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« Les salariés sont prêts à participer aux décisions stratégiques »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.09.2009 |

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« Les salariés sont prêts à participer aux décisions stratégiques »

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Le travail est inséparable de son organisation. Et les salariés participent à sa construction en produisant de nouvelles règles pour réaliser leur travail sur le terrain. Il faudrait cependant que les dirigeants leur reconnaissent cette compétence et impliquent les salariés dans la gouvernance de l'entreprise.

E & C : L'organisation fait partie intégrante du travail. Pouvez-vous expliquer de quelle manière ?

Gilbert de Terssac : Il n'y a pas lieu de séparer le travail de son organisation puisqu'il n'est pas possible de réaliser un bien ou de produire un service sans produire des règles, c'està-dire des repères pour agir ou pour interagir avec ses collègues. L'organisation n'est pas une structure sans faille qui fonctionnerait toute seule. L'univers professionnel ne peut jamais être totalement structuré indépendamment de l'exercice de la profession. Travailler suppose d'analyser la situation pour, ensuite, adapter les procédures qui permettront que le bien soit produit ou le service rendu.

Prenons comme exemple les règles de coopération entre salariés ou avec un client : ces règles implicites permettent de travailler avec les autres, de partager des savoirs, de créer de la solidarité ou de la connivence pour rendre possible l'interaction. Sans cette bonne volonté, les tensions se multiplient et l'efficacité achoppe rapidement sur les conflits de personnes, la rétention d'information, voire, tout simplement, l'ennui et la lassitude d'une activité purement routinière. Travailler consiste à la fois à contextualiser les règles et à en inventer de nouvelles afin que l'action prenne sens.

E & C : Pourquoi ce système de régulation du travail par le travailleur vous semble-t-il aujourd'hui entravé, voire en panne ?

G. d. T. : Nous sommes dans une situation contre-productive où la rationalité directoriale et celle des tâches quotidiennes du salarié s'ignorent toujours davantage. Tout le travail du management consiste pourtant à réunir les univers de ceux qui conçoivent les orientations et de ceux qui les suivent. Son rôle est de produire un sens commun, un partage de valeurs minimum. Pourtant, il semble que les experts en gestion ignorent complètement ce qui se vit en bas de l'échelle par les collaborateurs en contact permanent avec le client. C'est totalement paradoxal, car l'un ne peut pas aller sans l'autre : le salarié en contact avec les exigences de la production ou avec le client est quotidiennement obligé de construire des règles pour réaliser son travail ou satisfaire un client. Mais tout se passe comme si lui était dénié cet effort d'adaptation et de contextualisation indispensable, qui, en même temps, lui donne une connaissance irremplaçable des problèmes et des savoirs, qu'un dirigeant ne possède pas. La rationalité gestionnaire ne pourra jamais suppléer à cette connaissance du terrain. Le fait de prétendre ne pas en avoir besoin est vécu comme un déni de reconnaissance par les travailleurs, en même temps qu'il ampute les directions d'informations essentielles pour élaborer leurs stratégies. L'homme est pourtant la ressource première, la seule vraiment inépuisable et durable.

E & C : Comment résoudre ce divorce entre les directions et leurs salariés ?

G. d. T. : A l'exception notable des démarches qualité, où tout le monde s'est mis autour de la table pour s'entendre sur la manière de faire, l'entreprise semble dramatiquement souffrir d'un manque de communication professionnelle entre la base et le sommet. Cela explique la multiplication de décisions maladroites, vécues comme autant d'humiliations par les salariés. Par ailleurs, il n'est pas acceptable que des dirigeants puissent délocaliser du jour au lendemain, voire déménager leur ligne de production sans qu'une négociation collective ait permis d'aboutir à un compromis sur le maintien de l'entreprise. Des règles nouvelles - c'est-à-dire la création de valeurs communes et d'une gouvernance d'entreprise légitime - sont aujourd'hui nécessaires. Le contexte institutionnel existe. L'Etat à la fois fournit le cadre et encourage les partenaires sociaux à parvenir à des accords légitimes. Par ailleurs, contrairement à ce qui a pu se passer au cours des décennies antérieures, les travailleurs semblent aujourd'hui demandeurs d'informations et prêts, à leur niveau, à participer aux décisions stratégiques. Tout le monde semble d'accord sur la valeur intégratrice du travail, sur son rôle dans la construction de soi et pas simplement sur son rôle alimentaire, bref sur l'importance personnelle de l'investissement et de l'engagement au travail. Le moment est donc venu de profiter de cette entente sociale pour bâtir des relations de travail efficaces et légitimes : il est temps de construire ensemble le collectif pour mieux travailler ensemble. Celui-ci doit être fondé sur la reconnaissance mutuelle des compétences et sur un pouvoir de décision mieux contrôlé par les différentes parties. A charge pour la puissance publique de veiller à ce que personne ne reste sur le bord de la route afin d'éviter que l'évolution de la société ne se retourne contre ses membres.

PARCOURS

• Gilbert de Terssac est chercheur au Certop-CNRS (Centre d'étude et de recherche travail organisation et pouvoir, université Toulouse-2). Ses activités de recherche portent sur le travail d'organisation, d'encadrement et sur les régulations sociales. Il enseigne la sociologie du travail, de l'organisation et du management.

• Il a codirigé de nombreux ouvrages dont, La catastrophe d'AZF : l'apport des sciences humaines et sociales (2008, éd. Lavoisier), La sécurité en action (2009, Octarès).

LECTURE

Le conflit, la négociation et la règle, J.-D. Reynaud, Octarès, 1999.

Les règles du jeu. L'action collective et la régulation sociale, J.-D. Reynaud, Armand Colin, 1997.