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La RSE à petits pas

Enquête | publié le : 01.07.2008 |

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La RSE à petits pas

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En cette année olympique, les droits des travailleurs chinois sont sous les feux des projecteurs. Généralisation des codes et chartes éthiques imposés aux filiales locales et aux fournisseurs, multiplication des audits sociaux, accords-cadres internationaux... Les multinationales veulent maîtriser les risques. Et la nouvelle loi sur le travail prévoit des droits supplémentaires. Mais, sur le terrain, les ONG constatent qu'il reste une longue marche à accomplir vers la RSE.

Les jeux Olympiques sont une épreuve redoutable pour un pays organisateur. Le CIO ayant validé sa candidature, la Chine se retrouve, plus que jamais, sous le faisceau des projecteurs à l'approche de l'événement. Et les rapports des syndicats internationaux ou des ONG qui défendent les droits des travailleurs, dans ce pays dont le réservoir de main-d'oeuvre et les faibles coûts du travail ont fait l'«usine du monde», obtiennent un écho amplifié en cette année olympique.

« L'exploitation des travailleurs persiste », constatait le rapport sur les normes du travail publié par la Confédération internationale des syndicats en mai dernier.

Réquisitoire

Un mois plus tôt, le collectif Play Fair (CSI, Clean Clothes Campaign et la FITTHC*) livrait un réquisitoire de 80 pages sur les conditions de travail dans les «sweatshops» des fournisseurs d'équipementiers sportifs internationaux (1). Le document, établi sur la base de 300 témoignages d'ouvriers de ce secteur, détaille, par exemple, le cas de Yue Yuen, fabricant de Hong Kong au nom méconnu, qui produit pourtant une paire de chaussures de sport sur six dans le monde, notamment pour Adidas, Nike ou New Balance, et compte plus de 40 000 travailleurs. Les objectifs de production ont conduit à limiter les temps de repas et les pauses et à augmenter les cadences, selon le rapport.

232 heures sup' par mois

Dans le delta de la rivière des Perles, l'une des principales régions de production, les ouvriers de l'usine Joyful Long, où sont cousus des ballons pour Adidas, Nike, Umbro et Fila, peuvent cumuler 232 heures supplémentaires par mois et perçoivent des salaires inférieurs au minium légal, assurent les enquêteurs de PlayFair 2008.

Or, ces donneurs d'ordres ont édicté, depuis une quinzaine d'années, des codes de conduite censés assurer le respect de minima sociaux, d'hygiène et de sécurité chez leurs fournisseurs. Ils pratiquent ou font pratiquer d'innombrables audits de conformité à ces codes ou à des normes sociales internationales.

« Ce n'est pas toujours suffisant, explique un auditeur social familier des entreprises chinoises. Il faut bien reconnaître que, jusqu'ici, un audit social était plus facile à mener en Europe de l'Est ou au Maghreb qu'en Chine. Très souvent, un employeur chinois était en mesure de fournir des documents démontrant la «compliance» de l'entreprise sur l'âge, le temps de travail, le salaire... Mais les auditeurs se rendaient compte que les informations pouvaient être fausses. »

Effets pervers

Sans compter que les exigences sociales des donneurs d'ordres sont susceptibles de générer des effets pervers. Exemple avec les temps de pause réduits et les cadences renforcées de Yue Yuen, dont plusieurs commanditaires internationaux avaient demandé qu'il réduise les quotas énormes d'heures supplémentaires. « Certains donneurs d'ordres ont essayé d'allonger les délais liés à leurs commandes, explique aussi le patron du «sourcing» d'un distributeur français. Ils se sont vite rendu compte qu'au lieu de limiter les cadences et les heures supplémentaires, leur fournisseur avait accepté d'autres commandes et gardé le même plan de charge. »

Pourtant, la prise de conscience de l'exigence sociale devient réelle dans des entreprises pionnières. Jacques Igalens (2), professeur à l'université de Toulouse et président d'honneur de l'Institut de l'audit social (IAS), observe une évolution accélérée : « Ces changements datent de moins d'un an, dus sans doute, pour une part, à l'«effet JO», mais aussi à l'arrivée aux commandes d'une génération de jeunes managers chinois, formés dans le domaine des RH et déterminés à jouer le jeu du respect des standards sociaux. »

Nouveau code du travail

Ils y seront aidés par la volonté gouvernementale d'évoluer : le nouveau code du travail, en vigueur depuis janvier 2008, impose des contrats de travail, des CDI dans certaines conditions, et renforce le rôle du syndicat (lire ci-dessous). Si la direction est affichée, les observateurs mettent encore en garde sur la capacité du pays à la faire respecter à brève échéance.

De leur côté, les entreprises multinationales, toujours plus sensibles au risque d'image, s'efforcent de le maîtriser. Certaines en continuant de travailler sur les méthodes et les conditions de l'audit : c'est ce qu'ont choisi 14 distributeurs français en mutualisant leurs contrôles dans le cadre de l'Initiative clause sociale de leur fédération nationale (FCD) (lire p. 31).

Auditeurs natifs

« Nous sommes capables de payer très cher des natifs formés en occident avec une première expérience de la production, pour en faire des auditeurs internes », explique, de son côté, le responsable des rémunérations d'un équipementier automobile français.

Les employeurs chinois sont aussi devenus plus réceptifs aux exigences de donneurs d'ordres, qui, de leur côté, les accompagnent. « La rotation des contrats est rapide, mais quand une usine est intéressante, on repart avec elle, explique Bruno Colombani, responsable éthique de Casino. Nos acheteurs l'ont compris, les relations de plus longue durée permettent de faire progresser les fournisseurs. » Même le traditionnel écueil de la liberté syndicale, dans ce pays qui ne reconnaît pas les conventions de l'OIT qui s'y rapportent et qui impose un syndicat unique lié au PC, peut aujourd'hui être mieux abordé. La nouvelle loi sur le travail renforce la négociation sociale, alors que, dans la plupart des cas, les syndicalistes officiels chinois ne géraient guère, jusqu'ici, que la cantine ou les oeuvres sociales.

L'All Chinese Federation of Trade Unions (ACFTU), centrale syndicale chinoise, semble se préparer au changement. Elle a pris des contacts, par exemple, avec l'Icem, fédération internationale de la chimie, des mines et de l'énergie, signataire d'accords mondiaux avec Rhodia (lire p. 25), Lafarge, BASF, en vue de préparer des réunions avec les syndicalistes.

Benchmark social

Les multinationales présentes en Chine ont choisi, le plus souvent, d'appliquer leur code ou leur accord « dans le respect de la législation locale », c'est-à-dire avec des syndicalistes officiels. Néanmoins, leurs interlocuteurs pourraient progresser rapidement. C'est le cas chez EDF, où le comité de dialogue sur la responsabilité sociale (CRDS), qui suit l'application de l'accord-cadre international de l'entreprise, compte parmi ses membres le représentant chinois de salariés (lire ci-contre).

Quelques entreprises, comme Pentland (Lacoste, Ellesse...), choisissent la solution des «moyens parallèles», en suscitant une représentation non officielle des salariés (lire p. 28).

Période de transition

La RSE en Chine est une politique des petits pas. La période de transition que vit l'économie risque de dévoiler d'abord une Chine à deux ou trois vitesses : celle des filiales, des joint ventures et des fournisseurs importants dans les zones bien contrôlées par les autorités et marquées par les pénuries de main-d'oeuvre ; celle des fournisseurs de second rang, dans des régions moins exposées ; et, enfin, celle des travailleurs migrants, venus des campagnes, par exemple pour bâtir le Pékin olympique, mais privés de droits sociaux par la nature discriminatoire du «hukou», système chinois d'enregistrement de résidence.

* Fédération internationale des travailleurs du textile, de l'habillement et du cuir (220 organisations affiliées dans 110 pays, plus de 10 millions de travailleurs membres).

(1) <http://www.playfair2008.org/docs/ Surmonter_les_obstacles. pdf>

(2) Lire Audit social, J. Igalens et J.-M. Peretti, Eyrolles, 2008.

L'essentiel

1 Une nouvelle fois cette année, des rapports d'ONG alertent sur les multiples violations des droits des travailleurs en Chine, malgré la nouvelle loi sur les contrats de travail.

2 Les multinationales présentes sur place déploient des politiques de RSE dans leurs filiales et disent les imposer à leurs fournisseurs. Mais le contrôle des engagements reste délicat.

3 Néanmoins, l'ouverture internationale et les tensions du marché de l'emploi devraient favoriser la prise en compte des standards sociaux, dans certains secteurs et régions en tout cas.

Une loi favorable aux salariés

« La nouvelle loi sur les contrats de travail est globalement favorable aux salariés, analyse Li Hua, avocate au cabinet Gide Loyrette Nouel de Pékin. Elle sécurise l'emploi et renforce le rôle des syndicats. » Depuis le 1er janvier, toute relation de travail doit, en effet, être officialisée par la signature d'un contrat écrit au contenu détaillé. La société risque de lourdes sanctions financières en cas de non-respect. La nouvelle loi prévoit aussi qu'après dix ans dans la même entreprise ou après deux CDD, les contrats deviennent automatiquement des CDI.

Fait révolutionnaire, les syndicats doivent désormais être consultés pour l'établissement du règlement intérieur, en cas de licenciement individuel ou collectif et dans le cadre des futures conventions collectives régionales ou de branche.

Le syndicat unique en mutation

La question du syndicalisme est toujours délicate en Chine où la All China Federation of Trade Unions (ACFTU) reste l'unique représentante des travailleurs. Mais, selon Li Hua, le temps où ce syndicat n'était que la courroie de transmission du Parti, dans des entreprises toutes étatisées, est révolu, et l'ACFTU a désormais son rôle à jouer. Cela dit, la loi n'indique pas clairement si l'avis du syndicat doit être suivi par la direction.

« La loi ne protège que ceux qui la comprennent, tempère Guo Peiyuan, le directeur de Syntao, un cabinet spécialisé dans la stratégie RSE. Les travailleurs les plus pauvres n'en connaissent pas le contenu et le rapport de force avec leur employeur les empêche de faire respecter leurs droits. » En outre, après l'accueil très mitigé que lui a réservé la communauté des affaires en Chine, les futurs décrets d'application risquent de limiter le rôle des syndicats et des conventions collectives encore floues.

Moins médiatique, la nouvelle loi sur l'arbitrage, en vigueur depuis le 1er mai, soutient au moins autant les travailleurs chinois. Elle a considérablement raccourci le temps nécessaire pour régler les conflits, et des services d'arbitrage sont proposés gratuitement aux employés. Résultat : en 2008, Canton, où se trouve concentrée une grande part de la production destinée à l'exportation, a vu ces procédures augmenter de plus de 300 %.

ÉMILIE TORGEMEN, À SHANGAI

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