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« La recherche de la diversité ne prémunit pas contre les discriminations »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.12.2009 |

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« La recherche de la diversité ne prémunit pas contre les discriminations »

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Une confusion s'est opérée entre les termes «diversité» et «égalité», dont les objectifs sont pourtant différents et même contradictoires. Pour l'employeur, la priorité est de repérer le risque de discrimination dans l'entreprise.

E & C : Dans le discours managérial, syndical, politique ou médiatique, les termes d'«égalité» et de «diversité» sont synonymes. Pourquoi ?

Eric Cédiey : Effectivement, il y a une confusion. Par exemple, le Label Diversité renvoie à la prévention des discriminations et à l'égalité des chances, et pourtant, il s'intitule label «diversité».

Le discours de la diversité vient du monde de l'entreprise. Claude Bébéar (ex-patron d'AXA) et Yazid Sabeg (commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances) en sont, en France, les promoteurs les plus connus à partir de 2004. Parce que cette notion semble liée à l'intérêt économique, et paraît moins contraignante que la «lutte contre les discriminations» issue du droit, on a préféré parler de «diversité». L'égalité - de traitement et des chances - s'est vite trouvée noyée dans un discours de «promotion de la diversité» qui manque d'un objectif concret. Sa définition la moins floue reste celle du seul article titrant sur la diversité dans la charte du même nom, et qui engage les entreprises à « refléter la diversité de la société française ». Est-ce là un objectif concret ?

E & C : Pour un employeur, est-il plus opérationnel de tenter de réaliser l'égalité ou la diversité ?

E. C. : L'égalité dans les situations professionnelles est un objectif difficile à atteindre, mais, au moins, peut-on le définir, et mesurer si on s'en approche. En revanche, on ne sait pas dire quel est le bon niveau de diversité. Faut-il prendre comme référence la population française, et peut-on en définir la diversité ? Cela a-t-il un sens pour un employeur ? La référence du bassin d'emploi en aurait peut-être plus, mais comment le délimiter et prétendre que sa composition est stable ? En outre, certaines pratiques pour atteindre la diversité courent directement un risque discriminatoire : par exemple, les recrutements de «candidats de la diversité» qui se font sur ce critère même...

E & C : Rechercher la diversité prémunit-il contre les discriminations ?

E. C. : Le croire revient à prendre les choses à l'envers, et expose à plusieurs risques, outre celui qui vient d'être évoqué. Ainsi, chercher à améliorer la diversité de son recrutement avant d'avoir traité les risques discriminatoires dans son entreprise accroît les possibilités que ces risques internes se manifestent, dans les conditions et les relations de travail, les promotions, les salaires, etc.

Il ne faut pas se tromper, non plus, sur les actions positives. Elles sont destinées à remédier à des inégalités de fait, et sont autorisées en droit européen, et en droit français, notamment s'agissant des inégalités entre hommes et femmes. Mais ces exceptions à la stricte égalité de traitement visent à établir l'égalité des chances, et non à atteindre une «représentation» ou le «reflet de la diversité». La Cour de justice des communautés européennes a ainsi condamné un employeur qui allait « au-delà d'une promotion de l'égalité des chances » en donnant la priorité aux candidatures féminines, dès lors que les femmes étaient «sous-représentées» (arrêt Kalanke).

E & C : Yazid Sabeg estime que, pour mesurer la diversité et les discriminations, il faut créer un outil, le «ressenti d'appartenance». C'est l'une des missions du Comedd (1), dont on attend toujours le rapport. Que pensez-vous de cet outil ?

E. C. : Ce qu'un employeur a besoin de repérer, c'est le risque de discrimination. Les discriminations s'appuient sur des signaux visibles (l'apparence, le patronyme...) à partir desquels les autres mobilisent des stéréotypes. Or, le «ressenti d'appartenance» est une autodéfinition identitaire. Ce n'est pas cela que les discriminations prennent en compte. A ISM Corum, nous préférons élaborer des catégories correspondant à la façon dont les discriminations se construisent : sur la perception des autres. C'est pourquoi les diagnostics que nous menons, par entretiens, par testings ou par statistiques, s'appuient, notamment, sur le patronyme.

E & C : Justement, Yazid Sabeg considère que les enquêtes patronymiques sont illégales et qu'elles enferment dans une catégorie ethnique (2). Que lui répondez-vous ?

E. C. : Elles sont parfaitement légales si elles remplissent certaines conditions. Les méthodes statistiques d'ISM Corum sont, à chaque fois, validées par la Cnil - Commission informatique et libertés - parce qu'elles garantissent l'anonymat des personnes, notamment en travaillant à partir des prénoms. Le prénom est alors envisagé comme le support des perceptions d'autrui, l'indicateur d'une possible stigmatisation discriminante, et non d'une origine ethnique. Nos catégories : ceux qui sont «susceptibles d'être discriminés» ; et les autres. Le risque d'ethnicisation est bien plus fort avec une formule comme le «ressenti d'appartenance».

(1) Comité pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations.

(2) Lire Entreprise & Carrières n° 969.

PARCOURS

• Eric Cédiey est consultant-chercheur à ISM Corum (bureau d'étude et institut de formation ayant développé une forte spécialité sur les questions de discrimination).

• Diplômé de l'Ensaee (école des administrateurs de l'Insee) et normalien, il a étudié les politiques d'«affirmative action» en Afrique du Sud.

• Il est l'auteur de nombreux articles, dont La mesure des discriminations liées à «l'origine». Statistiques et testing (ISM Corum, 2008), et, avec F. Foroni : Les discriminations à raison de «l'origine» dans les embauches en France (Cahiers des migrations internationales, n° 85, BIT, 2007).

LECTURE

Usages de la diversité, revue Raisons politiques, n° 35, août 2009, Presses de Sciences po.

Le droit du travail en pratique, Michel Miné et Daniel Marchand, éd. d'Organisation, 2008.

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