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Enquête

SYNDICAT QUI RIT ET SYNDICAT QUI PLEURE

Enquête | publié le : 01.04.1999 | Valérie Devillechabrolle

Alors que l'État achète encore la paix sociale au prix fort, les syndicats du privé sont désormais contraints de lâcher du lest.

Ce lundi matin, Olivier Bireaud est tendu. Délégué syndical CFDT du Bazar de l'Hôtel de ville à Paris, ce jeune homme de 29 ans dont dix passés au BHV doit défendre un salarié, menacé d'un licenciement pour faute. Le contrevenant a fait profiter son cousin de l'escompte réservé au personnel du BHV pour l'achat d'une télévision. Afin d'écarter la menace, tous les syndicats du magasin, dont la CFDT, majoritaire, vont déployer le grand jeu : signature d'une pétition de soutien, débrayage dans le service de l'intéressé, interruption de la réunion du comité d'entreprise, irruption dans le bureau du chef du personnel. Au bout du compte, le fautif s'en sortira avec une semaine de mise à pied. Dur, quand le salaire est déjà, en temps normal, calculé sur la base d'un temps partiel… « Toutes les semaines, on se bat contre des sanctions disciplinaires de ce genre, soupire Olivier, qui milite depuis six ans. Seul le motif change : mauvaises relations avec la clientèle, avec les collègues, baisse du chiffre d'affaires… C'est une épreuve de force permanente ! »

À l'abri des barbelés qui entourent les deux réacteurs de la centrale nucléaire EDF de Nogent-sur-Seine, Pascal Versavel et Philippe Béroud, les deux responsables de la section cédétiste, quarante-cinq ans de syndicalisme à eux deux, n'ont pas autant de soucis. L'essentiel de leur temps syndical est consacré à « gérer la soupe », comme ils disent. En clair, à promouvoir l'avancement des agents et, plus précisément, celui des adhérents CFDT qui s'estiment insuffisamment reconnus par leur hiérarchie. Pas moins de trois réunions avec la direction y sont consacrées tous les trois mois, et chaque organisation syndicale est d'ailleurs rencontrée séparément. Le principal motif de satisfaction des deux syndicalistes est de réussir à promouvoir ceux qui, à compétence professionnelle équivalente, sont « mal vus » de leur hiérarchie. Mais il leur arrive aussi de convaincre des agents de faire quelques efforts. « Nous avons de très bons rapports avec la hiérarchie : elle a compris que nous n'étions pas là pour faire la révolution », souligne Pascal.

Les syndicats du public font monter les enchères

Des années-lumière séparent la section d'EDF de celle du BHV, toutes deux pourtant affiliées à la même confédération, la CFDT. Côté privé, les syndicats sont régulièrement invités par les entreprises à prendre en compte les impératifs de la concurrence. « Comment pouvez-vous imaginer que l'on se prive d'entrer dans des dispositifs (flexibilité, annualisation, temps partiel) qui, à défaut, nous condamnent vis-à-vis de la concurrence des hypermarchés ? » souligne Jacques Perrilliat, président de l'Union du grand commerce de centre-ville (UCV). Côté public, et en particulier chez les mastodontes de l'État (EDF-GDF, SNCF, RATP, La Poste…), les syndicats peuvent, en revanche, s'offrir le luxe de faire monter les enchères de la paix sociale. L'État actionnaire ou employeur a toujours accepté de payer la cohésion sociale au prix fort. Et rien n'a vraiment changé, ou presque, avec l'ouverture à la concurrence. Ainsi, à EDF-GDF, ni la tutelle ni la direction n'ont encore renoncé à engranger les bénéfices politiques d'un « bon » dialogue social. « Pour la négociation sur les 35 heures, elles étaient prêtes à vider l'accord de toute contrepartie salariale formalisée pour avoir la signature de la CGT », note un observateur.

A contrario, dans le commerce, bien avant que la loi Aubry soit votée, le patronat proposait aux représentants des salariés une flexibilité supplémentaire en contrepartie d'une réduction du temps de travail. Face au refus des syndicats, la riposte n'a pas tardé : dénonciation de la convention collective il y a un an, menaces, aujourd'hui, de négociations directes dans les entreprises et de recours accru au temps partiel et aux CDD. « Les syndicats l'auront bien cherché », explique Jacques Perrilliat. Résultat, sur le terrain, les 35 heures ont contribué à créer un véritable abîme entre les préoccupations de la section CFDT du BHV et celle de la centrale EDF de Nogent. Rue de Rivoli, les cédétistes se démènent comme de beaux diables pour mobiliser contre les propositions patronales, tandis que les syndiqués de Nogent mitonnent leurs revendications pour améliorer l'accord national d'EDF, encore au niveau local.

6 000 salariés dans la rue… pour rien

En l'espace d'un an, les syndicats du commerce parisien ont organisé quatre manifestations, dont la dernière, le 29 janvier, a réuni, selon eux, 6 000 salariés. Dont 800 issus du BHV Rivoli. Mais quels efforts pour les remuer, indique Philippe Itier, l'un des plus aguerris de la section : « Il a fallu “tracter” partout, convaincre les salariés un par un à la cantine, y retourner une deuxième fois parce que certains s'étaient entre-temps laissé séduire par les contre-arguments de la direction, gonfler ceux en butte aux pressions hiérarchiques tout en protégeant les plus fragiles. » Et, pour finir, gérer le retour de manifestation, qui s'est traduit, selon le syndicat, par des suppressions de congés et de primes, des changements autoritaires de postes ou de rayons… Bénéfice de l'opération : infime pour la négociation de la branche, mais une vingtaine d'adhésions supplémentaires pour la section CFDT.

À Nogent aussi, les 35 heures s'annoncent à haut risque. Pas pour les mêmes raisons. Pascal et les siens veulent avant tout éviter de passer pour des « vendus » à la direction. Avec la signature du précédent accord de 1997 par la CFDT, « la section a perdu une douzaine de ses 150 adhérents », reconnaît Pascal. La contrepartie financière demandée aux agents en temps réduit était en effet passée par un lissage des « périphériques », c'est-à-dire des primes qui, dans le nucléaire, représentent jusqu'à 50 % de la rémunération. La CFDT s'apprête, cette fois-ci, à batailler ferme afin de faire entériner la notion de « volontariat » dans l'accord local, pour réduire d'éventuelles pertes salariales par une revalorisation des indemnités kilométriques, pour le maintien du calcul de certaines primes sur la base d'un temps plein, etc. « À partir de là seulement, on pourra parler de créations d'emplois tout en étant suivis par le personnel », explique Pascal.

La réforme des retraites ? Pour la CFDT du BHV, aux prises avec « l'injustice, la régression sociale, le chantage à l'emploi », ce n'est pas une préoccupation. Alors qu'à la centrale de Nogent le sujet échauffe les têtes syndicales. Pour Pascal, le problème ne sera alors pas tant d'entrer dans un conflit que d'en sortir. La dernière fois, en 1994, 80 % des agents étaient restés en grève pendant douze jours, alors que la direction avait reculé dès le quatrième jour…

Des moyens sans commune mesure

Installé dans une arrière-cour, à 30 mètres du magasin, le local de la section CFDT du BHV a des murs gris sale, recouverts d'affiches et de tracts. Mais qu'importe. « C'est un acquis syndical », rappelle Olivier. Dans d'autres magasins, tous les syndicats se partagent une seule salle. Ce qui n'empêche pas, selon lui, la direction du BHV de faire montre d'une « grande mesquinerie ». Impossible, par exemple, d'obtenir une deuxième ligne de téléphone pour brancher le fax et le Minitel. L'ordinateur ? C'est celui d'un militant.

Pour les tracts, les quatre syndicats se partagent la photocopieuse du comité d'établissement. Quant aux heures de délégation, les militants n'ont que le minimum légal, soit 55 heures par mois pour Olivier qui cumule trois mandats, dont celui de secrétaire au comité d'établissement. Conséquence : Olivier travaille toujours le lundi et le mercredi en nocturne.

À Nogent-sur-Seine, Pascal n'était au départ détaché qu'à mi-temps au syndicat. Jusqu'au jour où il a décidé de ne s'« occuper que du syndicat, comme cela se pratique à la CGT ». « Ma hiérarchie a râlé un peu », reconnaît Pascal. Mais le quota d'heures attribuées – globalement et largement – par la direction aux syndicats (en fonction de leurs résultats aux élections) autorise cette souplesse. Pas de souci matériel non plus pour la section. EDF prend en charge les fournitures de bureau, l'informatique, le téléphone. Les frais de justice ? « On n'a jamais eu besoin d'aller devant les tribunaux. » Au BHV, Olivier évite, lui aussi, d'aller en justice : « Par manque de temps et de moyens. Sinon, on ne ferait que cela. »

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle