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« La reconnaissance, un enjeu prioritaire pour les DRH »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 10.06.2008 |

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« La reconnaissance, un enjeu prioritaire pour les DRH »

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Les nouvelles formes d'organisation du travail entraînent de multiples contradictions : individualisation de l'évaluation des performances et éloge du collectif ; hymne à l'autonomie dans le travail et restriction des ressources, etc. Les pratiques RH doivent évoluer pour accompagner ces tensions.

E & C : Quels sont les principaux changements sociologiques de la valeur travail que vous constatez ?

Michel Lallement : Il y a trois dimensions dans le fait de travailler : avoir des revenus, avoir un statut dans la société et des droits associés, et, enfin, se construire une identité, être reconnu et exister aux yeux des autres. Ce qui change, à moyen terme, est que la dimension «revenu» est moins valorisée qu'il y a vingt ans et que les deux autres le sont de plus en plus. Bien sûr, il existe des variations importantes selon les qualifications et les générations. Ces évolutions ont des conséquences en termes de stratégies RH.

En outre, le travail n'est plus le même. Il y a à la fois plus d'autonomie, plus de contraintes et plus de stress. Mais toutes ces transformations n'impliquent pas une crise ! Contrairement aux discours politiques qui l'évoquent sans cesse, les enquêtes montrent un rapport positif au travail. Avec la famille et la santé, il reste une valeur centrale dans laquelle une grande majorité se reconnaît. Il constitue quelque chose de souhaitable et de désirable.

E & C : Vous notez, dans votre ouvrage Le travail. Une sociologie contemporaine, qu'avec l'épuisement du taylorisme, les nouvelles organisations du travail entraînent de multiples contradictions, voire des perversions...

M. L. : La première de ces contradictions est le fait qu'il demeure un sentiment diffus d'incertitude, d'insécurité, qui est frappant, alors que 85 % des salariés sont en CDI. D'autre part, chez certaines personnes, notamment dans le secteur public, il existe un grand écart entre un emploi stable et des conditions de travail difficiles, voire détestables. « Je suis invisible dans mon boulot », disent-elles en substance. Cela crée de la souffrance, du désinvestissement - par exemple, une demande de temps partiel - ou des attitudes plus symboliques comme de ne pas déjeuner avec ses collègues.

Par ailleurs, depuis vingt ans, les entreprises se modernisent, les marges de manoeuvre des salariés augmentent, les prescriptions directes diminuent. Le taylorisme s'épuise, à la fois parce que les salariés sont plus qualifiés et réclament plus d'autonomie et parce que les entreprises ont voulu avoir des salariés plus responsables. Mais, là encore, la situation est paradoxale, car il s'agit d'une autonomie sous contrôle, avec des contraintes qui pèsent lourdement, celles des clients, des pairs, de la hiérarchie. Les salariés travaillent sous la pression, mais sans disposer des moyens et des ressources pour la vivre. Il s'agit là de la contradiction la plus forte. Le travail perd alors de son sens. La montée en puissance de la souffrance au travail, qui peut aller jusqu'au suicide, est l'un des effets les plus délétères de ces nouvelles formes d'organisation.

Enfin, les politiques RH, de plus en plus personnalisées, peuvent faire sens pour reconnaître les mérites et les compétences, mais elles peuvent également virer à l'absurde. Par exemple, en introduisant trop de concurrence entre collaborateurs, le salarié perd la finalité, les objectifs communs. On casse les collectifs. Il ne faut pas que le moyen - l'individualisation - prenne le pas sur la fin, la reconnaissance des mérites.

E & C : Comment les politiques RH peuvent-elles accompagner ces mutations ?

M. L. : Il y a, tout d'abord, la question de la formation. On constate que les salariés les moins impliqués sont ceux qui ont le moins de formation continue. Alors que les horizons des entreprises se raccourcissent de plus en plus, il est important, pour redonner du sens, de ne pas se contenter de diffuser de l'information «top down», il faut également inventer des espaces de discussion horizontaux pour pouvoir dire ses inquiétudes.

Un autre axe de réflexion est celui de la stabilisation de l'emploi. Les salariés ne refusent pas la flexibilité, ils sont prêts à venir travailler un samedi ou à finir plus tard, mais, en échange, ils attendent davantage de planification. La flexibilité n'est pas l'ennemi de la stabilisation ! Il y a là des outils RH à inventer.

Ensuite, il me semble qu'il faudrait davantage déculpabiliser les salariés pour alléger leurs difficultés. Les injonctions paradoxales sont lourdes à vivre et les salariés ressentent les dysfonctionnements comme des échecs personnels. Il faut reconnaître qu'ils peuvent être les effets du système, qu'il y a des responsabilités collectives en jeu.

Enfin, l'enjeu de la reconnaissance doit faire partie des priorités des DRH si on ne veut pas que les conditions de travail soient paralysantes. Les gens sont prêts à donner à l'entreprise, à condition qu'il y ait, en contrepartie, une reconnaissance de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font. Les salariés attendent un contrat clair et des moyens pour le remplir. Ils veulent également un balisage de leur parcours professionnel. Il faudrait prendre le temps de faire un point, de remettre à plat la carte des métiers et, peut-être, de constater qu'une personne est payée deux fois moins qu'une autre pour le même métier. Il faut viser la transparence dans les prévisions de carrière.

Derrière la question des conditions de travail et de la modernisation du contrat de travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences revient sur le devant de la scène, avec, peut-être, l'opportunité que l'aspect «prévisionnel» soit davantage pris en compte, et pas seulement celui des compétences, dont on a beaucoup discuté.

Enfin, la question de la conciliation travail-hors temps de travail devient un enjeu de plus en plus important, y compris chez les hommes, qui se sentent davantage «pères» que leur propre père.

Pour accompagner au mieux ces mutations, les DRH doivent veiller à ne pas délaisser leur rôle d'information et de communication, même si l'on assiste à une technicisation de plus en plus grande de leur fonction et à la judiciarisation des relations de travail.

Parcours

• Sociologue, Michel Lallement est professeur titulaire de la chaire d'analyse sociologique du travail, de l'emploi et des organisations au Cnam (Paris). Il est également directeur du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise-CNRS).

• Il a publié, notamment, Le capital social. Performances, équité, réciprocité (La découverte, 2006) ; Temps, travail et modes de vie (PUF, 2003), et Le travail. Une sociologie contemporaine (Gallimard, 2007).

Lectures

Au-delà du stress au travail, Marie Buscatto, Marc Loriol, Jean-Marc Weller, Erès, 2008.

Les cadres à l'épreuve, Alain Pichon, PUF, 2008.

La quête de reconnaissance, nouveau phénomène total, sous la dir. d'Alain Caillé, La Découverte, 2007.