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« Le problème, c'est la perte de crédibilité des syndicats »

Enquête | publié le : 01.04.2008 |

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« Le problème, c'est la perte de crédibilité des syndicats »

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E & C : A quelle aune la légitimité d'un syndicat se mesure-t-elle ?

D. L. : Depuis la Libération, la légitimité d'un syndicat se mesure au nombre de ses adhérents. Or, ce dernier n'a cessé de baisser depuis trente ans, passant de 27 % en 1976 à 7 % en 2004. Comment un syndicat sans adhérents serait-il fondé à signer des accords au nom de tous les salariés, surtout quand ces accords exigent des sacrifices de la part de ces derniers ?

E & C : Comment expliquez-vous cette baisse des adhésions ?

D. L. : Les syndicats ne remplissent plus la fonction de «défense et recours» qui fut la leur jusqu'à la fin des années 1970, lorsque la principale activité des militants consistait à apporter aux adhérents une aide individuelle contre les licenciements, les sanctions... Ce travail était, certes, chronophage pour les militants et ne faisait pas avancer les «luttes», mais il permettait de gagner des adhérents et des électeurs. Le divorce entre les salariés et les syndicats commence, en décembre 1968, avec la création du délégué syndical (DS) nommé par le syndicat et le cumul systématique de ces fonctions avec le mandat de délégué du personnel (DP). Plus gratifiante, la fonction de DS a entraîné une disparition du DP des ateliers et des bureaux. Ce mouvement s'est amplifié avec l'octroi, par l'employeur, de moyens financiers aux sections syndicales et aux CE (lois Auroux 1982), qui ont permis aux syndicats de fonctionner pratiquement sans cotisations. Dès lors, à quoi bon se donner du mal pour recruter de nouveaux adhérents ? Sans parler des problèmes d'indépendance que pose cette subvention. Loin de renforcer les syndicats, leur financement par les entreprises et par l'Etat les a, en fait, affaiblis.

E & C : Fonder la représentativité d'un syndicat sur son audience renforce-t-il sa légitimité ?

D. L. : Non. D'une part, l'organisation d'élections de représentativité dans des centaines de milliers d'entreprises, à peu près dans le même temps, pose problème : qui établit les listes électorales, qui contrôle que les salariés peuvent aller voter, que le dépouillement est régulier... ? Certainement pas les syndicats, absents de la plupart des entreprises, ni l'administration du travail, déjà débordée.

D'autre part, et surtout, les élections ne changeront rien au fait que les syndicats ont disparu des lieux de travail et qu'ils ne rendent plus de services individuels aux salariés.

E & C : Que préconisez-vous pour renforcer les syndicats ?

D. L. : Il faut que le syndicat se recentre sur sa fonction, qui est d'aider le syndiqué à résoudre ses problèmes individuels sur le lieu de travail. En outre, il faut limiter le cumul des mandats de DP, DS et d'élu CE, et restaurer la fonction de DP. Par ailleurs, il serait logique que, pour ratifier un accord, les syndicats apportent préalablement la preuve qu'ils disposent d'un nombre suffisant d'adhérents. Enfin, il faut interdire toute subvention aux syndicats et remplacer le DS par un négociateur professionnel, appointé par le syndicat, afin de rééquilibrer la négociation collective. Actuellement, la négociation collective porte sur les thèmes apportés par les employeurs et selon leur agenda. Elle tourne souvent au simulacre.

E & C : Le faible nombre d'adhérents ne s'explique-t-il pas aussi parce que l'engagement syndical est mal vu par l'employeur ?

D. L. : Dans aucun pays au monde les employeurs ne voient d'un bon oeil l'apparition dans leur entreprise d'un syndicat libre et bénéficiant du soutien de leurs salariés. Dans certains, comme aux Etats-Unis, la répression syndicale est même féroce. En France, ce qui pose problème, c'est la perte de crédibilité des syndicats : les salariés ne leur font pas confiance.

E & C : Les syndicats remplissent des missions qu'ils qualifient d'« intérêt général » (prud'hommes, paritarisme...). Comment ces missions doivent-elles être financées ?

D. L. : Ces fonctions sont essentielles et il est important que les personnes qui acceptent de s'y consacrer soient correctement défrayées. Mais, en quoi cela justifie-t-il le versement de subventions publiques aux appareils syndicaux qui ne participent pas à ces missions d'intérêt général ? Or, ces subventions sont considérables : elles excèdent très largement les cotisations dans les ressources des fédérations et des confédérations.

E & C : Une des principales demandes patronales est l'autonomisation de la négociation d'entreprise par rapport à la négociation d'un niveau supérieur. Qu'en pensez-vous ?

D. L. : Tout dépend du modèle social que nous voulons. Le modèle «social-démocrate» donne la primauté aux négociations de branche, dont les résultats s'imposent à toutes les entreprises, qu'elles aient ou non un syndicat. Dans ce modèle, la sécurité sociale est gérée par les syndicats ou cogérée avec le patronat. Autrefois, les Français étaient attachés à ce modèle.

En revanche, le modèle libéral nord-américain donne la primauté à la négociation d'entreprise et réduit le reste à peu de chose. En dehors des régimes spécifiques à chaque entreprise, la sécurité sociale est l'affaire des assurances privées et de l'Etat providence, pas des partenaires sociaux. Nous tendons vers ce second modèle. Mais la faiblesse et les divisions syndicales, ainsi que la corruption rendent cette évolution dangereuse pour les salariés.

E & C : La représentativité des trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) devrait-elle être questionnée au même titre que celle des syndicats ?

D. L. : Dans une perspective sociale-démocrate, il est évident que, pour pouvoir engager les employeurs, les «négociateurs» parlant en leur nom doivent disposer de leur confiance. La récente affaire de l'UIMM montre que ce n'est pas une question de pure forme. En revanche, dans le modèle libéral - où seul le niveau de l'entreprise compte vraiment -, cette question est sans objet. Les organisations patronales sont des cartels qui défendent les adhérents (et seulement eux) auprès du Parlement, de l'Administration et des collectivités locales. Elles interviennent très peu dans la négociation collective.

* Auteur, avec Dominique Andolfatto, de Faut-il aider les syndicats ?, revue Le Débat n° 142 (nov.-dec. 2006), Gallimard ; Les syndiqués en France, éditions Liaisons, 2007.

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