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« Mohamed, tu t'appelleras Laurent »

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 24.11.2009 |

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« Mohamed, tu t'appelleras Laurent »

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Les décisions de nos tribunaux sont parfois l'occasion de précieux moments d'humour, tant l'imagination des employeurs peut être sans bornes ! Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les termes d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 novembre dernier et destiné à être largement publié.

Lors de son embauche, en janvier 2000, un salarié d'une maison de retraite s'est vu demander par son employeur de changer son prénom de Mohamed pour adopter celui de Laurent, sous l'étrange prétexte que quatre salariés de l'entreprise portaient le même prénom que lui. Pas plus en première instance qu'en appel, le salarié n'a eu gain de cause : les juges ont retenu qu'il avait accepté ce changement de prénom et que lorsque, deux ans plus tard, il avait demandé à utiliser son prénom de naissance, l'employeur avait accepté sa demande.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel. Elle considère que le fait de demander à un salarié de changer de prénom pour un autre d'origine française constitue une discrimination fondée sur l'origine. L'affaire est renvoyée devant la même cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui devra déterminer le montant des dommages-intérêts dus au salarié.

On sait que, aux termes de l'article L. 1133-1 du Code du travail, la différence de traitement n'est admise que si elle répond à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif en soit légitime et l'exigence proportionnée. » Or, rien, ici, dans le fait que quatre autres salariés portaient le même prénom, ne pouvait justifier de demander au salarié de modifier le sien, au surplus pour un prénom d'une connotation totalement différente (on peut d'ailleurs se demander si la discrimination aurait été constituée si l'employeur avait demandé au salarié d'utiliser un prénom de même origine que le sien). Les autres salariés exerçaient des fonctions différentes de celles du salarié concerné (maître d'hôtel, agent d'entretien, manoeuvre), si bien que la confusion n'était guère possible. Et quelle est l'entreprise qui n'a pas de salariés portant le même prénom sans que cela ne pose un quelconque problème ?

L'employeur faisait valoir qu'il n'avait pris aucune mesure discriminatoire, ce qui était attesté par les contrôleurs du travail saisis d'une plainte. En effet, l'article L. 1132-1 du Code du travail, qui définit la discrimination, ne vise que le recrutement, l'accès à un stage ou à une période de formation, les sanctions et le licenciement, et les mesures discriminatoires directes ou indirectes (définies par la loi du 27 mai 2008 portant adaptation du droit français au droit communautaire dans ce domaine), notamment en matière de rémunération, intéressement, distribution d'actions, formation, reclassement, affectation, qualification, classification, promotion, mutation ou renouvellement d'un contrat.

A la lecture de ces textes, on constate que le fait de demander à un salarié de changer de prénom ne constitue pas une mesure discriminatoire puisqu'elle ne le prive d'aucun avantage qui bénéficierait à d'autres salariés. Fort heureusement, la Cour ne s'en tient pas aux textes, mais retient que : « Le fait de demander au salarié de changer son prénom de Mohamed pour celui de Laurent est de nature à constituer une discrimination à raison de son origine [...] alors que la circonstance que plusieurs salariés portaient le prénom de Mohamed n'était pas de nature à caractériser l'existence d'un élément objectif susceptible de la justifier. »

Toute action ou inaction d'un employeur, toute différence de traitement quelle qu'elle soit, fondée sur un critère discriminatoire, peut constituer une discrimination, même si le salarié bénéficie des mêmes avantages que ses collègues. Dans un autre arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de cassation pose d'ailleurs le principe selon lequel « l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés » et peut se déduire des faits (en l'espèce, le ralentissement de la carrière de la salariée).

La discrimination positive n'est pas autorisée en France, pas plus que les statistiques ethniques, si bien qu'un employeur ne peut non plus, par exemple, demander à ses salariés de déclarer leur origine ethnique ou leur race comme le font les sociétés américaines pour démontrer, à l'inverse, qu'elles respectent leurs obligations en termes de diversité.

Discrimination positive et diversité contre absence de discrimination et interdiction de classifier les populations, les cultures sont fondamentalement différentes, même si elles ont le même but de protection.

Viviane Stulz, avocate, Cabinet Clifford Chance, membre d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social.