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Sites web syndicaux : des sites comme les autres

Dossier | publié le : 20.05.2008 |

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Sites web syndicaux : des sites comme les autres

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Jean-Emmanuel Ray, juriste en droit du travail, passe en revue les conséquences découlant de l'arrêt Secodip du 5 mars 2008. Selon le directeur du master professionnel «RH-Sorbonne» (université de Paris I-Sorbonne), cette décision était très attendue, tant par la communauté RH que par les responsables syndicaux.

Une fédération CGT avait ouvert un site Internet début novembre 2004. Jugeant que plusieurs rubriques portaient atteinte à la confidentialité (profitabilité des créations publicitaires, primes, évolution des salaires...), la société Secodip avait assigné le 23 novembre. En janvier 2005, deux mois après la mise en ligne, le TGI de Bobigny ordonnait la suppression de plusieurs rubriques, décision censurée par la Cour de Paris, le 15 juin 2006, sur un inattendu attendu : « Comme tout citoyen, un syndicat a toute latitude pour créer un site Internet pour l'exercice de son droit d'expression direct et collectif. Aucune restriction n'est apportée à l'exercice de ce droit et aucune obligation légale de discrétion ou de confidentialité ne pèse sur ses membres. »

Arrêt légitimement cassé le 5 mars 2008 : « Si un syndicat a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site Internet, cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d'informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers. »

Il ressort de cette dernière décision quatre conséquences :

Contrairement à un site intranet, où c'est le nécessaire accord collectif qui fixe toutes les règles applicables (cf. CS 22 janvier 2008, affaire CIC), un site syndical externe ne relève pas du Code du travail : il est traité comme n'importe quel site Internet, personnel ou institutionnel : la liberté d'expression de 1789 reste la règle, mais il ne doit pas porter atteinte aux droits des tiers (entreprise, encadrement, autres syndicats...).

Comme l'a rappelé la Cour de cassation, le 8 avril 2008, dans le long feuilleton Areva/Greenpeace, syndicats et autres associations contestataires ne peuvent se voir limiter leur liberté d'expression, même s'ils l'utilisent de façon polémique, sinon provocante, sans de très solides raisons. Alors que la Cour de Paris avait condamné Greenpeace (« par la généralisation qu'elle introduisait sur l'ensemble des activités de la société, l'association avait été au-delà de sa liberté d'expression »), la Cour de cassation décidait que « cette association, agissant conformément à son objet, dans un but d'intérêt général et de santé publique, par des moyens proportionnés à cette fin, n'avait pas abusé de son droit de libre expression ».

La question n'est donc pas la gestion par un syndicat d'un site Internet - ce que personne ne conteste -, mais la mise en ligne d'informations confidentielles. « Le juge doit rechercher si les informations litigieuses avaient un caractère confidentiel », énonce la Cour de cassation. Puis, si c'est le cas, « était-il de nature à justifier l'interdiction de leur divulgation au regard des intérêts légitimes de l'entreprise ? » Or, ce contrôle de proportionnalité (liberté d'expression et de communication/protection des intérêts vitaux de l'entreprise) peut donner lieu à diverses interprétations dans notre société de la réputation. L'image d'une entreprise peut, en effet, être gravement et durablement dégradée par des remarques - pas toujours justifiées - dans des domaines pas forcément confidentiels, mais médiatiquement ultrasensibles (discriminations, pratiques commerciales douteuses...).

En pratique, la plupart des sites syndicaux font évidemment attention à ne pas divulguer des données appréciées par la concurrence. Ils limitent aux adhérents ou aux salariés de l'entreprise l'accès aux données sensibles, code d'accès à la clé. Et les entreprises ont intérêt à bien réfléchir avant d'entamer toute action : agir peut aboutir à la médiatisation d'un site jusqu'à présent consulté par son seul auteur.

Le temps d'Internet n'est pas celui du juge : l'arrêt du 5 mars 2008 a été rendu... quarante-deux mois après les faits ! La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 a donc prévu une procédure rapide car extra-judiciaire : mise en demeure officielle de l'hébergeur, avec demande précise de retrait immédiat du texte contesté. Si l'hébergeur « n'agit pas promptement » (dans les 24 heures, ce qui est déjà beaucoup), il pourra voir sa responsabilité civile engagée. Or, le revenu généré par l'hébergement d'un site syndical est sans commune mesure avec le risque financier et judiciaire que représente la menace exercée par une entreprise dotée d'un service juridique étoffé : généralement, l'hébergeur n'hésite donc pas à supprimer les documents contestés.

Reste alors, côté syndicats, le recours à des fournisseurs ne se laissant pas aussi facilement impressionner, comme le R@S (Réseau associatif et syndical), ou encore le choix d'un fournisseur d'accès implanté dans un pays exotique.

JEAN-EMMANUEL RAY