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La «diplômite», mal français

Enquête | publié le : 13.06.2006 | G. L. N.

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La «diplômite», mal français

Crédit photo G. L. N.

Sélection par le diplôme et poursuite d'études longues dans des filières sans débouchés : le système français de transition de l'éducation vers l'emploi cumule certaines impasses qui lui sont propres.

Si la France n'a pas à rougir de la proportion de jeunes de moins de 26 ans au chômage (8 %) par rapport à celle de ses voisins, c'est sans doute en grande partie parce que la majorité de ceux qui pourraient rejoindre la population active poursuivent des études. « Ils sont incités à aller le plus loin possible, mais plus ils sont nombreux à le faire, moins leur diplôme a de valeur. On ne peut pas continuer à faire croire que de multiples débouchés existent pour tous ces bac + 5 », estime Pascale Levet, directrice du laboratoire de recherche Lab'Ho, résumant ainsi l'impasse d'une exception française.

Formation initiale ou continue ?

« Tant que nous n'accepterons pas l'idée que la formation initiale n'est pas la seule solution, les énormes lacunes de la France en matière d'accès à l'emploi demeureront, complète Joël-Yves Le Bigot. Ce pays reste un des seuls à ne pas reconnaître la primauté de la formation continue sur la formation initiale et sur le statut scolaire. » Ce pionnier de la sociologie et de la communication générationnelle (*), qui a fondé Génération 2020 pour se consacrer à l'anticipation des tendances junior et à l'ingénierie éducative pour les jeunes, observe que cette situation, qui perdure depuis trente ans, relève d'un consensus : « Cette poursuite d'études rassure les parents, arrange les pouvoirs publics et les enseignants. »

Mais le problème est qu'on a fini par confondre diplôme et qualification, et que les entreprises ont laissé le soin à l'Education nationale et aux écoles de procéder pour elles à la sélection. « Ce sont les germes de la diplômite française », juge Joël-Yves Le Bigot.

« Avec la sélection opérée par les écoles, les entreprises se sont dispensées de mettre en place, pour le recrutement, des systèmes élaborés d'évaluation des candidats, insiste Pascale Levet. On dit à ces jeunes «apprenez à être candidat», mais ils se retrouvent face à des gens qui ne savent pas bien recruter. »

Inégalité entre jeunes diplômés

Cette recherche du diplôme au détriment de la qualification rapidement utilisable n'a pas encouragé, à quelques exceptions près, les rapprochements entre l'université et l'entreprise. Pendant longtemps, la coexistence de contingents moins importants de diplômés et d'une croissance plus soutenue a lissé les inadéquations entre la formation initiale et les besoins des entreprises. Avec près de 65 % d'une classe d'âge arrivant au bac et quatre ans d'une croissance atone et pauvre en emplois, le paysage a changé et les inégalités entre jeunes diplômés ont éclaté.

« En matière de recrutement des jeunes diplômés, les entreprises procèdent par «stop and go» sans aucune anticipation, précise Gwenole Guiomard, rédacteur en chef du Guide des opportunités de carrière (Go). On a connu une forte crise des recrutements en 1990-1993, une remontée en 1999-2002 ; dans ces périodes, l'intégration est correcte, comme l'image des jeunes, puis, de nouveau, une fermeture des vannes, avec les corollaires habituels de baisse des salaires d'entrée, de déqualification et de ralentissement des promotions. »

Sélection sociale

Dans ces années de faible étiage, les entreprises misent essentiellement sur les grandes écoles, « ce qui favorise, peu ou prou, une sélection par la classe sociale des parents, ajoute Gwenole Guiomard. Les étudiants entrant dans ces écoles sont majoritairement issus de familles de cadres, d'enseignants, des élites sociales et intellectuelles. En outre, les financements publics sont près de deux fois plus élevés, dans ces écoles, rapportés au nombre d'étudiants, que dans les facs ».

Liens entreprises-écoles

L'un des facteurs discriminants tient aussi dans la proximité des entreprises ou des branches avec les écoles, ce que les universités n'ont pas su créer. Un master professionnel cumule trois mois de stage, à comparer à presque une année pour des études en grande école. Une plus grande professionnalisation des études, mais aussi de meilleures médiations avec le monde des PME, qui représente le plus vaste réservoir d'emplois, seraient, à coup sûr, efficaces, surtout dans la perspective d'un retournement démographique pour lequel beaucoup d'entre elles seront moins bien armées que les grands groupes.

Information sur les débouchés des filières

Parmi les pistes évoquées, aussi bien par le gouvernement que par le Medef, figure une meilleure information sur les débouchés des filières, avec, pour premier média envisagé, un portail Internet d'orientation à destination des étudiants en cours de réalisation par le Centre Inffo. D'autre part, le gouvernement souhaite poursuivre la promotion de l'alternance, notamment à l'université.

Le ministre du Travail, Gérard Larcher, a prévu une série de rencontres avec des DRH de grandes entreprises entre juin et septembre, tandis que la commission du débat université-emploi, présidée par le recteur Hetzel, doit remettre un rapport d'étape courant juin, avant ses conclusions en octobre. De nouvelles pistes pourraient se dessiner, mais l'ampleur du chantier et son caractère sensible le réservent sans doute à un prochain gouvernement.

(*) Son dernier ouvrage : J'embauche un jeune, écrit avec Annabelle Jacquier et Emmanuel Maze-Sencier, est un guide rafraîchissant à l'usage des recruteurs. (Dunod, novembre 2005).

Auteur

  • G. L. N.