Dans les périodes qui connaissent un fort taux de chômage, le rôle d'une agence nationale pour l'emploi est des plus ambigus. Censée aider les demandeurs d'emploi à trouver ou à retrouver du travail, l'ANPE est souvent réduite à trier les chômeurs, voire à distinguer les bons des mauvais, les méritants et ceux dont le cas est désespéré : ils n'auraient ni formation ni stratégie efficace ni, peut-être, réelle motivation à travailler.

De là à leur reprocher leur inemployabilité, il n'y a qu'un pas vite franchi, aidé en cela par les politiques actuelles d'indemnisation du chômage. L'ANPE finit par être l'institution garante de la moralité du travailleur, estimée à l'aune de sa réelle envie de se retrousser les manches, voire à faire des sacrifices sur ses ambitions, son salaire, le métier souhaité, etc.

Ce discours équivoque se déploie à plusieurs niveaux : opinion publique, médias, politique... Mais c'est à l'intérieur de l'institution même chargée des demandeurs d'emploi qu'il est le plus codifié dans les pratiques des agents.

Comment les conseillers pour l'emploi assument-ils concrètement leur mission paradoxale ? Quelle est leur marge d'action ? Existe-t-il, pour eux, un quelconque moyen, si ce n'est d'échapper complètement au mécanisme sélectif qui fait de l'ANPE l'antichambre du recruteur, au moins de tempérer un tant soit peu les effets les plus délétères du système ?

Entre la logique charismatique du don et de l'assistance et celle de l'efficacité, comment pourrait se situer une agence pour l'emploi digne de ce nom ?

Yolande Benarrosh est sociologue au Centre d'études de l'emploi.