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« Praticiens et chercheurs en GRH devraient davantage se rapprocher »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 05.02.2008 |

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« Praticiens et chercheurs en GRH devraient davantage se rapprocher »

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La recherche en GRH peut être une source de pratiques à expérimenter sur des sujets aussi variés que la flexisécurité, l'allongement de la durée de la vie professionnelle ou la diversité. Un plus grand rapprochement entre praticiens et chercheurs permettrait de construire des solutions plus pérennes.

E & C : Qu'est-ce que la recherche en GRH peut apporter aux praticiens ?

P. L. : Les praticiens, pris par le quotidien, manquent de recul. La recherche leur apporte une capacité critique, des expérimentations pilotes et des solutions construites scientifiquement et durables. Mais le brassage entre chercheurs et praticiens est encore insuffisamment développé et les partenariats trop frileux. Certaines entreprises telles que La Poste, ArcelorMittal ou Auchan, tout comme certaines communautés urbaines et des hôpitaux, accueillent cependant quelques chercheurs.

Certes, la recherche ne peut pas aller à l'encontre de grandes tendances telles que la mondialisation, mais elle peut les accompagner en aidant les praticiens à mieux les gérer, à relier et à approfondir leurs pratiques, avec une approche internationale. On pourrait, ainsi, éviter des erreurs. Pour cela, il faudrait que les entreprises intègrent la recherche dans leurs réflexions préalables et pas seulement a posteriori !

Au Canada, par exemple, la contractualisation pour construire des solutions ensemble est beaucoup plus forte entre l'ordre des DRH et les centres de recherche universitaires.

E & C : Comment travaillent les chercheurs en RH ? Quels sont les sujets qui émergent ?

P. L. : On travaille sur trois dimensions complémentaires. La première est d'aborder les missions traditionnelles de la GRH - recrutement, formation, rémunération, motivation... - avec des réflexions nouvelles pour les repenser. Par exemple, le e-recrutement, l'acquisition de nouvelles compétences, la capacité de travailler ensemble ou encore la gestion des âges. Celle-ci a fortement besoin d'être approfondie, car les DRH sont encore très démunis vis-à-vis de l'allongement de la durée de la vie professionnelle, les évolutions de poste, le management intergénérationnel. La question de l'équité entre les sexes et, plus globalement, celle des non-discriminations, est également importante. Comment les gérer concrètement ? Je prendrai un autre exemple d'actualité : la loi sur les heures supplémentaires défiscalisées a été votée sans qu'il y ait un débat avec les chercheurs, qui auraient pu tester les opportunités managériales avant de la mettre en oeuvre. Autre exemple : si on avait mis les chercheurs en prise directe avec le CNE, on en aurait mieux analysé les conséquences et on aurait peut-être pu éviter l'échec cuisant du CPE et l'interdiction du CNE...

Une deuxième manière est de réfléchir au système RH dans son ensemble : ses rapports avec la stratégie d'entreprise, les technologies de l'information et les réseaux, les logiques financières... Là aussi, la recherche peut aider à intégrer les grands défis comme la responsabilité sociétale des entreprises, le développement durable. Il faut également penser l'avenir de la GRH en tenant compte du cadre législatif. Prenons le thème de la flexisécurité. Beaucoup de mesures existent déjà, mais elles restent à approfondir. Il est indispensable d'introduire les dimensions territoriale et sectorielle dans les réflexions. Plutôt que de tenter, en vain, de résister aux coups de boutoir contre l'envahisseur de la mondialisation, il est préférable de trouver des compromis et des pratiques convenables pour tous. Mieux vaut être gallo-romain qu'un irréductible gaulois.

Je me réjouis, d'ailleurs, de la revitalisation des rapports contractuels entre les salariés et les employeurs, comme l'a montré récemment l'accord sur la modernisation du contrat de travail. Cela devrait redonner un nouveau potentiel de recherche sur les relations professionnelles et permettre de construire de nouveaux modèles de négociation et de médiation.

Le troisième axe de travail s'effectue par secteurs d'activité (PME, secteur public, social/sanitaire, associatif...). Par exemple, comment organiser dans le secteur de la grande distribution une GRH efficace alors que les niveaux hiérarchiques sont très peu nombreux ?

E & C : Quelle place occupent les RH dans l'entreprise ? De quels sujets les DRH devraient-ils davantage s'emparer ?

P. L. : Comme le disait Grove, le Pdg d'Intel, il y a déjà vingt ans, il faut s'appliquer à trois activités essentielles : soulager les managers des tâches administratives, dont l'accumulation génère une perte d'efficacité et du découragement ; organiser des collectifs de travail attractifs et forts qui contribuent au plaisir de travailler et, enfin, rétribuer par rapport à une double logique de reconnaissance et d'incitation.

Face aux aménagements juridiques permanents, aux changements organisationnels incessants, aux restructurations parfois mal pensées, etc., le mieux est qu'ils produisent eux-mêmes l'action, plutôt que de la subir. Il leur faut stimuler les compétences, soutenir les initiatives, chercher des solutions efficaces pour une bonne gestion de la diversité ou de l'intergénérationnel, favoriser les débats et les expressions de mécontentement pour en tirer des effets constructifs, faciliter la vie quotidienne des salariés... La tâche est vaste !

Parcours

• Pierre Louart est directeur de l'IAE de Lille et président du réseau national des IAE. Il est également président d'honneur de l'Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH).

• Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et d'articles sur la GRH, l'organisation, la communication, l'entrepreneuriat.

Lectures

L'encyclopédie de GRH, coordonnée par José Allouche, Vuibert, 2007.

Management et conduite de soi, enquête sur les ascèses de la performance, sous la dir. d'Eric Pezet, Vuibert, 2007.

Respect. De la dignité de l'homme dans un monde d'inégalité, Richard Sennett, Albin Michel, 2003.