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« Le DRH devient un «dépisteur» du stress »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 03.02.2009 |

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« Le DRH devient un «dépisteur» du stress »

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Des marqueurs biologiques permettent d'objectiver l'état de stress. Mais cet indicateur fiable ne se mesure qu'en laboratoire. L'entreprise, elle, doit agir sur les causes du stress, la clé étant une prévention qui mobilise direction et partenaires sociaux.

E & C : Le stress peut-il se mesurer objectivement ?

Laurence Weibel : Ses mécanismes biologiques sous-jacents sont identifiés et objectivables. Le stress chronique, celui qui nous préoccupe - à distinguer du stress «aigu» résultant d'une situation ponctuelle, comme la prise de parole en public -, déclenche une accumulation telle de certaines hormones activatrices que leur sécrétion ne peut plus être régulée, la réaction échappe à notre contrôle. Parmi ces hormones, le cortisol est considéré comme le marqueur biologique de stress le plus fiable.

E & C : L'entreprise a-t-elle alors intérêt à mesurer le taux de cortisol de son personnel ?

L. W. : Clairement non, et, de fait, aucune ne m'a demandé de le faire jusqu'à présent. A mon sens, cette mesure ne lui apporterait pas grand-chose en termes de prévention... et elle serait coûteuse.

Le taux de cortisol est influencé - «artéfacté» en langage scientifique - par un ensemble de facteurs autres : le moment de la journée, la nourriture, la posture... Pour constituer un indicateur fiable, il requiert des conditions expérimentales strictes, ce qui est possible en laboratoire, mais beaucoup moins en entreprise. Enfin, et surtout, il ne permettra jamais d'appréhender les causes du stress et donc d'établir un plan d'action, but de toute démarche de prévention.

Les marqueurs biologiques présentent l'intérêt de démystifier le stress en montrant que c'est un état objectivable, de même qu'ils contribuent à faire avancer les recherches. La difficulté tient au fait qu'aucun symptôme - troubles du sommeil, crise d'angoisse, nervosité... - ni aucune pathologie - dépression, hypertension artérielle, maladies cardio-vasculaires... - n'est spécifique au stress, qui est un état de l'organisme et non une maladie.

E & C : Quels signes laissant présager une situation assez généralisée de stress peuvent - ou doivent - alors alerter l'employeur ?

L. W. : On peut citer la hausse de l'absentéisme ou du turn-over, des défauts ou des retards de production qui s'accumulent, l'évolution des statistiques d'arrêts et d'accidents du travail, celle des TMS (troubles musculo-squelettiques), dont le lien avec des facteurs psychosociaux a été montré, l'augmentation des plaintes, ou celle des consultations spontanées au service de santé.

La réglementation encourage à évaluer le risque psychosocial - au même titre que les autres - dans le document unique (DU) d'évaluation des risques professionnels, ce qui permet d'éviter la dégradation de la situation.

E & C : Quelles étapes suivre pour mettre en place un plan anti-stress ?

L. W. : Il n'existe pas de boîte à outils toute faite. Toutefois, la démarche de prévention formalisée en 2007 par l'INRS et le réseau national des Cram (Caisses régionales d'assurance maladie), consignée dans une brochure*, peut faire office de référence. Elle commence par le dépistage sur la base des signaux d'alerte décrits à l'instant, devant déboucher sur un consensus, au sein de l'entreprise, sur l'existence ou non d'un problème de stress. Puis, elle préconise la constitution d'un groupe de pilotage en interne, nécessairement paritaire. C'est lui qui élaborera les règles du jeu.

Troisième étape, le diagnostic approfondi avec appel à des intervenants extérieurs spécialisés, afin d'identifier précisément les niveaux et les causes de stress.

Personnellement, j'utilise fréquemment trois sources d'informations : l'observation du travail ; l'écoute des salariés (entretiens individuels ou collectifs semi-dirigés) ; le questionnaire, si l'échantillon est suffisant. Il n'aura aucune valeur statistique dans une PME de 20 salariés, mais, à partir de 150, certainement.

Qui dit démarche collective et participative sous-entend de prendre du temps : il faut compter trois à six mois entre l'initiation d'une démarche et le déclenchement du plan d'action.

Pour le questionnaire, mon choix consiste à écarter le «produit maison». Plusieurs types de questionnaires ont aujourd'hui fait la preuve de leur rigueur scientifique et statistique. Mais ils ne mesurent pas la même chose et ne sont jamais une fin en soi. Les plus connus sont ceux de Karasek et Siegrist. Personnellement, je retiens souvent le Woccq (université de Liège), qui me paraît fort complet (100 questions) et orienté de façon à bien identifier les causes de stress. La façon dont un questionnaire est introduit - confidentialité, neutralité, mode de recueil des réponses... - influe sur le taux de réponses : on peut, par exemple, atteindre 80 % sur le lieu et dans le temps de travail, contre 50 % à 70 % au domicile.

Le service de santé au travail joue un rôle central, à la fois dans le repérage des situations problématiques et dans l'accompagnement du diagnostic. Mais, depuis quelques mois, j'observe que les DRH et les directions d'entreprise deviennent de plus en plus des «dépisteurs» elles aussi. Les clés du succès d'une démarche de prévention, c'est l'engagement et l'adhésion sans faille de la direction à l'ensemble de la démarche et la participation constructive des partenaires sociaux.

* Stress au travail, les étapes d'une démarche de prévention.

PARCOURS

• Laurence Weibel est neurobiologiste, chargée de la prévention des risques psychosociaux à la Caisse régionale d'assurance maladie d'Alsace-Moselle. Cette Cram a été la première en France à créer un poste entièrement dédié à la prévention du stress au travail.

• Elle est titulaire d'un doctorat en neurosciences de l'université Louis-Pasteur de Strasbourg.

• De 1999 à 2003, elle a travaillé à l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), où elle a mené des recherches appliquées sur le stress au travail, au sein d'une équipe pluridisciplinaire.

LECTURES

Biologie des émotions, Catherine Belzung, éditions De Boeck Université, 2007.

L'ergonomie et les chiffres de la santé au travail : ressources, tensions et pièges, Serge Volkoff (coordinateur), Octarès éditions, 2005.

Stress au travail et santé psychique, Michel Neboit et Michel Vézina (coordinateurs), Octarès éditions, 2002.

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