E & C : Vous avez mené des travaux (enquêtes de terrain et études statistiques) sur le contrôle du travail par l'informatique, notamment via Internet, les mails, les ERP* et l'intranet. Qu'avez-vous observé ?

J. R. : Les technologies de l'information et de la communication ne sont pas toujours implantées pour contrôler directement les salariés. Mais elles peuvent devenir des instruments de pression et de contrôle. Nous nous sommes rendu compte que les managers pouvaient s'approprier cette dimension de traçage du travail. Ils n'exploitent pas forcément cette masse d'informations, mais le jour où un soupçon pèse sur une personne, ils peuvent utiliser l'outil mis en place pour vérifier la réalité du travail effectué. La personnalisation des contrôles est frappante. Dans les centres d'appels, par exemple, quand un appel a été raté, on pointe du doigt la défaillance d'une personne mais on ne remet pas en cause le collectif.

E & C : Les salariés ont-ils conscience de cette surveillance ? Comment réagissent-ils ?

J. R. : Les salariés, même les plus âgés, sont conscients que leur surf sur Internet peut être vu. Ils ont tendance à utiliser leurs boîtes mails privées pendant leurs heures de pause. D'autres prennent soin d'utiliser leur double messagerie électronique : une adresse de service pour les messages purement professionnels, et une adresse nominative, pour des contenus personnels, dans l'entreprise, utilisée par exemple pour la communication avec les syndicats internes. Les salariés savent aussi mobiliser les outils de contrôle à leur avantage. Un ERP garde trace du traitement et de la gestion d'une commande. Un employé peut s'en prévaloir si son travail est contesté par sa hiérarchie, ou même par un client. Dans certains cas, les courriers électroniques sont des outils d'entraide entre collègues, l'un informant l'autre de son erreur.

E & C : Qu'est-ce qui heurte les salariés quand l'entreprise implante une nouvelle technologie ?

J. R. : Ils ne dénoncent pas directement le contrôle et les outils techniques. Ce qui est décrit négativement, ce sont les changements organisationnels qui les accompagnent. Quand la vidéosurveillance est intégrée dans des agences EDF où des agressions et des vols sont fréquents, elle est plutôt perçue comme une avancée. Chez les caissières, ce n'est pas la mise en place des caméras qui est critiquée mais l'utilisation faite par leur direction, le sentiment que celle-ci n'a pas confiance dans leur travail. Ce qui choque le plus les salariés, c'est l'absence d'explications autour de l'implantation d'outils permettant de les surveiller.