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Rémunération des dirigeants : enfin l'âge de raison ?

Les pratiques | publié le : 03.02.2009 |

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Rémunération des dirigeants : enfin l'âge de raison ?

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Renoncement de certains dirigeants à leurs bonus, concert de bonnes intentions à l'égard des recommandations Afep/Medef : les entreprises cotées se veulent sur la voie de la mesure en matière de rémunération des dirigeants. Les principes de gouvernance prônés ne vont cependant pas sans poser des difficultés d'application, quand ce n'est pas de légitimité.

Emboîtant le pas à BNP Paribas et à la Société générale, le Crédit agricole a annoncé, le 20 janvier, que son directeur général devrait renoncer à son bonus en 2009. Mises au pied du mur par Nicolas Sarkozy, désireux d'en finir avec des « pratiques ayant suscité, à raison, l'indignation des Français », les principales banques françaises auront donc obtempéré afin de ne pas se voir privées d'une nouvelle aide publique. Une semaine plus tôt, dans son bilan des intentions relatives aux recommandations émises sur la rémunération des mandataires sociaux, en octobre, par les organisations patronales, l'Association française des entreprises privées (Afep) et le Medef (lire ci-contre), l'Autorité des marchés financiers (AMF) n'avait pas hésité à parler de « mobilisation » : selon ses chiffres, 94 % des sociétés cotées avaient adhéré sans réserve au nouveau code de bonne conduite. Au lendemain d'une décennie émaillée de nombreux scandales, l'âge de raison a-t-il sonné au sein des comités de rémunération ?

« En raison de l'incroyable médiatisation de la question aujourd'hui, aucune entreprise ne peut plus se permettre de voir ses dirigeants accusés de folie des grandeurs », explique Vincent Cornet, directeur général adjoint d'Altedia. Selon Philippe Poincloux, directeur général de Towers Perrin, c'est la « majorité silencieuse des entreprises qui s'est saisie de l'occasion pour faire savoir qu'elle se départait des quelques pratiques abusives ayant récemment scandalisé l'opinion ».

Un statut salarié

Si l'on en croit les résultats d'une étude Hewitt, réalisée cet été, les comités de rémunération ont cependant encore bien du «pain sur la planche» pour se mettre à niveau : contrairement aux nouvelles recommandations patronales, plus de 80 % des patrons des sociétés de l'indice SBF 120 bénéficiaient du statut de salarié en 2008. Dans 32 % de ces entreprises, « l'empilement d'indemnités diverses » entraîne le dépassement du plafond de 24 mois de rémunération préconisé pour les indemnités de départ. En outre, 25 % des entreprises qui prévoient une indemnité de départ pour leurs dirigeants ne mentionnent aucun critère de performance, en dépit de l'obligation inscrite dans la loi Tepa d'août 2007.

Au-delà de leur accord de principe avec la volonté patronale d'accroître encore la transparence des pratiques, certains DRH reconnaissent, en off, grincer des dents à la lecture de certaines dispositions du nouveau code, le non-cumul du mandat social et du contrat de travail concentrant la majorité des critiques. « C'est l'attractivité même de la fonction de dirigeant qui est menacée, déplore le DRH d'une société industrielle du CAC 40. Rappelons qu'un mandataire social est inéligible aux indemnités de départ conventionnelles et aux allocations chômage et que les assurances privées que nous souscrivons pour y pallier observent un délai de carence de douze mois et n'assurent plus après 58 ans. Afin de compenser les effets conjugués du non-cumul des statuts et du plafonnement à 24 mois des indemnités de départ, que faire sinon augmenter substantiellement le salaire de base ? »

« Excellent principe sur le fond, l'interdiction de cumuler contrat de travail et mandat social pose de réelles difficultés d'application, souligne, de son côté, Daniel Lebègue, le président de l'Institut français des administrateurs (IFA). Dans les entreprises qui possèdent une forte culture de promotion interne, que se passe-t-il lorsque le salarié susceptible de prendre un mandat social a quinze ou trente ans d'ancienneté ? Lui demande-t-on de renoncer aux droits qu'il a acquis ? Sinon, à partir de combien d'années d'ancienneté est-il légitime de conserver ses droits ? En deçà de quel seuil risque-t-on les abus ? »

De l'avis de beaucoup, l'interdiction de cumuler mandat social et contrat de travail ne serait pas non plus dénuée d'ambiguïtés juridiques. « La loi Fillon de 2003 a prévu qu'un salarié bénéficiaire d'une retraite surcomplémentaire (article 39) puisse conserver ses droits s'il est licencié après 55 ans et ne reprend pas une activité salariée, explique Philippe Poincloux. Or, en l'absence de plus de précisions, la loi ne s'applique pas aux mandataires sociaux aujourd'hui. Remerciés après 55 ans, ces derniers risquent donc de perdre le bénéfice de leur retraite surcomplémentaire quand bien même ils auraient vingt ans et plus d'ancienneté. »

Quelques rares entreprises ont, ainsi, exprimé publiquement leurs réserves à l'égard de la première recommandation du patronat, pourtant présentée comme « structurante ». Dans un communiqué du 10 décembre 2008, le sous-traitant aéronautique Latécoère a mentionné ses réserves en la matière. La raison ? « Son management, issu du salariat. » Distance similaire du côté du fabricant de moteurs Somfy, qui indiquait, quelques jours plus tard, souhaiter « converser sa capacité à déterminer, selon les cas, les modalités les plus adaptées au dirigeant concerné et, notamment, éviter ainsi les surcoûts engendrés par la rupture ou le non-octroi d'un contrat de travail ».

Des objectifs boursiers

Au-delà des difficultés de type technique ou juridique, d'autres critiques s'attachent à dénoncer les fondements mêmes de la rémunération des dirigeants. « Les recommandations Afep/Medef sont des dispositions de prudence procédurales destinées à répondre à l'indignation de l'opinion publique, affirme Fouad Benseddik, directeur des méthodes de l'agence de notation sociale Vigeo. Cela ne change rien au fond, la rémunération des dirigeants reste basée sur des objectifs exclusivement boursiers alors qu'elle devrait refléter un faisceau d'indicateurs incluant la performance économique à court et long termes ainsi que la performance en matière de RSE. »

Comité de rémunération

Une «révolution» de fond que beaucoup estiment impossible tant que le comité de rémunération, exclusivement composé de dirigeants, restera le siège d'intérêts croisés. « Autant nous avons parfois réussi à faire admettre des élus du personnel au sein des comités stratégiques, autant le conseil des rémunérations reste, aujourd'hui, une forteresse imprenable, confirme Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT. Pas question de laisser les salariés mettre leur nez dans la petite cuisine de l'entreprise ! »

Soucieux d'ouvrir les comités de rémunération vers l'extérieur, certains proposent, parfois, d'élargir leurs compétences à d'autres problématiques. « Leur demander de statuer sur la mise en oeuvre d'un PSE ou sur la politique salariale globale de l'entreprise en parallèle de la rémunération des dirigeants, voilà, par exemple, un moyen de remettre la question du partage des richesses en perspective et de revenir enfin sur terre », conclut Vincent Cornet.

Mandataires sociaux : une rémunération «à étages»

Salaire fixe.

Bonus ou salaire variable, généralement de l'ordre de 100 %, voire de 200 % du salaire fixe.

Stock-options ou actions gratuites. Depuis leur création en 2005, les secondes tendent de plus en plus à se substituer aux premières.

Retraite «surcomplémentaire», également appelée retraite «chapeau», garantissant un niveau de revenu après la cessation d'activité.

Indemnités de départ, dites aussi «parachutes dorés», destinées à compenser la non-éligibilité des dirigeants aux allocations chômage et aux indemnités de licenciement prévues par les conventions collectives.

Des rétributions de plus en plus encadrées

2001 la loi NRE, pour la première fois, impose la publication, dans les rapports annuels des sociétés cotées, des éléments détaillés de la rémunération des mandataires sociaux.

2002le rapport Bouton demande au comité de rémunération de fixer des règles d'attribution de la part variable.

2003l'Afep et le Medef publient leur premier code de bonne conduite.

2003la loi Mer sur la sécurisation financière impose la publication des rémunérations et avantages de toute nature perçus par les mandataires sociaux. Les dirigeants sont également tenus de déclarer à l'Autorité des marchés financiers (AMF) toute opération personnelle sur les titres de la société.

2005la loi Breton sur la modernisation de l'économie soumet les éléments exceptionnels ou différés de rémunération à l'approbation des actionnaires. Les parachutes dorés et autres engagements liés à la cessation de fonction doivent apparaître dans le rapport annuel, ainsi que les critères de calcul des différents éléments de rémunération.

2006la loi pour le développement de la participation oblige les conseils d'administration à définir la quantité de stock-options que les dirigeants sont tenus de conserver pendant la durée de leur mandat.

2007le rapport Afep/Medef recommande que les comités de rémunération soient en majorité composés d'administrateurs indépendants et que les indemnités de départ soient prévues contractuellement dès l'embauche.

2007la loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat (Tepa) lie l'attribution des indemnités de départ et des retraites «chapeau» à des critères de performance.

2008nouveau code de conduite Afep/Medef exigeant, notamment, le non-cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail ainsi qu'un plafond de 24 mois pour les indemnités de départ.

2008la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 soumet les parachutes dorés de plus d'un million d'euros à cotisations sociales.

A. D.

L'essentiel

1 Dans le contexte de crise financière, 94 % des sociétés cotées ont adhéré, selon l'AMF, au code de bonne conduite sur la rémunération des mandataires sociaux préconisé par l'Afep et le Medef.

2 Au-delà du problème des pratiques abusives de certains patrons, se pose celui du statut des dirigeants. Les DRH critiquent, entre autres, la disposition du nouveau code sur le non-cumul du mandat social et du contrat de travail.

3 L'interdiction de ce cumul comporterait des difficultés techniques et des ambiguïtés juridiques, notamment pour les dirigeants issus de la promotion interne.

Le «Code de gouvernement d'entreprise» Afep/Medef

Lorsqu'un dirigeant devient mandataire social, il doit être mis fin à son contrat de travail, le niveau élevé des rémunérations des mandataires sociaux étant jugé incompatible avec les avantages du salariat.

Les indemnités de départ doivent être conditionnées par l'atteinte d'objectifs de performance. Elles ne peuvent excéder deux ans de rémunération (fixe et variable).

Les régimes supplémentaires de retraite ne peuvent être proposés aux seuls mandataires sociaux. La période de référence prise en compte pour le calcul des prestations doit courir sur plusieurs années et les droits potentiels ne représenter, chaque année, qu'un pourcentage limité de la rémunération fixe des bénéficiaires.

L'attribution de stock-options ou d'options gratuites doit être conditionnée par la mise en oeuvre de dispositifs - intéressement, participation, distribution de stock-options ou d'options gratuites - permettant d'associer l'ensemble des salariés à la performance de l'entreprise.