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« La démarche compétence doit s'appuyer sur la réalité du travail »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 26.05.2009 |

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« La démarche compétence doit s'appuyer sur la réalité du travail »

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De nombreuses démarches compétence végètent parce qu'elles sont déconnectées du quotidien des salariés. Leur réussite passe par un véritable management du travail, qui conjugue exigence de performance et soutien organisationnel aux salariés.

E & C : Censées valoriser les salariés, les démarches compétence comportent pourtant certains risques. Lesquels ?

Bernard Devin : Lorsqu'une entreprise met en place une démarche compétence, c'est toujours un choix face à une nécessité. Elle ne s'en sort plus avec sa configuration et doit inventer autre chose. D'autres options sont possibles, mais, en faisant ce choix, elle fait un pari sur les hommes. Une démarche compétence n'a de sens que lorsque l'initiative, l'autonomie et la responsabilité sont nécessaires face aux exigences du marché, aux aléas du système de production, etc. Elle est donc incompatible avec une organisation taylorienne. Or, un tiers des salariés européens sont encore concernés par ce mode d'organisation. Pour eux, mettre en place une telle démarche relève du paradoxe : tenir des discours sur l'autonomie, alors qu'on attend obéissance et exécution, génère inévitablement des tensions, voire de la souffrance au travail.

Une démarche compétence est aussi un moyen, tout à fait légitime, de formaliser les exigences de l'employeur en matière de compétences. Mais il faut alors veiller à donner aux salariés les moyens nécessaires pour obtenir les résultats attendus. Sinon, certains s'en débrouilleront, mais d'autres auront du mal ou n'y arriveront pas et, là encore, on peut générer du mal-être.

Enfin, le risque de renforcement du contrôle des salariés existe aussi à travers certains référentiels qui codifient les compétences comportementales exigibles. C'est totalement contreproductif. Plutôt que de dicter les attitudes, il faut s'interroger sur les conditions de la motivation à les mettre en oeuvre et faire en sorte de les réunir.

E & C : Quel est le préalable à une démarche compétence réussie ?

B. D. : Trop de démarches compétence consistent à dérouler une méthodologie pas forcément adaptée à l'entreprise et généralement focalisée sur l'outillage - référentiel, notamment. Or, le préalable est de faire un diagnostic qui prenne bien en compte les spécificités de la situation, les enjeux et les clés de motivation des différents acteurs. Il faut toujours partir du principe que, dans une organisation, on ne peut pas avoir le même point de vue selon la place qu'on occupe. C'est de la sociologie de base, mais c'est fondamental ! Il faut arrêter de croire que les enjeux de l'entreprise sont ceux de tous. L'objectif du diagnostic est donc de repérer et de distinguer ces enjeux et ces motivations. Pour le dire autrement : repérer à quelles conditions les différentes catégories d'acteurs auront envie de jouer.

E & C : Précisément, à quelles conditions les salariés peuvent-ils jouer le jeu ?

B. D. : Il est fondamental que la démarche compétence soit en lien avec la réalité de leur travail au quotidien. Bien sûr, c'est un outil RH. Mais il est de la responsabilité du DRH de veiller à ce que cet outil reste au plus près des besoins du terrain et qu'au final, la démarche débouche sur un soutien de l'encadrement au salarié, et non seulement à une activité de contrôle et d'évaluation. C'est ce que nous appelons le management du travail. Autrement dit, faire en sorte que cet outillage RH soit effectivement une aide et un soutien utiles au n + 1 et au salarié lui-même.

Si la démarche est un moyen pour le salarié de mieux se situer dans l'entreprise et d'imaginer des perspectives professionnelles, on a gagné. Prenons l'exemple de la polyvalence, souvent demandée dans les démarches compétence. Personne ne veut d'une polyvalence bouche-trou qui peut conduire à des contraintes plus fortes en production et à des difficultés accrues dans son travail. En revanche, une polyvalence acquise dans un parcours de progression bien pensé et qualifiant peut à la fois développer les compétences et augmenter le plaisir au travail. Même chose pour le n + 1 : s'il trouve dans la démarche un moyen d'améliorer son management, par exemple lors de l'entretien d'évaluation, alors, c'est un dispositif qui lui sera utile. En revanche, si cela devient une exigence de la RH, qui lui impose à telle date d'avoir fait le retour des entretiens d'évaluation à partir du référentiel et qu'il n'y voit pas son intérêt, cela générera plus de contraintes que d'efficacité réelle.

E & C : Le livre que vous avez coordonné, Du management des compétences au management du travail, insiste sur la nécessité de s'appuyer sur les collectifs du travail pour mener une démarche compétence. Pourquoi ?

B. D. : Il est intéressant de s'appuyer sur le collectif lorsqu'on a besoin de développer autonomie, initiative et responsabilité. Le collectif, lorsque les conditions sont réunies pour qu'il fonctionne en coopération, permet de pallier les inévitables limites de la prescription. L'un des savoir-faire que le management du travail doit développer est certainement le management des collectifs et de la coopération. Mais cela implique de reconnaître

les limites de l'organisation du travail, d'accepter qu'elle ne peut pas tout prescrire, de faire le deuil d'un management axé sur le contrôle et le fantasme de maîtrise. Une perspective aussi évidente pour certains que difficile à accepter pour d'autres.

PARCOURS

• Bernard Devin est chargé de mission à l'Aract des Pays de la Loire, spécialisé dans les questions de professionnalisation et des risques psychosociaux.

• Il est l'auteur, avec Patrick Conjard, de La professionnalisation : acquérir et transmettre des compétences (éditions Anact, 2007). Il a coordonné, avec Christian Jouvenot et Florence Loisil, Du management des compétences au management du travail (éditions Anact, 2009).

SES LECTURES

Conjurer la violence : travail, violence et santé, Christophe Dejours, Payot, 2007.

L'idéal au travail, Marie-Anne Dujarier et Vincent de Gaulejac, Le Monde/PUF, 2006.

Vivre pour la raconter, Gabriel Garcia-Marquez, Grasset, 2003.