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« Il faut une mesure du coût des licenciements aux Etats-Unis »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 06.06.2006 | Caroline Talbot, à New York

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« Il faut une mesure du coût des licenciements aux Etats-Unis »

Crédit photo Caroline Talbot, à New York

Le responsable des enquêtes économiques et sociales du New York Times vient de publier un livre où il dénonce les ravages de la flexibilité de l'emploi aux Etats-Unis. Il réclame un grand débat sur les effets des licenciements massifs et met en avant la réussite de compagnies qui ont parié sur le maintien de l'emploi.

E & C : Votre livre The Disposable American (L'Américain jetable)* relate les licenciements massifs des dernières années aux Etats-Unis et leur acceptation par l'opinion publique. Vous dites que cela n'a pas toujours été le cas. De quand date ce changement d'attitude vis-à-vis des licenciements ?

Louis Uchitelle : Cela a commencé à la fin des années 1970, avec l'arrivée des voitures japonaises. Elles étaient de meilleure qualité et moins coûteuses. On s'est alors aperçu que les Américains manquaient d'efficacité, on leur a dit qu'il fallait réduire les coûts et accepter les licenciements pour redevenir efficaces. Alors, les licenciements s'arrêteraient. Mais cette dernière promesse n'a jamais été tenue.

E & C : A l'heure de l'économie globale, la flexibilité de l'emploi pourrait apparaître comme un des grands atouts de l'Amérique. Vous ne semblez pas d'accord...

L. U. : On me dit, en effet : « Tu n'es pas flexible, tu dois être français ! » Pour écrire ce livre, j'ai rencontré régulièrement des familles de personnes licenciées. Le licencié se dit que tout ce qu'il lui arrive est de sa faute. Des mois après, il n'arrête pas de parler des erreurs commises dans son travail. Et, en tant que nation, nous renforçons cette impression. Nous disons aux licenciés : vous avez perdu votre travail, allez vous former et vous pourrez alors retrouver un bon emploi. On va vous recycler. Et si vous ne trouvez pas d'emploi..., c'est de votre faute. En fait, la plupart des gens ne se recyclent pas : il n'y a pas assez de bons postes sur le marché de l'emploi. Les chômeurs doivent souvent accepter une baisse de salaire ou, pire, ils ne retrouvent pas d'emploi. J'ai étudié la fermeture du centre de maintenance de la compagnie aérienne United Airlines à Indianapolis. Les mécaniciens, qui étaient très bien payés, sont devenus conducteurs de poids lourds, réparateurs de climatisation... Il n'y a pas eu pour eux, à l'issue de leur formation, de merveilleux emplois high-tech. Et cela crée un dommage psychologique profond. Depuis le début des années 1980, 30 millions d'Américains ont été renvoyés, probablement le double si l'on compte les licenciements cachés. Ce phénomène est dangereux, il affecte la santé publique.

E & C : Vous déclarez qu'il y a eu trop de licenciements. Vous mettez en lumière leur impact négatif sur l'état de santé psychologique des Américains. Que recommandez-vous ?

L. U. : Je n'ai pas de solutions miracles, je veux un débat. Et, pour commencer, je veux une vraie mesure des coûts du licenciement. Les statistiques actuelles me disent qu'en gros, 4 % des salariés perdent leur emploi.

Je souhaite qu'on intègre dans les statistiques les licenciements cachés : les départs achetés, sous-traités, les retraites forcées... J'aimerais que l'entreprise déclare tous ces départs et mesure leur réel impact, y compris psychologique. On apprécierait mieux, ainsi, les dommages subis dans l'entreprise. Et cela permettrait de contrecarrer l'argument de l'outsourcing et de la globalisation.

E & C : Existe-t-il des alternatives ?

L.U. : On peut être efficace avec moins de suppressions d'emploi. Prenez l'exemple de la compagnie SouthWest Airlines. Elle ne licencie pas. Du coup, ses salariés sont fidèles, ils ont confiance en eux et ils sont capables de préparer un avion pour un nouveau voyage en vingt minutes, alors que la moyenne de la profession est de trente minutes. Regardez aussi Harley Davidson, qui n'a pas licencié depuis une décennie. La société était au bord de la faillite. Le président de l'époque, Ronald Reagan, a instauré des quotas sur les importations de motos japonaises. Cela leur a donné du temps pour se reconstruire. La direction a négocié avec les syndicalistes, ils ont trouvé des compromis, et Harley Davidson marche aujourd'hui mieux que jamais. Boeing est un autre exemple. Au cours des années 1990, la direction a proposé un marché aux syndicalistes. Elle leur a dit : je vais licencier, à moins que vous ne trouviez un moyen de réaliser des économies sur les coûts salariaux. Les syndicalistes sont revenus avec une proposition et ils ont évité les suppressions d'emploi.

E & C : A la fin de votre livre, vous évoquez quelques pistes, parmi lesquelles la suppression des stock-options dans la paie du Pdg. Pourquoi ?

L. U. : Dans le système actuel, le paiement en stock-options encourage le Pdg à réduire les coûts. Il ne pense qu'à la Bourse, aux investisseurs, et oublie les salariés, les clients, la communauté où il vit. S'il avait un salaire fixe, comme tout le monde, il pourrait à nouveau s'intéresser au sort de ses salariés.

*The Disposable American, layoffs and their consequences. Louis Uchitelle. Editeur : Alfred Knopf, New York, 2006.

American Capitalism, John Kenneth Galbraith, Classics in economics series, 1952.

End of the Line, Barry Lynn, Doubleday, 2005.

The Culture of the New Capitalism, Richard Sennett, Yale Univ. pr., 2005.

parcours

Louis Uchitelle a rejoint le quotidien New York Times en 1980. Il y suit les affaires sociales et économiques depuis 1987. Et, à ce titre, il a piloté une série d'articles sur «The downsizing of America», ou la réduction des entreprises américaines, pour laquelle il est allé à la rencontre des mécaniciens du centre de maintenance de United Airlines à Indianapolis. Et ces derniers ont en partie inspiré l'écriture de son livre The Disposable American, layoffs and their consequences (L'Américain jetable, les licenciements et leurs conséquences).

Avant de rejoindre le New York Times, il a été reporter et correspondant à l'étranger pour l'agence Associated Press.

Auteur

  • Caroline Talbot, à New York