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« Les CEE ont besoin d'être mieux informés »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 09.12.2008 |

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« Les CEE ont besoin d'être mieux informés »

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La directive sur les comités d'entreprise européens (CEE), adoptée en 1994, est en cours de révision. Au coeur de l'enjeu : une meilleure information des représentants des salariés afin qu'ils puissent agir en amont des restructurations, fusions ou rachats d'entreprises.

E & C : La première directive sur les comités d'entreprise européens (CEE) date de septembre 1994. Mais quand et pourquoi le concept s'est-il d'abord développé ?

Anne-Marie Grozelier : C'est une vieille histoire. L'idée a été lancée en 1970 par un syndicaliste américain de la chimie, Charles Levinson, devant la montée des multinationales. Les comités d'entreprise européens ont vu le jour en France, puis en Allemagne dans les années 1980, précédant, de fait, la directive. Les premiers accords créant une instance européenne de représentation des salariés ont été signés par des entreprises qui prenaient conscience que l'espace du dialogue social devait correspondre au périmètre des relations économiques. L'ancêtre du comité a été mis en place par Thomson, en 1985, puis il y a eu BSN Danone, en 1986, Saint-Gobain, en 1988, et Volkswagen, en 1990. Le phénomène est probablement lié à l'histoire de ces groupes, au fait que les comités d'entreprise y étaient déjà présents au niveau national. A Saint-Gobain, par exemple, l'investissement dans l'instance européenne était aussi un moyen de faire passer la culture de l'entreprise dans tous les établissements du continent, en particulier la culture sociale. D'autres groupes, en revanche, ont attendu l'obligation légale pour le faire, comme Michelin, qui a résisté plusieurs années avant de signer un accord, en 1999.

E & C : La directive de 1994 a-t-elle permis de changer la donne ?

A.-M. G. : Tout dépend des traditions sociales des pays. En Allemagne, les CE font partie d'une longue tradition de démocratie sociale. Ils ont l'habitude d'être informés et consultés sur les conditions de travail, la sécurité, l'hygiène, ou les heures supplémentaires. En Italie ou en Grande-Bretagne, les comités d'entreprise n'existent pas. Le système de relations sociales de ces pays s'en trouve fortement modifié. Mais, surtout, la mise en place de ces instances européennes a initié une sorte de métissage social. Les salariés français de l'ex-Rhône-Poulenc, devenu Bayer, par exemple, découvrent la pratique de la codétermination au quotidien. Les Britanniques bénéficient du droit à l'information sur les projets de restructuration de leur entreprise. Même les syndicats américains jettent un oeil intéressé sur le CEE d'IBM.

E & C : Combien de comités d'entreprise européens ont été créés à ce jour ?

A.-M. G. : On est encore loin du compte. Aujourd'hui, sur environ 2 000 grandes entreprises implantées en Europe, 820 en ont un, ce qui représente 14,4 millions de salariés.

E & C : La directive est-elle contraignante ? Et dans quel sens va-t-elle être révisée ?

A.-M. G. : Elle s'applique aux entreprises de dimension communautaire employant au moins 1 000 salariés, dont au moins 150 dans deux Etats différents, et elle renvoie à la négociation d'un accord pour définir l'ensemble des conditions. Elle fixe cependant des prescriptions minimales telles que l'effectif du comité (3 à 30), ou la fréquence d'au moins une réunion par an... Les enjeux de la révision de la directive, en chantier depuis 2003, sont d'élargir le nombre d'entreprises concernées en abaissant les seuils d'effectifs, de renforcer les droits des représentants des salariés, de prévoir des sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations, et, surtout, de résoudre les difficultés de fonctionnement engendrées par l'accélération des fusions et des rachats d'entreprise, qui bouleversent les modalités de fonctionnement des CEE, a fortiori lorsque le siège social change de nationalité.

La révision est en cours et pourrait être adoptée d'ici à la fin de l'année. Enfin, il faut l'espérer ! La Confédération européenne des syndicats et Business Europe, l'organisation patronale européenne, ont fini par se mettre d'accord sur une position commune. Il s'agit, entre autres, d'améliorer les informations transmises aux représentants des salariés afin de leur permettre de jouer leur rôle. Ce qui est essentiel, c'est que les CEE puissent être informés en temps utile, pour éventuellement agir en cas de restructuration, de fusion, ou de rachat.

E & C : Quel est l'enjeu pour les négociations transnationales ?

A.-M. G. : Les CEE ont souvent été à l'origine des négociations transnationales qu'on a vu apparaître à partir de 2000. Là aussi, les faits précèdent le droit, car les CEE ont pour fonction l'information et la consultation, pas la négociation. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le comité d'entreprise européen de General Motors a joué un rôle pionnier. Pour la première fois, un CEE dépassait le cadre de ses prérogatives pour s'engager dans la négociation. Depuis 2000, il y a eu cinq accords. Le deuxième, en 2001, est intervenu après un conflit du travail lancé au niveau européen, avec des grèves dans différentes filiales pour s'opposer à la fermeture du site de Luton, en Grande-Bretagne. L'implication du CEE, soutenu par la fédération syndicale européenne de la métallurgie, a permis de négocier, directement avec la direction au niveau européen, un accord qui sauvegarde l'ensemble des sites et limite la réduction des effectifs. Il va de soi que ces propos correspondent à un point de vue forgé avant l'intensification de la crise.

PARCOURS

• Anne-Marie Grozelier, sociologue, a participé, en 1989, à la fondation de Lasaire (Laboratoire social d'action, d'innovation, de réflexion et d'échanges), dont elle est, aujourd'hui, secrétaire générale. Y oeuvrent des syndicalistes, des responsables d'entreprise et des chercheurs, sur des questions liées au travail, à l'emploi et au dialogue social.

• Elle est l'auteure de nombreux ouvrages, dont Pour en finir avec la fin du travail (éd. de l'Atelier, 1998) et La fin du salariat entre mythe et mystification, in Travail salarié et conflit social (PUF, 1999).

SES LECTURES

Continuer l'Histoire, Hubert Védrine, avec Adrien Abécassis et Mohammed Bouabdallah, éd. Fayard, 2007.

L'empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, Jean-Claude Michéa, éd. Climats, 2007.

Les mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar, Gallimard.

Photos : Studio Lem/Plein titres