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Les compétences de savoir-être n'ont pas à être contractualisées

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 27.06.2006 | Violette Queuniet

L'engagement des salariés au-delà des termes du contrat de travail relève d'une logique de «don/contre-don» et non de donnant/donnant. Il ne peut donc se déployer que dans un espace de liberté, et ne doit pas être contractualisé. Cependant, la relation contractuelle de base doit être suffisamment claire pour permettre au don/contre-don d'émerger.

E & C : Dans les démarches compétences, les entreprises cherchent souvent à formaliser et à évaluer les compétences de l'ordre du savoir-être. Est-ce utile et efficient en matière de GRH ?

Nathalie Richebé : Les compétences dites de «savoir-être», comme l'implication au travail, le fait de prendre des initiatives, plus généralement, d'avoir des comportements coopératifs, sont des compétences qui ont toujours été évaluées dans les entreprises. Il est compréhensible qu'un chef d'équipe ou un directeur de PME estime qu'une personne qui s'implique et qui a des comportements coopératifs mérite d'avoir en premier lieu une promotion ou une augmentation de salaire. Le problème, c'est de savoir s'il faut les expliciter, essayer de les décrire dans un référentiel, qui va ensuite donner lieu à un processus d'évaluation formalisé, par exemple à travers un entretien annuel d'évaluation.

Cela pose, d'une certaine façon, le problème de la transparence : faut-il rendre transparent tout ce que l'on attend des salariés ? A priori, on pourrait penser qu'il faut expliciter et écrire ce que l'on souhaite développer chez eux, le contractualiser. Je pense, au contraire, que, paradoxalement, ce n'est pas en contractualisant les compétences coopératives qu'on arrivera à les développer, bien au contraire.

E & C : Pourquoi ?

N. R. : Parce que les relations de travail relèvent, certes pour une partie, de l'échange économique - il existe un contrat de travail qui fixe des missions au salarié et une rémunération que doit l'entreprise -, mais ce sont aussi des relations sociales où les échanges sont distincts de l'échange marchand. Ces échanges, les anthropologues et les sociologues les appellent - depuis les travaux de Marcel Mauss sur le don - l'échange social ou le don/contre-don. Ce sont des échanges de type de ceux que l'on a avec ses amis : nous les invitons un jour, ils nous réinvitent, nous les réinvitons, etc. Ce sont des échanges équilibrés, mais dont l'équilibre ne doit pas se dire. C'est leur caractéristique première, qui signe leur différence avec les échanges marchands. Le sociologue Pierre Bourdieu parle, à ce propos, de «tabou du calcul».

Deuxième caractéristique de l'échange social par rapport à l'échange marchand : dans un cas, on mesure l'échange avec un étalon extérieur - prix, quantité -, dans l'autre, le contexte est pris en compte pour mesurer l'équilibre - statut social, différence de moyens économiques, etc. Enfin, dans une relation avec échange de don, on laisse à l'autre la liberté de décider ce qu'il rendra et quand il le rendra. Au contraire, dans l'échange marchand, on limite le risque par des dispositions contractuelles.

Donc, dans les relations de travail, formaliser ce que le salarié donne à l'organisation, à son équipe de travail et le comptabiliser apparaît aux salariés aussi choquant que si l'on sortait un carnet à la fin d'un dîner offert par un ami pour noter combien il a dépensé et de combien on lui est redevable. Cela ne signifie pas, pour autant, que les salariés n'attendent pas de reconnaissance. Au contraire, il y a une attente tacite de reconnaissance, mais que l'entreprise n'a pas intérêt à formaliser.

E & C : Comment doit-on s'y prendre pour développer de tels comportements sans les formaliser ?

N. R. : Pour que le don/contre-don fonctionne, il faut que le donnant/donnant - la dimension contractuelle des relations de travail - soit clair. Les deux types d'échanges sont très profondément interdépendants, et il ne faut surtout pas les opposer. Il est très important, dans la relation de travail, d'avoir une définition commune de ce qu'est la frontière entre le don et le dû. Dans cette relation, on se doit mutuellement un certain nombre de choses, qu'il faut définir le plus clairement possible. Cela n'empêche nullement que, de part et d'autre, on décide d'aller éventuellement au-delà de ce dû. Mais le don ne sera possible que si le dû est clair. La question de la frontière entre les deux est donc tout à fait centrale. D'ailleurs, l'un des enjeux de pouvoir importants dans les organisations est d'essayer de convaincre l'autre partie que ce qu'elle considère comme un don est en réalité un dû. L'enjeu est souvent d'essayer de déplacer cette frontière.

Dans l'articulation du don et du dû, il est important de laisser de l'espace au don. Quand tout est contractualisé, il n'y a plus d'espace pour le don. Tout le talent du manager ou du DRH est de bien sentir où il peut mettre les limites entre le don et le dû. Contractualiser, être aussi clair que possible dans la définition des attentes mutuelles et, en même temps, ne pas chercher nécessairement à être exhaustif dans la définition de ce que le salarié peut apporter à l'organisation, en reconnaissant qu'une partie de ce qu'il pourra apporter dépend de lui. Et, précisément, parce que cela dépend de lui, cela pourra s'inscrire dans le registre du don.

It's the thought that counts : how helpers decide to lend a hand, Ames, Flynn and Weber, in Personality and social psychology bulletin, Vol. 30, n° 4, avril 2004.

Le don, la dette et l'identité, Jacques Godbout, Boréal, 2000.

L'incomplétude n'est pas le problème, c'est la solution, Olivier Favereau, 1997. In Les limites de la rationalité, tome 2, Les figures du collectif, Colloque de Cerisy, éd. La Découverte.

parcours

Economiste de formation, Nathalie Richebé a soutenu, en 2002, une thèse en sciences de gestion sous la direction du professeur Favereau. Depuis 2005, elle est professeure associée en GRH au Ceram Sophia-Antipolis, après avoir été plusieurs années enseignante-chercheure en GRH et en charge du programme doctoral à Audencia Nantes.

Parmi ses nombreux articles sur la GRH : Les réactions des salariés à la logique compétence : vers un renouveau de l'échange salarial ?, paru dans la Revue française de sociologie, vol. 43, n° 1, 2002.

Auteur

  • Violette Queuniet