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« L'observation sociale partagée peut devenir un outil de médiation »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 19.01.2010 |

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« L'observation sociale partagée peut devenir un outil de médiation »

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L'observation sociale, à l'origine simple outil de veille pour la direction générale, est devenue plus active grâce aux sondages directs auprès des salariés. Afin de répondre à son objectif de prévention de la conflictualité, elle pourrait désormais associer les syndicats de l'entreprise pour une approche partagée des problèmes sociaux internes.

E & C : L'observation sociale reste un dispositif peu connu, pouvez-vous rappeler en quoi il consiste ?

Bernard Brière : Apparue dans le milieu des années 1980 à l'initiative des directions générales de certains grands services publics (RATP, EDF, SNCF, La Poste...), la veille sociale avait, d'entrée de jeu, comme fonction de réduire la conflictualité sociale. Le dispositif était, à l'origine, limité à la collecte d'informations à partir des sites des syndicats et du suivi des négociations sociales de branche ou nationales. Peu à peu, cette veille s'est transformée en observation sociale, indiquant par là le passage du recueil d'informations à la sollicitation d'informations par l'organisation de réseaux internes, de sondages, voire en impulsant des études sur les sujets sensibles. Celles-ci sont confiées à des chercheurs ou à des instituts spécialisés et portent sur des questions préoccupantes concernant la paix sociale. Il s'agit de faire émerger les sujets de mécontentement latents ou simplement les attentes des salariés en termes d'évolution de carrière, de reconversion, etc. Cette visée strictement gestionnaire reste ascendante et ne donne lieu à aucune restitution auprès des salariés.

E & C : Vous souhaiteriez, aujourd'hui, que ces informations soient communiquées aux organisations syndicales, voire deviennent transparentes pour tous ?

B. B. : Effectivement. Dans la mesure où elles sont recueillies sur des échantillons représentatifs de salariés, ces informations peuvent intéresser non seulement les directions générales, mais également les syndicats. Ceux-ci, en effet, en fonction de leur importance quantitative dans les entreprises, ne peuvent pas toujours disposer d'éléments d'information objectifs sur le climat social. Avoir accès aux informations de l'observation sociale permettrait d'objectiver les constats sociaux et, par conséquent, d'élever la consensualité des analyses. Engager une grève pour un motif qui n'est pas pertinent parce que toutes les informations ne sont pas disponibles représente beaucoup de temps perdu et un coût financier, social et humain. D'où la nécessité de pouvoir cibler les actions de manière plus rigoureuse et donc plus efficace. Le zéro conflit n'existe pas, bien sûr, car à partir des mêmes informations, les décisions stratégiques des différentes parties prenantes ne sont pas obligatoirement les mêmes. Mais il est plus facile et surtout plus utile de discuter à partir de constats communs. Les chiffres et les faits peuvent parfois mettre tout le monde d'accord.

E & C : Quels sont les enjeux ?

B. B. : Au-delà d'une meilleure connaissance de la réalité de l'entreprise, les enjeux sont sans doute ceux de pouvoir. Les syndicats les plus revendicatifs ont assez mal perçu la mise en place de l'observation sociale, qui leur semblait un moyen de les court-circuiter. Mais, outre cette méfiance, on peut considérer que l'opacité ne favorise pas le dialogue social. Monopoliser l'information, c'est toujours plus ou moins la manipuler ou être susceptible de l'utiliser à des fins de manipulation. Dans la mesure où l'objectif de départ est de favoriser la paix sociale, un accès à l'information en toute transparence, partagé entre les directions et les représentants des salariés permettrait de réduire la conflictualité, même si c'est au prix de ce que certains appelleront une cogestion (qui, de fait, existe déjà). Les problèmes de l'entreprise et dans l'entreprise sont ceux de tous. S'il s'agit de faire avancer les choses, les enjeux de pouvoir doivent être écartés.

E & C : Comment faire, et pourquoi ?

B. B. : Pour arriver à une analyse consensuelle des situations, l'observation doit être réalisée à partir de méthodes sur lesquelles les partenaires peuvent s'entendre : c'est-à-dire qu'il serait important de définir ensemble ce qui est recherché, pourquoi, où et comment. Les instituts de sondages connaissent leur métier, mais ne sont pas, a priori, sensibilisés à ce qui fait débat dans l'entreprise. Les syndicats, à cet égard, peuvent avoir une fonction d'alerte, être avec les dirigeants de l'entreprise à la base de la commande. Réciproquement, le fait de les associer en amont du questionnement devrait aider à asseoir leur représentativité actuellement mise à mal. Les associer à un processus d'analyse objective de l'entreprise, c'est les considérer comme des partenaires et pas seulement comme des trouble-fête. A n'en pas douter, cela pourrait favoriser un syndicalisme d'autant plus responsable qu'il serait mieux éclairé, et tout le monde, y compris les directions d'entreprise, aurait à y gagner. L'observation sociale partagée peut et doit devenir un outil de médiation sociale, ce qui semble particulièrement pertinent à l'heure où les conditions de travail, notamment, sont incriminées en interne, mais aussi, de plus en plus souvent, devant l'opinion publique.

PARCOURS

• Bernard Brière est directeur adjoint de l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales). Il travaille sur deux secteurs : l'observation sociale et les conditions de vie et de travail.

• Il a publié à l'Ires un document de travail intitulé L'observation sociale, outil de l'amélioration de la performance sociale (n° 01-09, septembre 2009).

LECTURES

La France du travail, ouvrage collectif des chercheurs de l'Ires, éditions de l'Atelier, 2009.

Les syndicats face à la responsabilité sociale des entreprises, coordonné par Yves Lochard et Anne Bory, Revue de l'Ires n° 57.