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Les pratiques

Pourquoi le CV anonyme ne fait pas recette

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 26.05.2009 |

Le commisaire à la diversité, Yazid Sabeg, relance le dispositif. Une posture « politiquement correcte », selon des acteurs du recrutement. Et qui ne résoudra rien. La société ayant changé, les candidats eux-mêmes ne veulent pas avancer masqués.

A peine relancé, déjà contesté ! Le CV anonyme fait toujours débat. Pourtant, c'est l'une des mesures phares du commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, Yazid Sabeg, qui préconise un « élargissement de la pratique ». Et pour cause. L'obligation faite par la loi d'avril 2006 aux entreprises de plus de 50 salariés d'appliquer le procédé est restée lettre morte. Les décrets d'application ne sont jamais parus. Et, en trois ans, seules une vingtaine d'entreprises se sont emparées du dispositif. Un quasi-flop ! Du coup, les équipes du ministre sont à pied d'oeuvre pour préparer une expérimentation auprès de 100 entreprises volontaires, de tailles et de métiers variés, et sous condition d'un véritable suivi. « Pas question, pour elles, de se faire un coup de pub ! », alerte un conseiller. Le lancement est prévu en juin et les conclusions, à l'automne. L'objectif : évaluer les difficultés de mise en oeuvre, et publier un guide de bonnes pratiques.

Louable intention

Seulement voilà. Le CV anonyme a des airs de fausse bonne idée, selon maints DRH. La perspective de ne plus avoir à lire les noms et prénoms, la nationalité, le lieu de résidence, l'âge et le genre en fâche plus d'un. Personne ne nie la louable intention de faciliter l'accès aux entretiens d'embauche des publics susceptibles d'être discriminés. Mais, dans les groupes engagés dans la diversité, la formule jouera contre le candidat. « Comment donner un coup de pouce aux femmes ou aux personnes handicapées, que nous espérons plus nombreux dans nos métiers techniques, si on ne les repère pas ? Comment mesurer nos progrès à toutes les étapes de recrutement ? », réagit Eve Mathieu, directrice marque employeur chez EDF.

Certes, les sociétés ne sont pas toutes dans ce système vertueux. Elles préfèrent, alors, revisiter de vieilles recettes afin de contenir les préjugés, plutôt que d'adopter l'anonymisation, qui nécessite une lourde organisation informatique ou humaine. « Exiger d'un recruteur de justifier par écrit un rejet de candidature, par exemple, l'oblige à réfléchir à ses stéréotypes, affirme Benjamin Blavier, responsable du pôle promotion de la diversité à IMS-Entreprendre pour la Cité. Les méthodes d'entretiens croisés ou la définition très poussée des compétences requises sur un poste en préalable à toute embauche aident également à objectiver un dossier. »

Autre facteur de résistance chez les recruteurs, l'idée que tout CV doive passer à la moulinette de l'anonymisation. Que faire, alors, des CV récupérés sur les forums écoles, par cooptation, lors de rencontres informelles ? Faudra-t-il les réorienter vers un site unique d'entreprise, malgré le bon feeling ressenti par les deux parties ? Renoncer à ce candidat-là ? Un casse-tête auquel se heurte aujourd'hui AXA, pionnière sur le sujet en 2006 pour l'intégration de commerciaux, et qui projette de généraliser la formule en 2009.

Former les recruteurs

Et puis, après, il y a l'étape de l'entretien en face-à-face. La note de «gueule» évitée sur CV s'est-elle pour autant évaporée ? Si oui, subsiste un autre risque : recruter un candidat «différent» lorsque les esprits en entreprise n'y sont pas préparés. « On le retrouvera vite dans la difficulté, explique Philippe Vivien, DRH du groupe Areva, opposé au CV anonyme. Il faut surtout, et d'abord, former les recruteurs et les managers afin qu'ils oublient ces questions d'âge, d'origine, de parcours idéal. » En France, on le sait, on aime recruter à son image. Tant que cette barrière ne sautera pas, ce CV édulcoré ne marchera pas. C'est également le credo des PME au sein du CJD, hostile à l'expérimentation Sabeg. « Nous sommes au XXIe siècle, explique Gontran Lejeune, son président. Pour nous, la diversité est une réalité quotidienne. Elle mérite d'être traitée autrement. »

Génération Y

Et si le point dur résidait chez les intéressés ? Car la génération Y, née dans les années 1980, surtout parmi la minorité visible, n'a pas envie d'avancer masquée. Elle adore se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Et reste fascinée par les «Blacks, Blancs, Beurs» qui ont réussi. « Cacher son nom, c'est une curieuse façon d'entrer dans la vie active, ajoute Mohammed Abdi, au cabinet du secrétariat d'Etat à la Politique de la ville. Il ne s'agit pas de culpabiliser l'entreprise. Les jeunes des quartiers populaires ont des compétences, des talents. Ils sont fiers de leur identité. » Tout le contraire d'un CV aseptisé, sans personnalité, et dans lequel on en arrive à évacuer dates, intitulés d'école ou de diplôme. « Ou alors, poussons la logique jusqu'au bout », propose Alain Gavand, président de l'association «A compétences égales»*. Soit un CV standard, au contenu normé, se limitant au parcours professionnel et aux compétences, mais avec un patronyme et des coordonnées.

* Association de 40 cabinets de recrutement qui lutte contre toute discrimination à l'embauche.

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