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Ces entreprises qui mettent leurs emplois «en jeux»

Les pratiques | publié le : 15.04.2008 |

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Ces entreprises qui mettent leurs emplois «en jeux»

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Plusieurs business games ont fleuri, ces dernières années, dans les grandes entreprises. Le principe de ces jeux : proposer à des étudiants de se glisser dans la peau d'un cadre pour imaginer une campagne de pub, lancer un nouveau produit ou racheter une usine. Avec, à la clé, des embauches bien réelles pour certains d'entre eux.

Qui construira la future ligne ferroviaire Pretoria-Johannesburg ? Bouygues Construction espère décrocher le marché. Ses équipes ont 48 heures pour répondre à l'appel d'offres. Le timing est serré, la direction bichonne ses collaborateurs et les loge au château de Romainville, en région parisienne. Mais ils n'ont même pas le temps de profiter de leurs chambres luxueuses. En pleine nuit, il faut tout refaire : un fax tombe, la découverte de vestiges archéologiques remet en cause le tracé. Ce scénario rocambolesque est celui du «Défi Bouygues Construction». Et il a pour objectif de repérer et de recruter les futurs jeunes talents du groupe.

« Provoquer des événements avec nos écoles cibles »

Depuis quelques années, ces jeux de rôles, baptisés business games dans le jargon des entreprises, se multiplient. Ils sont souvent déployés à l'échelle européenne, voire internationale. Danone en est à la cinquième édition de «Trust», et de son moment phare, le «Trust Day». Les participants vivent, en un jour, les trois mois d'une filiale récemment acquise par le géant de l'agroalimentaire et développent une stratégie rentable à trois ans. « Les moyens traditionnels ne nous permettent plus de recruter en nombre et selon la qualité recherchée, explique Christine Gas, responsable de la communication RH. Il faut donc provoquer des événements avec nos écoles cibles, comme notre jeu Trust. » Depuis le lancement, en 2003, Danone a recruté 260 jeunes diplômés, en stage ou en CDI.

Equipes mixtes «écoles de commerce et d'ingénieurs»

Chez Bouygues Construction, la moitié des participants ont décroché un stage, un VIE ou un CDI. Le jeu leur a permis d'attirer l'attention de profils d'écoles de commerce et de management, « qui, pendant longtemps, ne se sont pas intéressés à notre univers d'ingénieurs. D'où l'idée d'engager dans un jeu des équipes mixtes écoles de commerce et écoles d'ingénieurs », raconte Vincent Nicot, DRH en charge du recrutement et des relations écoles.

Vivre les sensations d'un métier

Cap Gemini Consulting fait aussi plancher ensemble ingénieurs et purs produits des écoles de commerce, pour imaginer l'agence bancaire du futur en «Un jour et demi». L'idée : leur faire vivre les sensations du métier de consultant. « Nous réunissons une centaine de personnes sur des plateaux projets dans un espace modulable, conçu pour accélérer la créativité, où ils peuvent écrire sur les murs et travailler en musique. Nous n'avons rien trouvé de mieux pour leur faire toucher du doigt la réalité de notre métier », assure Fabienne Gaudy, chargée de mission ressources humaines.

Complexité industrielle

Le groupe L'Oréal, également, cherchait un moyen de mieux parler de ses métiers quand il a lancé son premier jeu, il y a seize ans, «L'Oréal Brandstorm». « Les étudiants connaissent souvent notre groupe et ses marques, mais pas toujours sa complexité industrielle en tant que business, ni ses métiers », estime François de Wazières, directeur international du recrutement. Depuis, le groupe de cosmétiques a lancé trois autres business games. Tous visent à développer l'image employeur du groupe dans des pays tels que l'Inde, le Brésil, la Chine ou le Mexique, où la notoriété des marques, elle, n'est plus à faire. « Dans ces pays, où notre business est en pleine croissance, nous avons de très gros besoins de managers. Les jeux nous aident à recruter des profils marketing, finances, ingénieurs et R & D. »

Avec «L'Oréal Brandstorm», le groupe recrute une centaine de personnes chaque année dans le monde. « Toutes de qualité. J'ai déjà vu des patrons de division se disputer les candidatures de certaines d'entre elles », s'amuse François de Wazières.

Ouverture vers les universités

Quelques-uns de ces jeux sont ouverts à tous les étudiants. Ce sont ceux qui tablent sur le volume. C'est le cas d'Euromanager, une compétition qui a la particularité d'être sponsorisée par plusieurs entreprises, dont SFR ou Areva. «E-strat Challenge», le jeu de stratégie de L'Oréal, fait concourir 44 000 participants de 2 200 établissements dans 130 pays. D'autres entreprises commencent, timidement, à ouvrir leurs business games aux universités, comme Danone ou Bouygues Construction. La Société générale, nouvelle venue sur le créneau, avec son «Citizen Act II», a retenu une équipe de l'IUP de Compiègne, parmi les 40 autorisées à concourir, pour imaginer la banque à l'horizon 2028.

Des écoles prestigieuses

Néanmoins, la plupart des business games s'adressent exclusivement aux plus prestigieuses écoles. « Les universités sont moins structurées à la manière d'une entreprise que les écoles. Il n'y a pas toujours un responsable transversal de la relation entreprises qui pourrait être notre interlocuteur. C'est chronophage », justifie Marie-Pierre Alerini, responsable des relations écoles chez SFR.

Pour Cap Gemini Consulting, les étudiants des universités n'ont tout simplement pas le niveau pour participer. « Notre jeu demande de la maturité professionnelle, or ces étudiants connaissent mal le monde de l'entreprise, car ils font très peu de stages au cours de leurs années d'étude », assure Fabienne Gaudy.

Du coup, la liste des écoles cibles ne varie guère d'une entreprise à l'autre : HEC, ESCP-EAP, Essec, Edhec, EM Lyon, Polytechnique, Centrale, Ponts & Chaussées, Dauphine ou encore Sciences po. Les entreprises en sont, en général, déjà partenaires. Le contraire serait d'ailleurs impossible à HEC, où il faut s'acquitter, au minimum, de la taxe professionnelle pour avoir accès aux étudiants. C'est encore mieux d'être membre de la fondation HEC, à 55 000 euros le ticket d'entrée annuel. « Le privilège d'entrer en contact avec nos étudiants est réservé aux entreprises qui s'intéressent à nous », explique Bérangère Pagès, directrice des relations avec les entreprises.

Avec la multiplication des jeux, la concurrence est devenue rude. Du coup, les groupes cherchent à se différencier. Ils n'hésitent pas à adapter leur jeu au programme des écoles pour l'intégrer dans un cours, ou à doter les concours de récompenses éblouissantes, avec remises des prix dans des cadres somptueux.

Une organisation coûteuse

L'organisation mobilise généralement beaucoup de moyens. « Au siège, à Paris, une équipe travaille à temps plein pour concevoir, préparer, organiser et diffuser nos jeux, explique François de Wazières. Le déploiement à l'étranger est confié aux équipes RH locales, qui sélectionnent les écoles participantes et mobilisent leurs managers opérationnels pour l'animation des jeux et l'accompagnement des étudiants. » Le budget, lui, reste secret, comme chez Danone. « Le coût est plus élevé qu'une annonce sur notre site Internet Danone people. Mais le retour sur investissement est bien meilleur. Il y a moins de risques d'échec que dans un recrutement classique, parce que le jeu a permis de vérifier que le candidat est en adéquation avec nos valeurs », explique Christine Gas. Ainsi, un an plus tard, les deux tiers des jeunes recrutés dans le cadre de «Trust» sont classés «juniors talents», contre un sur deux toutes voies de recrutement confondues.

Vincent Nicot parle, lui, de « cinq à six mois de préparation, pour un coût de 100 000 euros environ. C'est forcément plus cher qu'une opération classique de recrutement, de type forum, qui coûte 5 000 euros la journée, pour toucher 700 étudiants. Mais la différence, ce sont des jeunes davantage fidélisés, qui viennent chez nous en toute connaissance de cause. C'est un recrutement plus pérenne ».

Des motivations différentes

Le risque, avec la multiplication des business games, est de provoquer un essoufflement et de tarir cette source de candidats. « Les écoles sont extrêmement sollicitées, il y a trop de jeux qui se ressemblent », estime Séverine Jauffret, directrice des relations entreprise de l'Essec. Sur les campus, où certains jeunes se voient proposer jusqu'à 25 jeux par an, les étudiants ne sont pas si nombreux à vouloir participer. Moins d'une trentaine, par exemple, à HEC, sur un effectif total de 1 500 personnes, remarque Bérangère Pagès. Leur motivation n'est pas forcément celle des entreprises, explique-t-elle. « Ils sont attirés par l'ambiance ludique, et la possibilité de travailler en équipes avec des étudiants d'autres écoles, dans un environnement international, sur une thématique intéressante. Mais ce n'est ni le prix, ni la perspective d'être recruté qui les motive. » L'effort déployé par les entreprises est peut-être disproportionné.

L'essentiel

1 Des grands groupes proposent des business games, sortes de mises en situation professionnelle quasi grandeur nature dans des ambiances ludiques, destinés à faire connaître leurs métiers de l'intérieur et à recruter les meilleurs participants.

2 Les recruteurs visent tous les mêmes cursus hypersélectifs, bien que certains commencent, timidement, à ouvrir leurs jeux à quelques universités.

3 Ils déploient des moyens importants pour faire vivre ces jeux, considérés comme une arme stratégique de recrutement. Mais le créneau commence à être saturé.