucoup reste à entreprendre, surtout auprès d'entreprises qui profiteraient de la charte pour se faire de la publicité.

Bruno Libert, président d'honneur et fondateur d'Alliances, association d'origine patronale engagée pour l'insertion des diplômés issus de l'immigration, est partenaire de la charte ; il n'en est pas moins critique : « La charte n'est pas, par exemple, adaptée aux PME, hostiles aux grands discours et à ces signatures médiatiques. Elles sont davantage dans le concret. C'est pourquoi je crois davantage à un label diversité, assorti d'une gratification fiscale. » C'est justement un sujet qui mobilise l'ANDCP, sollicitée, en la matière, par Azouz Begag. Le 25 novembre, Pascal Bernard, vice-président de l'ANDCP, a rendu sa copie au ministre (voir Entreprise & Carrières n° 788).

La charte ne suffit donc pas. Une autre proposition émanant, cette fois, du CJD, émet le souhait que la procédure d'attribution des marchés publics prenne en compte l'orientation socialement responsable des entreprises en lice. « Cette charte est un préambule. Mais cela va prendre du temps, car la diversité impacte notre représentation de l'autre, explique Françoise Cocuelle, présidente du CJD. Pour aider les chefs d'entreprise, nous avons élaboré, avec l'IMS, un outil d'autodiagnostic pour les accompagner dans la mise en application des principes de la charte. » Aujourd'hui, une centaine d'entreprises, membre du CJD, sont parties prenantes.

Guide ministériel

Autre outil : le guide élaboré par le ministère à la Promotion de l'égalité des chances. « Cet ouvrage doit énoncer un à un les différents articles de la charte et décrire, pour chacun d'eux, ce qui a été fait et ce qui pourrait l'être. Le tout, complété de contacts utiles et d'avis d'experts. On le veut le plus pratique possible », signale Laurence Méhaignerie, du ministère à la Promotion de l'égalité des chances (1). Sa parution est prévue en janvier 2006.

Données ethnoraciales

Reste un problème de taille : la mesure de la diversité. Or, la Cnil interdit le recensement des origines des salariés et la conservation de données ethnoraciales. Certains tentent, toutefois, d'avancer sur ce sujet. Ainsi, l'Institut national d'études démographiques (Ined) mène une expérimentation auprès de salariés de quelques entreprises sur leur origine et sur leur couleur de peau (lire p. 22).

Il y a quelques mois, c'était l'enseigne de grande distribution Casino qui s'était engagée dans cette voie en lançant, après autorisation de la Cnil et dans le cadre d'un programme européen Equal, une étude patronymique (une première en France) auprès de ses personnels d'un hypermarché, d'un supermarché et d'un entrepôt de la région Rhône-Alpes. « Pour avancer, il nous faut des indicateurs », souligne Caroline Le Bozec, DRH. « Comment peut-on dire que l'on est aux couleurs de la France si l'on ne peut pas mesurer, en interne, notre diversité et si l'on ne dispose pas d'indicateurs par bassins d'emploi et par diplômes », renchérit Annick About.

Variété d'indicateurs

Pour l'heure, le débat est vif entre les partisans et les opposants à la mesure. Les négociations interprofessionnelles sur la diversité, qui doivent démarrer avant cette fin d'année, donneront peut-être des éléments de réponse. Et ces rencontres tombent à point, lorsque l'on sait que la Cnil recommande qu'une concertation s'engage entre représentants du personnel pour aboutir à une réflexion sur la variété des indicateurs à mettre en oeuvre.

(1) Laurence Méhaignerie est auteure d'un rapport avec Yazid Sabeg, Les oubliés de l'égalité des chances, pour l'Institut Montaigne, janvier 2004.

L'essentiel

1 Quelque 250 entreprises ont paraphé la charte de la diversité, initiée il y a un peu plus d'un an par Claude Bébéar.

2 La plupart des premières entreprises signataires ont mis en place des actions, directement héritées de la charte. Au programme : refonte des process RH, notamment ceux de recrutement, accords d'entreprise...

3 Pour celles encore dans l'expectative, différents outils d'autodiagnostic existent, tout comme des procédures d'audit. Bientôt, un guide des bonnes pratiques sera disponible.

4 Mais, selon les praticiens RH, les meilleures volontés sont entravées : la mesure de la diversité est impossible. Pourtant, pour être performants, ces derniers réclament des indicateurs.

reperes

- 2 à 3 fois

plus de chances de trouver un emploi pour les Français de souche que pour les jeunes issus de l'immigration.

- 30 %

c'est, grosso modo, le taux de chômage des Algériens et des Marocains.

- 11 %

C'est le taux de chômage des diplômés de 2e ou 3e cycles pour les Français d'acquisition. Il est de 5 % pour les Français de naissance.

(Sources : Insee et Conseil économique et social)

La charte de la diversité en six engagements

1- Sensibiliser et former nos dirigeants et collaborateurs impliqués dans le recrutement, la formation et la gestion des carrières aux enjeux de la non-discrimination et de la diversité.

2- Respecter et promouvoir l'application du principe de non-discrimination sous toutes ses formes et dans toutes les étapes de la gestion des ressources humaines que sont notamment l'embauche, la formation, l'avancement ou la promotion professionnelle des collaborateurs.

3- Chercher à refléter la diversité de la société française et notamment sa diversité culturelle et ethnique dans notre effectif, aux différents niveaux de qualification.

4- Communiquer auprès de l'ensemble de nos collaborateurs notre engagement en faveur de la non-discrimination et de la diversité, et informer sur les résultats pratiques de cet engagement.

5- Faire de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique de diversité un objet de dialogue avec les représentants du personnel.

6- Inclure dans le rapport annuel un chapitre descriptif de notre engagement de non-discrimination et de diversité : actions mises en oeuvre, pratiques et résultats.

Auteur

  • Céline Lacourcelle