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Les Hospices civils de Lyon font la chasse au gaspi

Les pratiques | publié le : 09.02.2010 |

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Les Hospices civils de Lyon font la chasse au gaspi

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En juin 2009, les Hospices civils de Lyon (HCL), deuxième CHU de France, ont décidé d'engager 40 mesures de réduction des gaspillages dans l'organisation de toutes leurs activités. La démarche s'inspire de la méthodologie du «lean management», inventée dans l'industrie automobile, chez Toyota.

Aux urgences de l'hôpital Femme-mère-enfant (HFME) de Lyon, des consultants en blouse blanche côtoient, depuis le 1er février, les personnels soignants et administratifs en plein travail. De jour comme de nuit, ils viennent observer leurs allées-venues, leurs échanges d'information et leurs modes opératoires. Ils notent tout : les temps d'attente, l'activité dans les salles de soins, la façon de classer des dossiers ou de stocker des médicaments, les gestes répétitifs, les déplacements superflus.

Puis, ils font le point devant des groupes de travail réunissant tous les intéressés, l'agent de service hospitalier comme le cadre de santé. Ces réunions doivent servir à produire un diagnostic partagé, décliné en indicateurs d'activité - les taux d'admission des patients, l'optimisation des plages horaires... Ensuite, à recueillir des suggestions correctives, à expérimenter dès le lendemain. Le principe étant de ne retenir que ce qui fonctionne.

Eponger le déficit d'exploitation

Cette démarche reprend les méthodes du «lean management», appliquées depuis vingt ans dans l'industrie automobile, puis dans les services, pour réduire les gaspillages dans les organisations de travail. De plus en plus de CHU s'en inspirent pour certaines de leurs activités : à Clichy (hôpital Beaujon), à Saint-Etienne, et à Genève actuellement...

Les CHU allemands seraient très avancés sur le sujet. En France, aucun n'y a autant recours qu'aux Hospices civils de Lyon, où le «lean» va s'appliquer à l'ensemble des activités médicales, médico-administratives et support. En juin 2009, le deuxième CHU de France a fait de ce chantier l'un des leviers de son projet d'établissement «Cap 2013», visant à éponger le déficit d'exploitation de 61 millions d'euros, sur un budget de 1,4 milliard d'euros.

Parmi un catalogue de 140 mesures prioritaires, 40 sont des modules «lean» confiés au consortium de cabinets McKinsey et Eurogroup. Ils interviennent à raison de trois mois par grand site hospitalier (Edouard-Herriot, Femme-mère-enfant, Lyon Croix-Rousse et Lyon-Sud) et sur six larges domaines : les urgences et blocs opératoires ; les regroupements de services par pôles médicaux ; les achats ; la révision des processus RH ; les fonctions techniques et la démarche clientèle.

« L'hôpital étant habitué à faire de l'audit, nous prenons le parti de tout faire sauf de l'audit », commente Julien Samson, directeur général adjoint des HCL en charge du projet. S'agissant des urgences et des blocs opératoires, « le coeur nucléaire de l'hôpital », il dit vouloir « mettre le focus sur les solutions venant des agents et des médecins, accompagnés par des consultants ». Selon cet énarque, ancien conseiller technique pour la protection sociale auprès de Nicolas Sarkozy, l'objectif est d'agir « simultanément sur l'efficacité économique, la qualité des soins bloc par bloc, et sur les conditions de travail au sens large - c'est-à-dire incluant la gestion de l'absentéisme, les risques professionnels et le suivi des burn-out. Le but, derrière tout ça, est d'améliorer notre performance globale, au service de nos finances et de nos patients ».

Heures supplémentaires divisées par deux

Ni le montant du contrat passé, en juin 2009, avec les cabinets destinés à faire faire des économies au CHU, ni le nombre de consultants mobilisés (eux-mêmes épaulés par des médecins extérieurs) ne sont communiqués. « Nous finançons nos projets avec une aide de la nouvelle Agence nationale d'appui de la performance - créée par le ministère de la Santé pour soutenir les expériences innovantes - et en mobilisant notre plan de formation - 12 millions d'euros », répond Cédric Arcos, chef de cabinet du directeur général des HCL.

Hormis les urgences, qui en sont aux prémices, les consultants ont supervisé les blocs opératoires de trois sites hospitaliers. A Lyon-Sud (hôpital de neurocardiologie), un bloc multipliait les heures supplémentaires subies : ses plannings d'opérations ont été simplement révisés. « Nous avons divisé par deux les heures supplémentaires de certains personnels - infirmières et aides-soignants », note Julien Samson, qui fait état de 2 033 heures de mai à octobre 2008, contre 810 heures en 2009, sur la même période. « Le nombre d'heures supplémentaires moyen est passé de 13 h à 5 h par agent, à niveau d'activité croissant. »

S'appuyant sur l'exemple de l'hôpital Beaujon (AP-HP), qui aurait réduit de 30 % ses délais d'attente dès 2003, en faisant appel à McKinsey, il souhaite faire aussi bien pour l'ensemble du CHU. « Un hôpital est un agrégat de services, justifie-t-il. Ce qui est possible dans un bloc l'est aussi dans un autre. Mais, même si la méthodologie est commune, l'objectif n'est pas l'uniformisation des solutions. »

Le directeur adjoint ne croit pas au risque d'une détérioration des conditions de travail : « Au contraire. Nous constatons qu'il existe déjà un problème structurel, puisque le taux d'absentéisme - toutes causes confondues - excède 10 %. L'absentéisme est ressenti par les équipes comme une désorganisation qui crée de la souffrance au travail. Nous travaillons donc sur les organisations de travail et posons des indicateurs - notamment sur les TMS et les congés de longue maladie. »

D'autres pistes sont avancées : une nouvelle offre de places en crèche, une détection plus précoce des personnels en souffrance, ou encore l'élaboration d'un baromètre social (200 questions) alimenté par les réponses anonymes de 4 000 personnes. Le CHU va aussi réviser son système d'intéressement, en modifiant son calcul de primes de présentéisme.

Réduction de postes

De leur côté, les syndicats sont dubitatifs. Antonio Ramirez, délégué CFDT, avance deux raisons. Primo, « la politique de désengagement des effectifs », qui se traduit par une réduction de 800 postes d'ici à 2013*, « est d'autant moins bien vécue que le regroupement des activités pédiatriques, en 2009, vers le nouveau site HFME, a perturbé les services durant plusieurs mois ». Il s'interroge, également, sur les marges de manoeuvre de la direction : « La présentation générale que nous a faite le prestataire donnait l'impression d'un compte rendu de CHSCT. On nous a parlé des dysfonctionnements des services, des mauvaises conditions de travail, des attentes de plusieurs heures aux urgences et aux consultations... Autant de sujets sur lesquels nous avons déjà alerté la direction, sans résultat. Or, les relevés des médecins du travail et les commissions de réforme des personnels montrent que les risques psychosociaux sont devenus prégnants. »

* Sur la base du non-remplacement d'un poste sur quatre parmi les personnels soignants, de deux postes sur trois dans les services administratifs, techniques et logistiques, et d'un poste sur quatre dans les services d'imagerie et de biologie. La population infirmière est, en revanche, écartée de ces prévisions.

Le risque de la «logique Shadok»

Le Centre de recherches et de compétences en logistique hospitalière (université Jean-Monnet de Saint-Etienne) réalise, depuis 2007, du conseil en «lean management» pour différents CHU. Il intervient actuellement pour un département d'imagerie des HCL, indépendamment de la mission confiée à McKinsey et Eurogroup.

Fabrice Boniface, ingénieur-conseil, juge que le «lean» est facilement transposable : « Tous les outils d'amélioration continue et de réduction des gaspillages que Toyota a créés, dès les années 1960, ainsi que ceux qui ont été développés depuis, peuvent s'appliquer au secteur hospitalier. Les possibilités ne sont pas aussi étendues dans les secteurs très techniques de l'industrie lourde, puisqu'il est difficile de déplacer des laminoirs ou des équipements de chimie. »

Pour autant, il soutient qu'une mauvaise assimilation des outils d'organisation peut conduire à des catastrophes. « Dans l'industrie, beaucoup de managers les utilisent selon une logique «Shadok». C'est-à-dire qu'ils vont les essayer tous, un par un - le 5 S, pour ordonner le poste de travail ; le poka yoke, pour corriger les erreurs... -, sans en voir la pertinence. Conséquences : perte de temps, baisse d'efficacité, apparition du stress. Dans le secteur hospitalier, les démarches «lean» démarrent. Autant ne pas reproduire ce type d'erreur. »

Manque d'encadrement

S'agissant des personnels hospitaliers, il considère que la difficulté « tient à ce qu'ils n'ont pas intégré la nécessité de modeler leur environnement de travail ». « Durant des années, ils ont eu l'habitude d'être livrés à eux-mêmes, expliquet-il. Beaucoup n'ont pas d'encadrement de premier niveau, surtout les paramédicaux - aides-soignants et secrétariats. Ou sinon, cette responsabilité est tellement diluée parmi d'autres attributions qu'elle ne se voit pas. Donc, vous trouvez des personnes qui réussissent à trouver leur équilibre sans que la prise en charge du patient n'entre en ligne de compte. Ce type d'organisation appelle un changement de comportement managérial. »

L. P.

L'essentiel

1 Le projet d'établissement des HCL visant à réduire son déficit s'appuie sur la méthode du «lean management». Objectif : améliorer la performance globale.

2 La démarche, pilotée en interne avec l'aide de deux cabinets de consultants, consiste à observer chaque activité de l'ensemble du personnel hospitalier afin de ne retenir que «ce qui marche».

3 Améliorer les conditions de travail fait partie du dispositif. Mais les syndicats, qui ont déjà alerté la direction sur ces problèmes, restent dubitatifs quant à l'efficacité de la démarche.

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