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L'effet du CDD senior sur l'emploi est incertain

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 14.11.2006 | Marie-Pierre Vega

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L'effet du CDD senior sur l'emploi est incertain

Crédit photo Marie-Pierre Vega

En protégeant l'emploi des 57-59 ans, le CDD senior risque d'entraîner une diminution du taux d'emploi des quinquagénaires de la tranche d'âge inférieure. Pour maintenir les seniors au travail plus longtemps, il faut reculer l'âge de départ à la retraite.

E & C : Vous venez de publier une étude intitulée «Le plan national d'action pour l'emploi des seniors : bien mais peut mieux faire»*. Pourquoi les effets du CDD senior sur l'emploi vous semblent-ils limités ?

Arnaud Chéron : L'expérience montre que la protection de l'emploi est un instrument peu efficace. A l'inverse, le CDD senior, ce contrat à durée déterminée de dix-huit mois, renouvelable une fois et réservé aux travailleurs de 57 ans et plus, introduit de la flexibilité. Il devrait donc, a priori, aller dans le bon sens, et atteindre son objectif : augmenter le taux d'emploi des 57-59 ans. Mais cette augmentation risque de se faire au prix d'une diminution de celui des 54-56 ans, entraînant ainsi un effet de substitution entre classes d'âge et remettant en cause l'effet macro-économique de la mesure. Car, pourquoi une entreprise embaucherait-elle un travailleur de 55 ou 56 ans qui ne lui donne pas accès à la flexibilité du CDD senior ? Mieux vaut cibler un travailleur de 57 ans et plus.

E & C : Le plan senior, dont le CDD senior est l'une des mesures, peut-il freiner la diminution du taux d'emploi à partir de 57 ans ?

A. C. : Dans son volet réinsertion sur le marché du travail, ce plan prévoit une offre de prestations spécifiques du service public de l'emploi. Mais, parallèlement, il aurait fallu supprimer le dispositif dit de dispense de recherche d'emploi. Depuis 1986, cette dispense permet aux demandeurs d'emploi de 55 ou de 57 ans et plus, selon les cas, d'être affranchis des démarches de recherche d'emploi tout en conservant les indemnités chômage et l'ensemble des droits sociaux. Ce dispositif concerne 400 000 personnes actuellement. Non seulement il pèse sur l'emploi des plus de 57 ans, dissuadant candidats et employeurs, mais aussi sur les âges inférieurs par des effets d'anticipation. Du côté des employeurs, cela se traduit aussi par une précocité de la pression sur les salaires et une hausse des licenciements dès 52-53 ans. Un tiers du déclin du taux d'emploi entre les 25-54 ans et les 55-59 ans s'explique par les effets pervers de ce dispositif.

E & C : Quelles sont les mesures à prendre pour augmenter le taux d'emploi des 55-59 ans ?

A. C. : Ce qui compte, c'est l'effet d'horizon. En effet, pourquoi investir dans la recherche et la création coûteuses d'un emploi qui ne durera que deux ans au maximum pour un travailleur de 58 ans ? En revanche, si on recule l'âge de la retraite, on allonge l'espérance de vie des seniors sur le marché de l'emploi, donc on les rend plus employables, plus embauchables. Par exemple, en Suède ou aux Etats-Unis, où l'âge de sortie en retraite se situe autour de 65 ans, le taux de déclin de l'emploi se constate autour de 60-65 ans, contre 55-60 ans en France. Pour les caisses de retraite, le bénéfice est double : les pensions versées sont limitées et les cotisations perçues augmentent du fait d'une stimulation de l'emploi des plus de 60 ans.

Plusieurs mesures dans le plan senior vont dans ce sens. Il prévoit, ainsi, une révision des accords abaissant l'âge de mise en retraite anticipée et la promotion de la retraite progressive avec la possibilité d'une activité à temps partiel au-delà de 60 ans. Le caractère incitatif de la surcote est consolidé, le régime de cumul emploi-retraite pour les bas salaires est amélioré et la pratique du tutorat dans l'entreprise est encouragée. Les ajustements du système de retraite favorisant une sortie retardée du marché du travail constituent le point décisif du plan senior.

E & C : Mais le recul de l'âge de départ à la retraite n'a-t-il pas, lui aussi, ses limites ?

A. C. : L'une des limites, ce sont les réticences des salariés et des syndicats, qui vont parler de recul social. Cependant, lorsque la retraite à 60 ans a été adoptée au début des années 1980, l'espérance de vie à 60 ans pour un homme était de dix-sept ans. Elle est, aujourd'hui, de vingt-deux ans. La durée de la période d'inactivité n'est donc pas remise en cause. L'autre limite envisageable est que le maintien en emploi des seniors se fasse au prix d'une baisse de l'emploi des jeunes. Cette conception peut être pertinente dans certains secteurs et, à très court terme, là où l'objectif des entreprises est simplement d'honorer leurs commandes. Mais, à long terme, ce n'est pas tenable. On constate alors que les postes de travail ne sont pas substituables. Pour preuve, les pays qui ont le plus fort taux d'emploi des seniors sont également ceux pour qui le problème de l'insertion des jeunes se pose le moins. L'augmentation de l'emploi des plus de 55 ans va de pair avec la résolution des difficultés des jeunes sur le marché du travail.

*Edhec Business Scool, septembre 2006.

Trois leçons sur la société post-industrielle, Daniel Cohen, Seuil, 2006.

L'espoir d'aimer en chemin, Michel Quint, éditions Joëlle Losfeld, 2006.

Extension du domaine de la lutte, Michel Houellebecq, J'ai Lu, 1997.

parcours

Arnaud Chéron, professeur d'économie à l'université du Maine, au Mans, est directeur du programme de recherche sur l'évaluation des politiques de l'emploi au sein du pôle économie de l'Edhec.

Il a été chercheur à l'Eurequa (Equipe de recherche en économie quantitative de Paris-1) et au Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications).

Il a effectué des recherches dans les domaines de l'économie de l'emploi, les politiques publiques et les cycles économiques, et publié dans des revues académiques françaises et internationales, comme la Revue française d'économie et le Journal of economic theory.

Auteur

  • Marie-Pierre Vega