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« Seuls les syndicats qui sauront affirmer un leadership s'en sortiront »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 24.03.2009 |

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« Seuls les syndicats qui sauront affirmer un leadership s'en sortiront »

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La loi du 20 août 2008 réformant la démocratie sociale met les syndicats face à plusieurs interrogations : comment faire émerger un leadership ? Comment réduire le hiatus prévisible entre syndicats d'entreprise et appareils extérieurs ? Comment capter les attentes des salariés-électeurs ?

E & C : Six mois après le vote de la loi rénovant la démocratie sociale et trois mois après l'entrée en vigueur des nouvelles règles de validité des accords, constatez-vous déjà des évolutions dans la pratique de la négociation collective en entreprise ?

A. B. : Prenons le cas du Crédit du Nord. Au mois de janvier, la CFDT a signé l'un des meilleurs textes salariaux 2009 du secteur bancaire. Pourquoi ? Parce que l'intersyndicale est restée unie depuis les NAO 2008 : les syndicats minoritaires, soucieux d'une légitimité qu'ils recherchent du côté des majoritaires, n'ont pas rompu le front. A l'arrivée, les syndicats signent un accord unanime, et la direction est contrainte de dépasser le budget qu'elle s'était fixée. Notons que la négociation ne s'est pas déroulée sans périodes conflictuelles.

De cet exemple, je tire quatre leçons. Premièrement, en incitant au rassemblement syndical, les nouvelles règles de validité des accords amènent la direction à signer un texte un peu moins «budgétairement correct». Deuxièmement, le compromis n'exclut pas le conflit, et inversement. Troisièmement, l'intersyndicale a fait preuve de responsabilité en signant le texte, ce qui était l'un des objectifs de la loi. Quatrièmement, le fait d'être le syndicat majoritaire implique une responsabilité particulière.

En effet, la CFDT, majoritaire à 47 % des suffrages aux élections de 2007, pouvait valablement signer seule cet accord. Mais elle a estimé qu'il valait mieux travailler dans l'unité et partager les responsabilités avec les autres syndicats. Cette démarche, nous nous sommes efforcés de l'exercer dans la négociation de l'avenant à l'accord sur le droit syndical et social, mis à la signature début avril 2009. Les deux premiers syndicats demandaient des dispositions spécifiques pour que ceux qui perdraient leur représentativité à l'issue des prochaines élections, en mars 2010, ne disparaissent pas du paysage. Nous ne souhaitons pas que la «tyrannie» de la majorité se substitue à une «dictature» de la minorité, caractéristique du système précédent.

E & C : Il s'agit là d'un cas d'entreprise. Pensez-vous que toutes connaîtront la même évolution vertueuse ?

A. B. : Non. En adoptant, cette fois, le regard plus distancié du sociologue, je constate que les syndicats sont confrontés à plusieurs ruptures, certaines découlant de la loi du 20 août, d'autres non ; selon la réponse apportée, les nouvelles règles de représentativité produiront des conséquences différentes.

L'importance que la loi confère maintenant à l'élection va entraîner des crispations syndicales internes dans les entreprises. Dans cette situation, seuls les syndicats qui sauront affirmer un leadership s'en sortiront, électoralement parlant. Quant aux DRH, elles seront confrontées, davantage qu'auparavant, à une problématique d'interlocuteurs responsables et de lecture des stratégies syndicales.

D'autre part, les sections syndicales d'entreprise qui ne sont pas constituées en syndicats d'entreprise, et n'ont donc pas de personnalité morale, ce qui est le plus souvent le cas à la CFDT et à FO, risquent de connaître un hiatus entre les militants dans l'entreprise et les appareils extérieurs (UD, UR, fédération...). Cela pose la question de savoir où est logée la personnalité morale.

Si ces structures extérieures cherchent à imposer des décisions ou des nominations, elles joueront contre leur propre section dans l'entreprise. Les syndicats vont donc devoir laisser plus d'autonomie à leurs équipes d'entreprise, sans pour autant les laisser verser dans un corporatisme peu propice à l'innovation sociale et, in fine, défavorable aux salariés. Un nouvel équilibre devra être trouvé.

Troisième rupture : le renouvellement générationnel. Les syndicats sont condamnés à trouver de nouvelles forces vives. Les directions d'entreprise qui seraient tentées de dissuader les plus jeunes de faire leur apprentissage syndical, par exemple, dans les commissions du CE, commettraient une erreur politique contreproductive sur le moyen terme.

E & C : De nombreux de DRH réclament des syndicalistes plus professionnels, plus techniciens, et moins idéologues. La loi du 20 août pousse-t-elle dans ce sens ?

A. B. : Au contraire. Et c'est là la principale rupture engendrée par la loi du 20 août. Le syndicalisme de professionnels, ou de spécialistes, recherché par certains employeurs, sera remis en cause par la nécessité, pour les syndicats, d'être plus proches des électeurs, donc du terrain. Les syndicats vont devoir retrouver leur rôle assurantiel, sécurisant, régulateur, mais aussi conflictuel, sous peine de disparaître.

Or, les techniciens et les professionnels permanents syndicaux sont rarement proches du terrain. Ainsi, certains permanents ont des revendications salariales, pour eux-mêmes, qui sont en décalage avec ce que les salariés peuvent demander. Je le constate dans mon propre syndicat au Crédit du Nord.

E & C : Que préconisez-vous pour que les permanents soient davantage proches du terrain ?

A. B. : L'idéal serait que les syndicalistes puissent effectuer des allers et retours entre activité professionnelle et mandat syndical. Il faudrait favoriser les mandats légers ou tenter de limiter les mandats dans le temps. Mais les deux solutions sont difficiles à mettre en oeuvre : les syndicats et les directions sont objectivement alliés pour favoriser les mandats syndicaux lourds. Et quand un syndicaliste quitte son mandat pour retourner en poste, pour autant que ce retour se passe bien, on ne le revoit plus dans le syndicat.

PARCOURS

• Alain Bonnet est professeur associé à l'université Paris-13 Villetaneuse en master 2 communication et RH sur le thème «régulation sociale et enjeux interculturels«.

• Il est, également, délégué syndical national CFDT au Crédit du Nord. Il est entré dans la banque, en 1973, à la direction du personnel et des affaires sociales. Puis, en 1979, il est devenu permanent CFDT au Crédit du Nord. Il a été plusieurs fois membre du comité d'entreprise européen et du comité de groupe de la Société générale.

• Il est coauteur du Mirage de la compétence (Syllepse, 2000) et auteur de plusieurs articles sur la négociation d'entreprise et de branche.

LECTURES

Ethique à Nicomaque, Aristote, Flammarion, 2004.

Second manifeste pour la philosophie, Alain Badiou, Fayard, 2009.

La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, sous la direction de Sophie Béroud, Le Croquant, 2008.