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Les pratiques

Rupture conventionnelle : prudence !

Les pratiques | publié le : 01.07.2008 |

Présentée comme une simplification des relations entre employeur et salarié souhaitant se quitter d'un commun accord, la rupture conventionnelle, effective depuis juin dernier, n'est pas sans risque. Beaucoup de questions demeurent. A consommer, donc, avec modération.

Une des mesures de l'accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, la rupture conventionnelle, a été adoptée le 12 juin. Imaginé pour lever l'hypocrisie entourant certains licenciements, ce nouveau dispositif veut sécuriser la rupture des contrats de travail d'un commun accord. Pour autant, il ne semble pas si simple et pose de nombreuses questions aux praticiens du droit social. Selon Isabelle Ayache-Revah, avocate associée au cabinet Raphaël, la sécurité juridique n'est toujours pas acquise : « C'est davantage la fin des démissions que celle des contentieux. Effectivement, on réduit à douze mois le délai de contestation d'un licenciement contre trente ans auparavant, mais on ajoute une instance de contrôle (la direction départementale du travail, NDLR). » D'ailleurs, la loi prévoit, d'ores et déjà, le recours aux prud'hommes si besoin. « Et la procédure préalable de conciliation obligatoire, ajoute Cyril Catté, du cabinet Gibier, Souchon, Festivi et Rivierre. Cette conciliation existe déjà et l'on sait qu'elle n'aboutit pas fréquemment. »

Problèmes de fond comme de forme

Plus concrètement, sur le déroulé de la procédure elle-même, des problèmes de fond comme de forme apparaissent. Quand peut-on la déclencher ? Le texte indique qu'une rupture conventionnelle est exclue dans le cadre d'un accord collectif de GPEC et d'un plan de sauvegarde de l'emploi. « Et en cas d'accord pour se séparer après un constat de faute ou d'insuffisance professionnelle ? », questionne Me Catté.

Par ailleurs, « le texte prescrit un délai de rétractation de quinze jours. Imaginons que le salarié refuse, finalement, la rupture le dernier jour, alors que l'homologation a été demandée à la direction départementale du travail. Celle-ci valide la convention. Quelles règles s'appliquent ? Est-ce que la rétractation fait tomber l'homologation ? », ajoute Cyril Catté. Ce droit à la rétractation rend d'ailleurs perplexe Jean-Jacques Castanet, associé du cabinet IDAvocats et membre du conseil national des Barreaux : « S'il est tout à fait admissible dans le droit à la consommation, il pose un sérieux problème dans l'entreprise. Quid de la poursuite d'une collaboration de travail durable ? »

Autre détail pratique : les périphériques de la rémunération. « Voiture de fonction, ordinateur portable... Faut-il les faire figurer dans la convention ? », signale Yves Fromont, avocat au cabinet Fromont, Briens & Associés. En effet, la rupture d'un commun accord ne signifie pas forcément que le salarié renonce à certains de ces droits. En la matière, Jean-Jacques Castanet pense au rappel de salaires, aux heures supplémentaires, à d'éventuels dommages et intérêts en vertu du non-respect du principe «à travail égal salaire égal», aux stock-options... « Il y a tout un ensemble de points qui concernent l'exécution du contrat de travail non résolus par la rupture. »

Contentieux

Reste le contentieux. Le conseil des prud'hommes a été déclaré seul compétent. « Il intervient donc après que la direction départementale du travail a validé la convention. Sur quoi va alors se porter son contrôle ? », souligne Me Fromont. D'autant plus qu'il n'y aura pas de lettre de licenciement. « Dans une affaire classique de licenciement ou lors de l'annulation d'une transaction, les conseillers prud'homaux examinent le contenu et le sérieux de cette lettre. En son absence, de quoi allons-nous parler ? », renchérit Me Catté.

Selon Me Ayache-Revah, les contentieux porteront essentiellement sur la validité du consentement. « Autrement dit, les salariés reprocheront à leur employeur de ne pas avoir eu toutes les informations inhérentes aux motivations et aux conséquences de la rupture. » Parmi ces motivations litigieuses, les praticiens pointent tous du doigt la tentation d'employeurs peu scrupuleux de dissimuler un motif économique. « Ou de se débarrasser de leurs salariés âgés de 57,5 ans à 60 ans, craint Me Agnès Cloarec-Mérendon, de Latham & Watkins. Ces derniers seront alors au chômage, dispensés de recherche d'emploi* et recevront des indemnités de départ bénéficiant du régime fiscal et social des indemnités de rupture. La dérive est grande. »

Respect de la procédure

Cela étant dit, quelques précautions sont de mise. La principale concerne le respect pas à pas de la procédure. Il est même conseillé d'en faire plus. Ainsi, Cyril Catté trouve judicieux d'anticiper toute contestation en formalisant par écrit l'accord mutuel, suivi d'une explication relative aux raisons de la séparation, si l'accord a été précédé de désaccords. Marion Ayadi, avocate associée au cabinet Raphaël, conseille même de faire des comptes-rendus d'entretien et de rédiger des mails dans lesquels l'employeur récapitule ce qui s'est dit. Attention aussi à l'énoncé du motif. Aucun doute n'est admis. « Si l'employeur laisse entrevoir que le poste de la personne est menacé, c'est mal parti. Or, si celui-ci va subir des modifications, refusées par le salarié, c'est mieux », décrit Yves Fromont.

En tout état de cause, « mieux vaut éviter d'utiliser cette rupture conventionnelle lors d'un conflit individuel latent », conseille Jean-Jacques Castanet. Et, évidemment, prévoir des indemnités décentes, respectueuses de la loi. Là aussi, « un soin tout particulier devra être apporté au solde de tout compte avec, précisés, les sommes perçues, le coût éventuel d'une formation, voire d'un outplacement. Plus les conditions financières seront détaillées et avantageuses, moins il y aura de contestation », suggère Marion Ayadi. Dernier conseil de prudence : se garder de s'engouffrer tout de suite dans cette procédure. En clair : mieux vaut attendre que d'autres essuient les plâtres.

* La dispense de recherche d'emploi devrait progressivement disparaître, l'extinction totale étant prévue en 2013.

Les modalités de la rupture conventionnelle

L'organisation d'un ou plusieurs entretiens préalables, durant lesquels les parties peuvent se faire assister d'un représentant d'une IRP de l'entreprise ou d'une personne de leur choix appartenant à l'entreprise. En l'absence d'institution représentative, un conseiller peut être choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.

A compter de la signature de la convention, les parties disposent d'un délai de rétractation de quinze jours calendaires.

Passé ce délai, l'une des parties adresse une demande d'homologation à la DDT (un modèle devrait être mis au point par arrêté), qui dispose, à son tour, de quinze jours ouvrables pour un contrôle de conformité. Son silence vaut accord tacite.

La procédure, lorsqu'elle concerne des salariés protégés, suppose l'autorisation de l'inspecteur du travail.

Le montant de l'indemnité ne peut être inférieur à l'indemnité légale de licenciement, soit au minimum 1/5e de mois par année d'ancienneté. L'ensemble des sommes est non assujetti aux charges sociales et défiscalisé.

La rupture conventionnelle donne droit à l'allocation d'assurance chômage.

L'une des parties dispose d'un an pour contester cette rupture devant le conseil des prud'hommes.

L'essentiel

1 Contenu dans l'ANI du 11 juin 2008, le nouveau dispositif de rupture conventionnelle devait simplifier la séparation «à l'amiable» entre un employeur et son salarié.

2 Selon les avocats spécialisés, le déroulé de cette procédure n'est pas sécurisé. Les risques de contentieux sont importants.

3 Conseil de prudence des experts : ne pas se précipiter sur ce nouveau dispositif et respecter scrupuleusement la procédure.

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