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La France peut s'inspirer du modèle de l'entreprise nordique

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 29.08.2006 | Anne Bariet

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La France peut s'inspirer du modèle de l'entreprise nordique

Crédit photo Anne Bariet

Comment utiliser le modèle nordique dans les entreprises françaises ? Des pistes existent, notamment en créant des organigrammes moins hiérarchiques, des organisations du travail mieux adaptées aux besoins des salariés ou encore en développant un dialogue social fort...

E & C : Que signifie la flexicurité appliquée à l'entreprise ?

Alain Lefebvre : Au-delà de la flexibilité numérique, c'est-à-dire la capacité de changer rapidement le volume de la main-d'oeuvre - par l'embauche, le licenciement, la sous-traitance... -, l'entreprise doit aussi être capable de flexibilité fonctionnelle, c'est-à-dire de répartir le travail sans respecter forcément les frontières de ses unités fonctionnelles. Volvo a été l'une des premières grandes sociétés à développer cette flexibilité, en cassant les chaînes traditionnelles de production, suivie rapidement par les autres industriels suédois comme Scania.

La flexibilité peut également être financière : différentes méthodes existent pour adapter les charges d'une entreprise à l'évolution de l'activité, et la négociation a permis dans certains cas de gérer une crise par un blocage ou même une baisse de certains salaires. En Suède, dans le secteur des nouvelles technologies de l'information, l'avant-dernier accord collectif, signé en 2000, prévoyait un gel des salaires sur trois ans, et chez SAS, il y a eu des baisses de salaires pour sauver la compagnie. Mais, en contrepartie, les salariés bénéficient des gains de l'entreprise en cas de retournement de situation.

E & C : L'entreprise a donc aussi ses devoirs...

A. L. : La flexicurité ne peut se faire en sacrifiant les salariés. La flexibilité, c'est aussi assurer l'adaptation au changement par la formation et le développement des compétences. Et l'entreprise doit aussi répondre aux besoins des salariés : un employé doit pouvoir changer de poste, varier ses activités, travailler plus ou moins selon les impératifs de sa vie privée ou familiale, améliorer ponctuellement ses revenus, travailler à la maison en cas de besoin. Des désirs considérés comme légitimes par les entreprises danoises, notamment.

E & C : Ce modèle peut-il être appliqué par les DRH françaises ?

A. L. : Un de nos problèmes est celui du management et de l'organisation. Les entreprises nordiques sont peu hiérarchiques dans leur fonctionnement, les décisions souvent décentralisées, l'atmosphère plus détendue, ce qui favorise la flexibilité et l'adaptation rapide au changement.

Une autre différence concerne le dialogue social : le modèle nordique repose sur la responsabilité des partenaires sociaux. Ce sont eux qui négocient la quasi-totalité des composantes du contrat de travail, à l'exclusion de très rares interventions de la loi (discrimination ; égalité hommes/femmes). Pour ce faire, ils sont davantage associés qu'en France à la marche de l'entreprise. Ils participent aux conseils d'administration. Et, par exemple, dans le cas d'une restructuration, l'employeur est tenu d'examiner les propositions alternatives du syndicat et de négocier sur la question des reclassements. Ainsi, grâce à une bonne collaboration entre les partenaires sociaux, les salariés licenciés d'Ericsson - plus de 10 000 personnes licenciées en Suède en trois ans - ont bénéficié d'un remarquable soutien - formation, aide à la recherche d'emploi, plein salaire pendant un an - qui a permis à la fois de trouver un emploi pour plus de 95 % d'entre eux, de sauver l'entreprise et... d'éviter la grève.

E & C : Qui prend généralement en charge le reclassement en cas de restructuration ?

A. L. : Sur le plan financier, les entreprises nordiques n'ont légalement à verser aucune indemnité de licenciement, sauf dans des cas très spécifiques ou si un accord collectif le prévoit. En Suède, elles doivent négocier avec les syndicats pour organiser les reclassements, avec un soutien des services de l'emploi le cas échéant. Il en va de même, sur un mode plus libéral, en Finlande. Mais au Danemark, on attend moins des entreprises, qui n'ont pas d'obligation légale. C'est à nuancer, toutefois, car les syndicats sont puissants, suffisamment pour obliger les employeurs à s'intéresser au devenir de leurs employés.

E & C : Est-ce un monde idéal pour les salariés ?

A. L. : Non, car la sécurité n'est pas forcément celle que l'on décrit en France. On parle d'allocations chômage très élevées qui, par leur niveau, garantiraient une certaine tranquillité à tout chômeur qui respecterait ses obligations. En réalité, le chômage entraîne, dans les premiers mois, des conséquences comparables à celles subies par les chômeurs français, danois, suédois, finlandais, norvégiens, et, dans certains cas, il vaut mieux être français, notamment si l'on dispose d'un salaire supérieur à la moyenne. En revanche, la possibilité d'obtenir rapidement une aide concrète des services de l'emploi, d'effectuer une formation qui peut être longue (et rémunérée) pour trouver un autre emploi, quitte à se reconvertir, est un gros avantage. Ces périodes de chômage sont souvent des périodes de transition pour préparer une seconde carrière, faire un nouveau métier. Par conséquent, dans les pays nordiques, les véritables reconversions professionnelles sont possibles, et c'est un élément de sécurisation.

Ingénieur et ancien élève de l'ENA, Alain Lefebvre réside, depuis cinq ans, en Suède où il est conseiller pour les affaires sociales pour les pays nordiques auprès des ambassades de France.

Il connaît le champ social en France, pour avoir travaillé comme directeur départemental, puis directeur régional des affaires sanitaires et sociales, avant d'occuper des fonctions au niveau national (chef de service de la Direction générale de la santé) et européen, comme conseiller pour les affaires sociales à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

Il a publié plusieurs ouvrages sur les modèles sociaux nordiques (Le droit social suédois, éd. Liaisons sociales Europe, 2003 ; Le modèle social danois, éd. Liaisons sociales Europe, 2005), et avec Dominique Méda : Faut-il brûler le modèle social français ? (éditions du Seuil, 2006).

Don't Think of an Elephant : Know Your Values and Frame the Debate», Georges Lakoff, Chelsea Green Publishing.

Voyage au pays du coton - Petit précis de mondialisation, Eric Orsenna, éd. Fayard.

Tous sublimes, Bernard Gazier, éd. Flammarion.

Petits suicides entre amis, Arto Paasilinna, éd. Folio Poche.

Auteur

  • Anne Bariet