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« Des jeunes accèdent à l'emploi par des chemins indirects »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 03.11.2009 |

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« Des jeunes accèdent à l'emploi par des chemins indirects »

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La question de l'insertion dans l'emploi des jeunes non diplômés ne peut se résoudre uniquement par la formation ou l'organisation d'une 2e chance. Les mesures permettant aux jeunes de conquérir leur autonomie, présentes dans le plan «Agir pour la jeunesse», favorisent aussi l'insertion, même si le chemin est plus long.

E & C : Les mesures annoncées par le gouvernement pour favoriser l'emploi des jeunes font la part belle à la formation en alternance, que ce soit à travers les contrats d'apprentissage, de professionnalisation ou des écoles de la 2e chance. Qu'en pensez-vous ?

Bernard Gomel : Apprendre de façon beaucoup plus liée à des métiers, assurer une seconde chance : ce sont des pistes connues qu'il faut certainement développer, mais cela ne constitue en aucune façon «la» solution à l'insertion des jeunes. La question de leur insertion dans l'emploi se focalise sur les non-diplômés. L'Union européenne considère, depuis l'année 2000, qu'un diplôme de second cycle de l'enseignement secondaire est le bagage scolaire minimal dans «l'économie de la connaissance» visée par la stratégie de Lisbonne. En 2005, en France, 17 % des élèves - 120 000 jeunes non diplômés à la sortie de la formation initiale - se trouvent, ainsi, disqualifiés sur le marché du travail, trois fois plus que les «jeunes sans qualification» - c'est-à-dire qui ont interrompu leurs études avant la seconde générale ou technologique ou l'année terminale de CAP ou de BEP -, dont le nombre avait fortement chuté depuis 1975 où ils représentaient 25 % des sortants.

L'élévation brutale du niveau minimal de formation pour occuper un emploi ne correspond pourtant pas à une augmentation équivalente de la qualification des postes. Dans une situation de pénurie d'emplois et de chômage massif, la concurrence est rude et les jeunes les moins formés en sont écartés, même s'ils sont capables de les tenir. Cela a été montré à l'occasion de la mise en oeuvre massive des emplois aidés ; dans la plupart des cas, les tuteurs se sont aperçu que le jeune était capable, en quelques heures, d'occuper l'emploi qu'on lui proposait. Cela met en évidence que, en France, la qualification scolaire est particulièrement surévaluée.

E & C : La formation n'est donc pas la solution à l'insertion des jeunes ?

B. G. : Bien évidemment, la formation en cours de contrat aidé favorise très clairement l'insertion professionnelle au terme de l'aide, et elle doit être encouragée. Pour autant, la rendre obligatoire risque d'écarter de l'emploi aidé les jeunes les plus en difficulté. En effet, beaucoup des jeunes non-diplômés sortent d'une expérience malheureuse à l'école et n'ont pas, au moment où ils commencent leur expérience de l'emploi, le désir de se former. Ils prennent des emplois aidés pour se stabiliser, pour oublier leur échec scolaire, pour acquérir de l'autonomie, financière en particulier, avant de se lancer dans un projet professionnel. C'est seulement au terme de ce parcours que la formation reprend du sens. Beaucoup de jeunes ne relèvent pas de l'insertion directe et immédiate dans l'emploi. Le plan «Agir pour la jeunesse» comporte d'autres mesures intéressantes qu'il s'agirait de développer.

E & C : Lesquelles ?

B. G. : Toutes les mesures qui favorisent l'autonomie des jeunes. La nouvelle «allocation autonomie» est une dotation liée à un projet précis : financer un permis de conduire, louer un studio. Dans le même sens d'une prise d'autonomie très contrôlée, le coup de pouce au Civis (contrat d'insertion dans la vie sociale) : en contrepartie d'un engagement à se former, à se soigner, à voir régulièrement le tuteur de la mission locale, le jeune a droit à des petits revenus versés régulièrement. Le plan prévoit, également, une autre forme d'insertion à travers le service civique avec lequel le jeune s'engage dans une mission d'intérêt général ; cette mesure concernerait, à terme, jusqu'à 10 % d'une classe d'âge. En revanche, l'extension du RSA aux jeunes actifs ne va toucher que des jeunes bien insérés dans l'emploi, ceux qui ont travaillé au moins l'équivalent de deux années à temps plein au cours des trois dernières années, soit 160 000 jeunes selon les estimations officielles. La lutte contre la pauvreté des jeunes et l'objectif annoncé de les aider à trouver leur indépendance financière exigent des mesures plus générales et plus généreuses.

Globalement, les aides financières à l'autonomie des jeunes en insertion restent très insuffisantes en France comparées aux pays du nord de l'Europe.

E & C : Les mesures pour l'autonomie des jeunes sont donc importantes pour leur permettre de trouver un emploi ?

B. G. : Effectivement, les travaux du Céreq ont montré que, pour beaucoup de jeunes, la question de l'insertion dans l'emploi ne se pose pas immédiatement. Il est parfois nécessaire de les accompagner sur des chemins plus longs, plus indirects, qui aboutiront finalement à une intégration dans l'emploi. C'est tout le défi des missions locales qui se trouvent, dans ce plan «Agir pour la jeunesse», réaffirmées dans leur fonction ; je trouve que c'est très positif. Au fil des années, les mêmes questions se posent aux pouvoirs publics. Au début des années 1980, Michel Delebarre, alors ministre du Travail, se proposait déjà d'offrir à tout jeune soit un emploi, soit une formation, au pire une occupation. L'objectif, constamment réaffirmé, n'est toujours pas atteint, pas seulement par manque de moyens ou de solutions, mais aussi parce qu'il ne colle pas forcément aux besoins et aux désirs des jeunes.

PARCOURS

• Bernard Gomel est chargé de recherche CNRS au Centre d'études de l'emploi (CEE), où il est entré après une thèse de statistiques mathématiques et une première expérience de formateur.

• Spécialiste des politiques publiques de l'emploi, il est l'auteur de nombreux articles sur le sujet. Il a publié, en 2001, avec Marie-Odile Lebeaux, un rapport d'évaluation sur Le programme «Nouveaux services-emplois jeunes» dans le champ jeunesse et sports (La Documentation française). Un ouvrage, coécrit avec Dominique Meda et Evelyne Serverin, L'emploi en rupture (éd. Dalloz), paraîtra en novembre 2009.

SES LECTURES

Une formation qualifiante différée pour les jeunes non diplômés ? Etude coordonnée par Alberto Lopez, Céreq, décembre 2007.

L'enfant bleu, Henri Bauchau, Actes Sud, 2006.

Faut-il brûler le modèle social français ?, Dominique Meda, Alain Lefèbvre, Seuil, 2006.