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Enquête

Évaluation : Jusqu'où peut-on aller ?

Enquête | publié le : 14.11.2006 | Guillaume Le Nagard

L'évaluation des salariés devient plus discriminante, au risque de faire passer le dialogue avec la hiérarchie au second plan. Difficile de trouver un juste équilibre entre la mise en compétition des collaborateurs par le classement, et l'absence de reconnaissance par manque de courage managérial, toutes deux démotivantes...

François ne voit jamais arriver les évaluations de fin d'année sans une certaine inquiétude. «Quadra» chez IBM, il n'est pourtant jamais tombé jusqu'ici dans la zone rouge des notes 3 et 4, les plus mauvaises. Dans un contexte de réduction d'effectifs, ce système d'évaluation, qui a toujours existé chez Big Blue, est en effet devenu, selon les syndicats, un des facteurs de l'augmentation sensible du stress dans l'entreprise, relevé par les médecins du travail. Si la notation des salariés les uns par rapport aux autres, avec un «classement forcé», qui contraint les managers à attribuer un certain nombre de mauvaises notations, reste une spécialité de quelques entreprises d'origine américaine, la traditionnelle évaluation annuelle devient un exercice de plus en plus sensible, pour le manager comme pour le managé.

Logique économique

« Le champ se durcit depuis plusieurs années, estime Jacques Igalens, professeur à l'université de Toulouse. Il y a dix ou quinze ans, l'évaluation était surtout le moment de l'entretien annuel, affiché comme «une opportunité d'échange privilégié» entre les salariés et leur hiérarchie, un outil de management. Désormais, la pression est mise plus fortement sur l'évaluation, qui doit être plus discriminante, et qui remonte à la DRH et à la DG. Il faut pouvoir se servir des résultats pour prendre des décisions. » Cette réintroduction d'une logique économique dans un processus de management se fait souvent, selon lui, au détriment de la communication et de la résolution des éventuels malentendus.

Seulement 4 % des entreprises françaises utilisent le classement forcé, selon une enquête du cabinet IDRH, fin 2005, contre 25 % à 35 % des entreprises américaines. Mais 85 % utilisent ou des niveaux (A, B, C...), ou une évaluation qualifiée (exceptionnel, bon, à améliorer...). La moitié des systèmes d'appréciation ont un impact sur la rémunération variable individuelle.

Rendez-vous redouté

Considérant les conséquences de l'évaluation annuelle en général sur les conditions de travail, le stress éventuel et les rémunérations, certains avocats conseillent de consulter systématiquement le CHSCT, en plus du CE. Plus sage pour éviter le blocage juridique obtenu par les syndicats et le le CE du groupe Mornay (IRP). La direction a tenté de mettre en oeuvre une évaluation annuelle, mais les représentants des salariés ont saisi le TGI de Paris pour défaut de déclaration à la Cnil et de consultation du CHSCT. Le tribunal leur a donné raison sur les deux points, le 31 mars 2006 et de nouveau, en appel, le 3 novembre dernier. En revanche, aucune jurisprudence n'a, pour l'instant, au grand dam des syndicats de HP notamment (cour d'appel de Grenoble, 2002), remis en cause le principe du forced ranking.

Au delà de la méthode utilisée, ce qui rend le rendez-vous annuel plus suspect, c'est qu'il permet certes à l'entreprise de documenter et de motiver des choix de promotion ou d'augmentation, mais aussi d'éventuels licenciements, qu'ils soient individuels, pour insuffisance professionnelle, ou dans le cadre de plans sociaux.

Manque de courage

A l'inverse, l'absence d'une véritable évaluation des salariés n'est-elle pas dommageable, elle aussi, traduisant un manque de courage managérial, confortant les faibles contributeurs et décourageant les plus performants ? C'est le point de vue de Gérard Silve, directeur associé de Towers Perrin, qui accompagne les entreprises dans cette réflexion sur l'appréciation des performances. « Le «rangement forcé» se justifie dans certains cas, assure-t-il. Nous en mettons parfois en place. Mais ces systèmes doivent assurer une souplesse, notamment en déterminant des fourchettes de salariés à affecter par niveau - de 5 % à 10 % ; de 10 % à 20 % - plutôt que des quotas, et en prenant en compte le cas de profils atypiques. »

Exercice inconfortable

Plus généralement, la demande des collaborateurs est fréquente pour de véritables évaluations, qui soient plus qu'un exercice obligé, aboutissant à 90 % d'appréciations favorables. L'exercice peut être inconfortable pour tous : le manager obligé de discriminer, mais souhaitant conserver l'esprit d'équipe et la paix dans son service ; le collaborateur tenu de justifier les écarts par rapport à des objectifs dont il ne maîtrise souvent qu'une partie de la réalisation, et qui risque la démotivation. C'est pourquoi le hiérarchique doit pouvoir prendre du temps et du recul et apporter un vrai conseil. « Il faut même former les managers à cet acte de management », insiste Gérard Silve. Le hiérarchique doit aussi disposer d'un référentiel d'évaluation légitime et reconnu, excluant l'arbitraire.

A l'heure où les DRH se fixent pour missions principales de préparer l'avenir en gérant les compétences, avec et au profit des opérationnels, d'une part, et de lutter contre le désengagement des salariés en leur faisant partager des valeurs communes, d'autre part (enquêtes Cegos fonction RH et Baromètre CSC-Liaisons sociales-Entreprise & Personnel), l'enjeu de l'évaluation reste déterminant.

Plus de la moitié des DRH interrogés par IDRH souhaitaient faire évoluer leur dispositif avant deux ans. Et une majorité d'entre eux peinaient manifestement à trouver le juste équilibre en la matière, puisqu'ils l'avaient déjà modifié les années précédentes...

L'essentiel

1 L'évaluation tend à devenir plus discriminante pour conforter des pratiques d'individualisation des rémunérations. Et les données recueillies peuvent aussi servir à documenter de futurs dossiers de licenciement.

2 Les classements des collaborateurs, surtout avec des quotas, comportent des risques pour la motivation, l'esprit d'équipe et le climat social, mais ils ne sont pas illégaux en tant que tels.

3 A l'inverse, une évaluation trop égalitaire peut être considérée comme l'illustration d'un manque de courage managérial et jugée inéquitable par les salariés les plus performants ou motivés.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard