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Les pratiques

Italie Alitalia, victime de l'«assistancialisme», au bord du dépôt de bilan

Les pratiques | publié le : 20.05.2008 |

Après le retrait de l'offre d'achat d'Air France-KLM, Alitalia se rapproche du dépôt de bilan. Les observateurs italiens dénoncent l'intransigeance des syndicats et la complaisance des politiques pour une compagnie à la politique sociale extrêmement généreuse.

Soixante et un ans après sa naissance, l'un des grands symboles de l'excellence et du professionnalisme italiens traverse une crise peut-être fatale. Alitalia est devenu un puits sans fond - 5 milliards d'euros engloutis en quinze ans -, tandis que le destin de ses 20 000 salariés est suspendu à un fil, notamment après le retrait de l'offre d'Air France-KLM.

« Jusqu'en 1968, Alitalia était la compagnie de référence du continent africain, se souvient Sergio Arienza, ancien steward. Un de ses représentants comptait plus dans ces pays qu'un ambassadeur d'Italie. »

Comment cette compagnie qui, en 1970, reliait l'Italie à 70 pays, se situait au 7e rang dans le transport international et au 3e en Europe, a-t-elle pu devenir une Cendrillon du ciel ? A la fin des années 1970, alors que la «dérégulation», qui prive les compagnies des subsides publics, lance le bal des privatisations et des alliances en Europe, Alitalia, elle, reste en retrait.

Valse des gestionnaires et syndicats forts

Elle souffre de problèmes de gouvernance : valse des gestionnaires et poids des neufs syndicats de la compagnie. « Ils se distinguent par leur intolérable démagogie, estime l'économiste milanais Marco Ponti. La compagnie, intouchable, étrangère au concept de méritocratie, est devenue un dogme tant pour les politiques que pour les syndicats. » Dernier exemple en date : le plan d'Air France-KLM prévoyait de supprimer le secteur cargo. Les représentants des salariés ont voulu mordicus le préserver, bien qu'il compte 180 pilotes pour 5 avions et perde 74 millions d'euros par an. « Les syndicats ont démontré leur immense déficit culturel par rapport aux logiques de la globalisation. N'oublions pas que c'est à cause d'eux, qui décidaient de faire grève quand et comme ils le voulaient, que l'Etat a dû adopter des lois pour réglementer le droit de grève dans l'ensemble du secteur public », souligne Carlo Scarpa, professeur d'économie industrielle.

Plan de restructuration sacrifié

Et la force des représentants des travailleurs est telle que les Pdg finissent toujours par sacrifier leur plan de restructuration sur l'autel de la paix sociale. Encore aujourd'hui, alors que la compagnie, au bord du dépôt de bilan, perd 1 million d'euros par jour, les pilotes et les membres de l'équipage restent une caste privilégiée. Les pilotes ne doivent pas voler plus de 100 heures par mois, 85 pour les vols moyen-courriers. Les assistants de vol, dont le taux d'absentéisme moyen est de 11 %, volent environ 595 heures par an - soit 98 minutes par jour ! - contre 850 heures chez Iberia et 900 chez Lufthansa.

Une hôtesse d'Alitalia coûte à la compagnie 86 533 euros par an contre 33 000 au concurrent Air One. Le commandant d'un Md 80 Alitalia : 198 538 euros contre 145 000 dans les autres compagnies italiennes. Alitalia consacre 23 % de ses recettes aux salaires et primes, dont les dirigeants ne sont pas spoliés. Ainsi, Giancarlo Cimoli, le Pdg en poste de mai 2004 à février 2007, percevait-il 190 375 euros par mois !

« Ce cocktail d'horaires réduits et de salaires élevés serait mortel pour toute entreprise », observe Carlo Scarpa. D'autant qu'un avion Alitalia voyage avec un équipage plus fourni de 30 % en moyenne que ceux des concurrents.

Illustration type du cas Alitalia : les 300 chambres d'hôtel réservées en permanence à Milan pour les navigants qui refusaient de déménager de Rome pour servir à partir de la plate-forme de Malpensa, ouverte en 1998, et qu'Alitalia vient d'abandonner. Chaque année, 45 millions d'euros ont été dépensés à cet effet. La région de Rome étant un formidable réservoir électoral, les gouvernements successifs se sont tus.

Logique corporatiste

Pour l'éditorialiste du quotidien économique Il sole 24 ore, Stefano Folli, « la gestion du personnel est un cas clinique quasi désespéré ». Comme de nombreux experts, il considère que la crise d'Alitalia puise ses origines dans l'irresponsabilité des politiques, qui ont agi en fonction de leurs intérêts personnels - et en appliquant la philosophie de l'«assistancialisme» - et dans celle des syndicats, enfermés dans une logique corporatiste qui risque d'être suicidaire.