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Enjeux

L'attitude des salariés peut faire obstacle à l'amélioration des conditions de travail

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 22.01.2008 |

Certains salariés nient la pénibilité objective, physique ou morale, de leur tâche et multiplient les conduites à risques. Ce déni peut être pallié par l'implication des intéressés en amont et par la responsabilisation financière de l'employeur.

E & C : Pour vous, les travailleurs eux-mêmes font parfois obstacle à l'amélioration de leurs conditions de travail. De quelle manière ?

Michel Gollac : Les travailleurs qui exercent un métier dangereux ou pénible sont confrontés à une forte anxiété concernant leur sécurité ou leur santé. Pour ne pas aller tous les jours au travail la peur au ventre, ils ont alors tendance à se protéger contre l'angoisse par le déni individuel ou collectif de la pénibilité et de la dangerosité de leur emploi. C'est le cas, par exemple, des travailleurs du bâtiment, confrontés quotidiennement au risque de l'accident. L'objectif est de se prouver tout à la fois que le danger encouru est faible et qu'on le maîtrise par sa force, son habileté ou sa compétence. Ces mécanismes rejoignent des problématiques inconscientes liées aux représentations du masculin et du féminin. Mais les métiers «physiques» sont loin d'être les seuls concernés par ce type de comportement. Avec les nouvelles formes de management et la valorisation du discours sur la compétence, les travailleurs du savoir, eux aussi, ont parfois tendance à en faire trop pour combattre leur angoisse au détriment des temps de repos et de leur vie privée. Ces comportements tendent à freiner l'amélioration des conditions de travail. En situation de déni, un travailleur n'est pas conscient des enjeux réels pour sa santé ou pour celle des autres et, par conséquent, n'est pas demandeur de solutions. Qui plus est, il peut aller jusqu'à négliger les règles de sécurité obligatoires dans la mesure où les reconnaître reviendrait, pour lui, à admettre que le danger est réel et que les dispositifs de protection ne sont jamais efficaces à 100 %.

Serge Volkoff : L'individualisation des conditions de travail et de rémunération tend aussi à disséminer les problématiques de santé. Là où l'intensification du travail est nettement vécue comme une souffrance par certains, elle peut être vécue, par d'autres, comme un stimulant du fait qu'elle implique davantage de responsabilités. D'où une plus grande difficulté que par le passé à globaliser et à conceptualiser les problématiques de santé et, en conséquence, une plus grande difficulté pour l'individu à en prendre conscience.

E & C : Quelle place occupe l'entreprise dans ces stratégies de déni ?

S. V. : L'organisation du travail elle-même se révèle parfois un facteur d'aggravation du risque en ce que l'injonction de performance peut venir contredire le respect des règles. La nécessité de faire vite peut empêcher un couvreur, par exemple, de mettre son harnais de sécurité, opération coûteuse en temps. De manière plus globale, dans un contexte où l'emploi est devenu rare, l'arbitrage emploi/salaire a conduit les salariés à privilégier l'emploi et à minimiser les plaintes concernant leurs conditions de travail. On a même vu certains salariés s'opposer à la fermeture de sites dangereux au nom de la préservation de leur emploi. Dans la même logique, on remarque que les travailleurs en CDI ont plus tendance que les précaires à dénoncer leurs conditions de travail.

M. G. : La réaction de l'entreprise aux accidents ou quasi-accidents est également déterminante. La tendance à mettre en avant la faute ou l'incompétence du salarié soulage peut-être la conscience des responsables, mais est contre-productive pour limiter les risques. Cela tend à renforcer les attitudes de déni.

E & C : Quelles sont les pistes d'action pour remédier au problème ?

M. G. : Le recours à la médiation d'un ergonome peut se révéler précieux dans la phase de diagnostic. Il permet un recul et donc une meilleure prise de conscience du problème par tous les protagonistes. Concernant l'amélioration de la prévention à proprement parler, la responsabilisation financière des entreprises dans les accidents et maladies liés au travail, telle qu'elle a cours, par exemple, aux Etats-Unis, semble à la fois équitable et efficace. Si le salarié, accidenté ou malade, ne peut reprendre son emploi, on ne voit pas pourquoi la sécurité sociale ou l'assurance chômage devraient en assumer les conséquences financières à la place de l'entreprise qui l'a mis en péril. De plus, une pénalisation financière inciterait l'entreprise à innover en matière de santé et de sécurité.

S. V. : Pour éviter les conduites de déni et favoriser la prise de conscience, il est important d'impliquer les intéressés dans l'analyse des situations de dangerosité et dans leurs solutions. Mais je crois que cela doit se faire dans le cadre global de discussion sur le travail, au-delà même des enjeux liés aux maladies ou aux accidents. Ce n'est qu'en intégrant l'ensemble des paramètres que la réflexion sur la pénibilité des conditions de travail a des chances d'aboutir. Il serait trop facile de se défausser derrière le coût de la sécurité et les impératifs concurrentiels au nom de la compétitivité et de l'emploi. Associer les travailleurs en amont permet de réfléchir aux problèmes de sécurité en intégrant cette donne économique.

Parcours

Serge Volkoff, statisticien et ergonome, est directeur du Creapt (Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail) et directeur de recherche au CEE (Centre d'études de l'emploi).

• Ses principales recherches portent sur les évolutions des conditions et de l'organisation du travail ; la démographie du travail (structures d'âges, sélection...) et l'ergonomie.

Michel Gollac est sociologue au Crest (Centre de recherche en économie et statistiques) et au Centre Maurice-Halbwachs de l'Ecole d'économie de Paris.

• Ils ont publié une édition réactualisée de Les conditions de travail, paru pour la première fois en 2000 (La Découverte, nov. 2007).

Leurs lectures

Le travail intenable, Laurence Théry, La Découverte, 2006.

Les désordres du travail, Philippe Askenazy, Le Seuil, 2004.

Travail, usure mentale, Christophe Dejours, Bayard, 2000.