Michel Godet a certainement un goût prononcé pour la réflexion à contre-courant. En pleine crise de l'emploi, il annonçait un retournement conjoncturel de la situation avec le départ à la retraite des enfants du baby-boom. Aujourd'hui, en plein catastrophisme lié à la mondialisation, il se plaît à annoncer des lendemains souriants pour peu qu'on sache, ici et ailleurs, utiliser à plein les ressources humaines en mettant un terme aux privilèges.

Certes, le trait est sans doute volontairement forcé et on sent bien qu'existe dans les propos de l'auteur le désir de porter les choses à l'extrême pour faire bouger l'opinion. Pourtant, comment n'être pas d'accord quand il évoque les désillusions de l'école, par exemple, ou encore l'hypothèse que le problème du travail en France vient aussi du fait que le gâteau de l'emploi est jalousement gardé par les «héritiers», y compris ceux qui se revendiquent de gauche ?

Cependant, quand ce discours, prétendument de «bon sens», caresse systématiquement le libéralisme dans le sens du poil, on peut s'interroger sur le type d'évidence qui lui sert de caution. Pour revenir sur cette tradition un peu suspecte qui consiste à se prévaloir du sens commun pour naturaliser ses idées, il n'est peut-être pas inutile de rappeler, avec Descartes, que, de bon sens, « chacun pense être pourvu », tandis que Pascal, son contemporain, conseillait un relativisme prudent, rappelant que ce qui était vérité au-delà des Pyrénées pouvait être perçu comme une erreur en deçà. De quoi, peut-être, ramener la réflexion de Michel Godet à une opinion, certes argumentée et intéressante, mais à prendre quand même avec quelques pincettes critiques.

Michel Godet est professeur au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire prospective stratégique.