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Enquête

LE BUG DES 35 HEURES

Enquête | publié le : 01.03.2000 | Liaisons sociales Magazine

C'était promis, juré, la réduction du temps de travail allait créer des emplois à profusion, octroyer du temps libre, apporter plus de souplesse aux entreprises, dynamiser le dialogue social… Raté ! L'effet sur les embauches est homéopathique, les salariés sont frustrés, les employeurs excédés et les arrêts de travail se multiplient. Inventaire des couacs des 35 heures.

Inauguration en fanfare pour les 35 heures. Métros et bus bloqués, barrages routiers, grèves à l'ANPE, à La Poste, mais aussi à Schneider Electric (Grenoble) ou chez Dim (Autun et Château-Chinon)… C'est dans la plus grande pagaille que la loi Aubry II est entrée en vigueur le 1er février. Entre la vision onirique des 35 heures véhiculée par le gouvernement Jospin lors de l'adoption de la première loi et la réalité de leur mise en œuvre sur le terrain, le réveil est brutal.

« Du temps pour soi, une chance pour l'emploi », grâce aux 35 heures. Sur le petit fascicule d'explication édité en 1998 par le ministère de l'Emploi, un ouvrier en bleu de travail, une jeune fille, le visage encadré par deux tresses, une femme cadre à la chevelure argentée… tous irradient la couverture d'un large sourire. Le gouvernement promet alors des lendemains qui chantent pour tout le monde. La réduction du temps de travail n'est pas seulement une chance pour les salariés de disposer de plus de temps libre. Elle donne aux entreprises une opportunité de repenser leur organisation du travail, en y injectant une bonne dose de flexibilité. Enfin et surtout, les 35 heures vont ouvrir toute grande la porte des entreprises aux chômeurs : Martine Aubry n'hésitait pas à l'époque à tabler sur quelque 700 000 créations d'emplois. Et, sûre d'elle-même, la ministre de l'Emploi plaçait sa première loi au Panthéon des avancées sociales historiques, comme 1936 et la conquête des congés payés. Qui sait ? L'histoire lui donnera peut-être raison. Mais, dans l'immédiat, c'est dans la douleur que se fait l'enfantement des 35 heures.

Leur entrée en vigueur aura même réussi la prouesse de réveiller la conflictualité dans le secteur privé, jusque-là fort tranquille. Que ce soit dans les assurances, l'informatique ou la presse, partout les salariés renouent avec les arrêts de travail. À l'usine Dim de Saint-Andoche, en Haute-Saône, douze jours de piquets de grève ont précédé la signature d'un protocole d'accord. Et le mouvement a été suivi par 90 % du personnel de production. Les 35 heures ont mis sur le bitume, tour à tour et à quelques jours d'intervalle, les patrons du transport routier et leurs salariés, les conducteurs. Bref, force est de constater que l'ouverture des négociations et la mise en œuvre des 35 heures entraînent une détérioration du climat social dans bon nombre d'entreprises. Une recrudescence des conflits est d'ailleurs constatée par le ministère du Travail en 1999. La contestation porte sur les modalités d'application de la réduction du temps de travail, les contreparties salariales ou les créations d'emplois. Mais, là où un accord a pu être trouvé, les 35 heures font aussi surgir d'autres problèmes. La suppression des heures supplémentaires entraîne par exemple un manque à gagner préjudiciable aux salariés les moins bien rémunérés. Souvent oubliées des discussions, les conditions de travail peuvent se détériorer sans que le temps libre dégagé ne compense les nouvelles contraintes ainsi créées.

L'attentisme et la méfiance sont de mise

Si l'attentisme et la méfiance dominent dans les rangs des chefs d'entreprise, la surprise est que les salariés ne sont pas loin d'être dans le même état d'esprit. Les jours précédant la date-butoir du 1er février, la station de radio France Inter avait consacré toute une émission à la réduction du temps de travail. À l'autre bout du fil, des consultants du cabinet Bernard Brunhes répondaient aux questions des auditeurs. Il y en eut 800 en cinq jours. « Nous pensions avoir des gens qui rêvent de temps libre, souligne Claudine Alezra, directrice du pôle management de BBC, en fait les questions ont essentiellement porté sur la période de transition et le régime des heures supplémentaires. Mais rien sur l'emploi ou sur les différentes formules d'aménagement du temps. Nous avons eu le sentiment qu'une majorité de personnes n'imaginaient pas de changement possible. »

Arrêts de travail

À répétition

Les 35 heures avaient vocation à redynamiser le dialogue social. Objectif atteint dans les branches et entreprises signataires. Ce qui n'était pas prévu, en revanche, c'est qu'elles détériorent les relations sociales dans bon nombre d'entreprises. Au grand dam des chefs d'entreprise et de l'État, les grèves se multiplient dans les bastions traditionnels du public, mais aussi dans le secteur privé, pourtant fort calme jusque-là. « Les conflits ont été en nette reprise en 1999 », confirme-t-on au ministère du Travail, sans pouvoir encore en chiffrer la progression. Illustration à l'établissement Powertrain de Strasbourg : « En deux jours de grève, nous avons obtenu ce que la direction nous refusait depuis trente-deux séances de négociation ! » Délégué syndical, Robert Rolland n'en revient pas. C'est en effet la première fois depuis vingt-deux ans que plus de 80 % des salariés de cet équipementier automobile de General Motors spécialisé dans les transmissions se sont mis en grève les 21 et 24 janvier. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase ? La mise en place, en échange des 35 heures, d'un nouveau cycle de production impliquant de travailler un week-end sur quatre. Pour Michel Dalbourg, directeur du personnel, « cette nouvelle organisation devait permettre de financer les 35 heures tout en évitant de geler les salaires ». Las ! c'était oublier que les salariés ne sont pas prêts, reconnaît-il, à accepter un « changement aussi fondamental dans leur vie »… Et que, production en juste-à-temps oblige, l'entreprise ne peut plus se permettre « un conflit long et dur ». La direction a préféré battre en retraite, quitte à « mettre en danger la compétitivité du site ».

Pour Anne Chatauret, responsable du dossier de l'aménagement et de la réduction du temps de travail chez Bernard Brunhes Consultants, la recrudescence des conflits du travail s'explique d'abord par le fait que « les entreprises qui négocient aujourd'hui se préoccupent davantage de se mettre en conformité avec la loi que de réfléchir à leur organisation du travail ». « Faute d'avoir été assez mûries, ces négociations menées dans la précipitation conduisent à des malentendus et à des conflits. » Et, maintenant que les 35 heures sont dans la loi et que l'embellie économique est au rendez-vous, « les salariés ont, ajoute-t-elle, de plus en plus de mal à accepter des contreparties ».

Bulletin de paie

Ça se complique encore

Le mois de février restera dans les annales des services de paie des entreprises ! Le 29 janvier, le décret d'application sur le bulletin de paie était publié au Journal officiel. Fin février, les premiers bulletins de paie devaient sortir dûment assortis des nouvelles mentions obligatoires (nature et volume du forfait, complément différentiel de salaire, nouveau régime des heures supplémentaires et bonifications attenantes, etc.). « Notre paramétrage de base a nécessité un temps plein pendant trois semaines, explique la responsable du service de paie d'un grand groupe d'édition et de presse. Mais nous ne savons pas encore quelles seront les adaptations à réaliser pour chaque entreprise, car elles n'ont pas toutes été signées. » « Cela fait dix-huit mois que nous répétons à nos clients que l'intendance ne suivra pas forcément », insiste de son côté Sophie Manegrier, chef de produit chez ADP-GSI. Anticipant la loi, le leader mondial de la paie et de la gestion des RH a prévu 14 formules d'organisation du temps de travail et conçu une batterie de compteurs (repos compensateur, récupération bonifiée, etc.) afin que le salarié connaisse parfaitement ses droits. « Avec tous nos compteurs de RTT, de dépassements horaires, de récupération pour intempérie, de repos compensateur, nos bulletins de salaire tiennent sur deux pages », tempête un DRH du BTP. Et le toilettage de l'article R. 143-2 du Code du travail (qui supprime le livre de paie et n'oblige plus l'employeur à mentionner chaque mois les cotisations sociales patronales) ne suffira pas à calmer des DRH passablement irrités par la complexité du nouveau dispositif.

Cadres

Les dindons de la farce

C'est la surprise des 35 heures ! Alors que tout le monde – gouvernement et directions d'entreprise notamment – pensait faire l'économie de l'application des 35 heures aux cadres, les intéressés n'ont pas été les derniers à en revendiquer le bénéfice, au même titre que leurs subordonnés. Mieux, le débat autour de la RTT a servi de révélateur au malaise qui couvait chez ces collaborateurs naguère bichonnés. Aujourd'hui ballottés dans la valse des restructurations, des changements de cap stratégiques, des fusions-acquisitions, les cadres ont de plus en plus de mal à admettre les horaires de travail à rallonge (plus de 45 heures en moyenne selon l'Insee) que leur imposent des objectifs toujours plus ambitieux. Cela alors que les signes extérieurs de leur statut se sont depuis longtemps effilochés.

Loin de le dissiper, la loi risque d'accroître encore ce malaise en entérinant la possibilité de décompter leur temps de travail en jours et non en heures. « Bon nombre de directions sont tentées de s'engouffrer dans la brèche du forfait en jours pour éviter d'aborder ce qui fait aujourd'hui la valeur ajoutée d'un cadre et qui ne se mesure pas seulement en temps de présence », explique Jean-Pierre Mongrand, consultant indépendant, ex-responsable du projet 35 heures au GAN. « Privés de toute possibilité de contester leurs horaires réels de travail, les cadres vont se faire laminer », renchérit Olivier Deloche, délégué syndical CFE-CGC de Pechiney, en constatant que, dans son entreprise, « tout débat sur la charge réelle de travail a été évacué ». Bref, faute d'un redimensionnement de leur charge de travail, les cadres pourraient bien être les dindons de la farce des 35 heures. « Tout dépend des marges de manœuvre laissées aux cadres pour réorganiser leur travail et de l'accompagnement qui leur sera dispensé », nuance toutefois Jean-Pierre Mongrand. Le plus grand risque serait que « les entreprises laissent leurs cadres se dépatouiller tout seuls avec l'organisation du travail de leurs collaborateurs et la leur… ».

Contentieux

Une bombe à retardement

En dépit d'un chapitre entièrement consacré à la sécurisation juridique, les lois Aubry devraient susciter pléthore d'actions en justice. Pour le plus grand plaisir des avocats. Ce sont les syndicats qui sont d'abord montés au créneau, en demandant l'annulation de certains accords d'anticipation. L'Association française des banques a ainsi vu son accord annulé par le tribunal de grande instance de Paris, puis réhabilité par la cour d'appel.

Les salariés ne resteront vraisemblablement pas l'arme au pied. Les interrogations foisonnent : comment décompter le temps de travail, comment le contrôler ? « Les affaires relatives aux heures supplémentaires commencent à encombrer nos bureaux », explique un avocat de droit social. Les 35 heures ouvrent la boîte de Pandore. Que se passera-t-il si les cadres se rebiffent et refusent de signer une convention de forfait en jours sans garantie sur leur charge de travail ? Ou si les salariés s'opposent à la modification de leur contrat en application d'un accord de réduction du temps de travail ? Dans cette hypothèse, la question cruciale du motif du licenciement, laissée en suspens par la loi, augure de belles batailles juridiques.

Contrôle

Des inspecteurs débordés

Comment contrôler une loi aussi complexe ? Les 1 250 inspecteurs et contrôleurs du travail s'arrachent les cheveux. Déjà, de multiples réclamations, plaintes ou simples demandes de renseignements s'accumulent sur leurs bureaux. « Tout le monde se tourne vers l'Inspection du travail : les employeurs, les organisations syndicales et les salariés », explique Bernard Grassi, président de l'association d'inspecteurs du travail Villermé. Le respect de la durée du travail s'annonce aussi comme un véritable casse-tête. Car le législateur n'a pas contraint les entreprises à adopter un dispositif précis de décompte du temps de travail, malgré les demandes répétées des inspecteurs du travail. Pis ! La plupart des accords d'entreprise ne comportent aucune précision sur les modalités d'application de la RTT ou sur les métiers concernés par les créations d'emplois. « La nouveauté, c'est qu'il y aura une règle par entreprise. Nous serons dans l'incapacité de toutes les contrôler. Ce sera aux partenaires sociaux de le faire », résume Sylvie Catala, présidente de l'association L. 611-10, concurrente de Villermé. Quant au contrôle en amont de la conformité des accords avec la loi, il s'exerce de façon quasi fictive en ce début d'année 2000 vu l'afflux de signatures. Déjà en sous-effectif notoire, les agents de contrôle ruent dans les brancards. Comme ce 3 février à Angers où, comme un seul homme, ils décidaient de quitter la grand-messe de lancement des 35 heures présidée par Jean Marimbert, directeur du Travail, et Catherine Barbaroux, la nouvelle déléguée à l'Emploi et à la Formation professionnelle.

Conventions collectives

Dénonciation toute !

Effet inattendu des 35 heures : un grand nettoyage de printemps des conventions collectives. Quitte à tout remettre à plat, certaines fédérations patronales ont saisi la perche pour dénoncer les avantages conventionnels de leur branche. Les CCN des notaires, du sucre, des grands magasins ou encore des banques (AFB) ont ainsi volé en éclats. D'autres fédérations, comme celles du BTP, de la métallurgie (UIMM), de la chimie ou de l'informatique (Syntec) ont sauté sur l'occasion pour toiletter leurs accords conventionnels. Remettant en cause ici des primes d'ancienneté rondelettes, là des congés maternité avantageux… Au total, plus d'une centaine d'accords de branche ont été ainsi reliftés. « Les 35 heures ont servi de prétexte pour rogner sur les avantages acquis », s'insurge Pierre Gendre, secrétaire fédéral de FO Banques. Après dix-huit mois de négociation, les syndicats se sont finalement accordés sur une nouvelle convention le 10 janvier dernier. Passé ce délai, ils risquaient, en l'absence de signature, de se voir appliquer le seul Code du travail. « La nouvelle convention AFB est loin de ressembler à celle de 1952. Elle reste supérieure à nombre de conventions du privé mais on y laisse des plumes, concède le syndicaliste. Les augmentations salariales, les indemnités de licenciement ont été revues à la baisse, la prime d'ancienneté a disparu. Les congés de maternité ont été ramenés de 135 à 112 jours pour celles qui n'ont pas choisi d'allaiter. Ces mères perdent 23 jours mais conservent tout de même 45 jours de plus par rapport à la loi. Tous ces avantages perdus seront-ils compensés par la RTT ? Il est encore bien tôt pour se prononcer. »

Délocalisations

Le coq a du plomb dans l'aile

Avec les 35 heures, produire en France devient une gageure pour certains secteurs. Et un luxe pour d'autres. Spécialiste toulousain de la bonneterie et farouche défenseur du made in France, Rouleau-Guichard a fini par lâcher prise : il vient de délocaliser une partie de sa production. « Nous avons de plus en plus d'appels d'offres internationaux. Les concurrents tunisiens, marocains, d'Europe de l'Est et d'Asie font pression sur les prix. Sur certains articles, nous perdons de l'argent. Les 35 heures – qui représentent une hausse de près de 6 % de la masse salariale – n'arrangent rien », explique Alain Rouleau, le P-DG. Aujourd'hui son entreprise produit 150 000 pièces par jour en France, 20 000 en Tunisie et 10 000 en Roumanie. Au moment de la préparation de la loi des 35 heures, beaucoup d'entreprises avaient menacé de faire fabriquer tout ou partie de leurs produits à l'étranger. Quelques-unes ont mis leur menace à exécution, notamment dans l'habillement, comme ce fabricant de chaussettes qui a décidé de transférer sa gamme de qualité moyenne au Maroc, pour ne garder en France que le haut de gamme. « Quand je prends l'avion pour la Tunisie ou la Roumanie, je ne rencontre pas que des patrons du textile » assure Alain Rouleau, pour lequel le phénomène de délocalisation va bien au-delà des seuls secteurs consommateurs de main-d'œuvre. Certains cadres dirigeants de groupe international reconnaissent mezzo voce que, dans les arbitrages sur l'implantation de nouvelles unités de production ou de recherche, la France est désormais sérieusement handicapée. D'autres groupes pratiquent la « désimplantation ». Président du cabinet de conseil Altedia, Raymond Soubie cite le cas de grands cabinets de conseil ou de grandes banques qui font davantage travailler leurs équipes hors de France, par exemple à Bruxelles ou à Londres.

Emploi

Pas de miracle à attendre

Le flou est total sur la seule question qui vaille : mesure phare du gouvernement Jospin, la réduction du temps de travail contribuera-t-elle ou non à faire reculer le chômage ? Une formidable cacophonie règne en effet entre les économistes sur l'efficacité des 35 heures en matière d'emploi. Les uns pronostiquent la catastrophe : les 35 heures conduiraient inévitablement à alourdir les coûts de production des entreprises et donc à détruire des emplois. Patrick Artus, directeur des études économiques à la Caisse des dépôts et consignations, prévoit ainsi la disparition de 200 000 emplois à l'horizon 2002-2003. Les autres promettent l'eldorado : le partage du travail serait, sous certaines conditions, le moyen le plus efficace pour combattre le chômage.

Mais plus ça va, plus ces derniers se montrent prudents. Il y a trois ans, l'Observatoire français des conjonctures économiques estimait ainsi qu'une telle réduction du temps de travail pourrait créer 1,4 million d'emplois en trois ans. Aujourd'hui, l'OFCE n'en prévoit au mieux que la moitié… en cinq ans. Et cela à condition que les coûts de production de l'entreprise soient préservés, le personnel en place acceptant un réel sacrifice salarial. Or le bilan des premiers accords Aubry est éloquent : la quasi-totalité prévoit une compensation salariale intégrale de la réduction de la durée du travail, donc un alourdissement du coût horaire du travail. Au mieux, certains accords décident un gel des salaires sur un, voire deux ans. Mais, pour minimiser les coups de canif qui pourraient être donnés au pouvoir d'achat, la plupart intègrent une clause de révision liée à l'inflation ou aux résultats de l'entreprise.

Comptabilisant les engagements de création d'emploi consignés dans les accords, le ministère de l'Emploi n'hésite pas à claironner le nombre de 160 000 emplois créés ou préservés. Mais ce chiffre doit être interprété avec la plus grande circonspection. Tout d'abord il ne s'agit que d'engagements : correspondront-ils toujours à des embauches effectives ? Et quel sera le solde net de l'emploi dans les entreprises aidées dans deux ans, une fois qu'elles seront délivrées de leur obligation de maintenir le niveau de leur effectif ? Ensuite il faut compter avec l'effet d'aubaine : nombreuses sont en effet les entreprises qui, anticipant les 35 heures, ont gelé leurs embauches. Ou celles qui, surfant sur l'embellie, auraient de toute façon recruté. « Dans un groupe en croissance de 15 % par an, les 7 % d'embauches réalisées au titre des 35 heures ne compensent rien », s'insurge André Martin, délégué CFDT de Siemens.

Financement

Cherche milliards désespérément

Le financement des 35 heures a conduit le gouvernement à échafauder une véritable usine à gaz. Pour financer un allégement des charges patronales jusqu'à 1,8 fois le smic et une aide forfaitaire de 4 000 francs par an et par salarié, quelque 20 milliards de francs devront être trouvés cette année. Ce qui a conduit le gouvernement à racler les fonds de tiroirs et à frapper à toutes les portes. Ainsi, 5,5 milliards seront prélevés sur les droits perçus sur les alcools. Faute pour Martine Aubry d'avoir pu, devant le tollé des syndicats et du Medef, ponctionner les caisses de l'Unedic et de la Sécurité sociale. Autre mauvaise nouvelle pour la ministre : elle devra faire une croix sur les 7 milliards provenant d'une partie (10 %) de la taxation des heures supplémentaires réalisées entre 35 et 39 heures dans les entreprises n'ayant pas réduit leur durée du travail. La disposition a en effet été annulée par le Conseil constitutionnel. À charge pour l'État de combler le manque à gagner.

Le gouvernement n'est pas au bout de ses peines. En régime de croisière, lorsque toutes les entreprises appliqueront les 35 heures, il faudra trouver au moins 65 milliards de francs chaque année. Le montage financier mis au point est un véritable bric-à-brac qui fait aussi bien appel à l'impôt sur les sociétés qu'à l'écotaxe sur les activités polluantes. « Quel est le lien avec les 35 heures ? s'interroge un haut fonctionnaire. Les comptes publics deviennent incompréhensibles. Mais le plus grave, c'est l'aspect non pérenne de ces financements. Le gouvernement prend le pari de la réussite de la création d'un cercle vertueux : la rentrée de cotisations sociales supplémentaires grâce aux emplois créés. Or rien n'est moins sûr. »

Fonctionnaires

Le casse-tête du gouvernement

Depuis le 1er février, les entreprises de plus de 20 salariés sont sous la toise des 35 heures. À cette date, la fonction publique entamait tout juste les négociations. Depuis deux ans, en effet, l'État traîne les pieds lorsqu'il s'agit d'appliquer la mesure à ses propres troupes. Mais l'ayant promise aux salariés, il pouvait difficilement la refuser aux 5 millions de fonctionnaires. Il s'en serait pourtant bien passé. Car sa grande crainte est de voir les 35 heures déboucher sur la création de nouveaux emplois de fonctionnaires, au risque de creuser encore les déficits publics et d'alourdir un peu plus les prélèvements obligatoires.

Dans le projet d'accord-cadre qu'il a proposé le 9 février aux fédérations syndicales, le gouvernement s'est accordé jusqu'en 2002 pour une mise en œuvre effective des 35 heures dans les administrations, soit deux ans après les entreprises. Mais il a dû lâcher du lest en s'engageant à compenser les importants départs en retraite qui interviendront jusqu'en 2010, ainsi qu'à limiter le recours aux emplois précaires.

Formation

Le coïnvestissement ne fait pas recette

Les 35 heures ont ouvert une brèche dans la loi Delors de 1971 sur la formation professionnelle selon laquelle cette dernière devait s'effectuer exclusivement pendant le temps de travail du salarié. La loi Aubry II avalise en effet le principe du coïnvestissement, autrement dit de la formation partiellement réalisée en dehors des horaires de travail. Pour l'heure, les entreprises ne s'y engouffrent pas. Selon le cabinet Bernard Brunhes, qui a épluché plus de 1 350 accords pour le compte de la Délégation à l'emploi et à la formation professionnelle, 70 % d'entre eux ont totalement occulté la question de la formation. Les 30 % d'entreprises restantes vont devoir avancer à tâtons. Le fabricant de collants Well, qui vient d'inclure dans son accord le coïnvestissement pour ses administratifs et ses cadres, doit ainsi définir la nature des formations qui pourront être réalisées, avec l'accord des intéressés, sur la moitié des douze jours de repos dégagés par la RTT. Et c'est là que les difficultés commencent. Quelle sera la frontière entre les formations censées développer les compétences (les seules à être visées par le loi) et celles destinées à l'adaptation (se former à une nouvelle machine…) ? L'apprentissage de l'espagnol relève-t-il de l'adaptation ou de l'employabilité d'un salarié ? Dans le flou, certaines entreprises sont déjà hors la loi.

Autre difficulté à résoudre : le sort des salariés en formation par alternance. « La loi n'a rien prévu pour les 500 000 contrats de qualification et d'apprentissage, relève Patrice Omnès, responsable de la formation à l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie. Faut-il réduire la durée de formation en entreprise pour se conformer aux 35 heures ? rallonger les cours théoriques en CFA ? Partout, c'est la grande interrogation. »

Heures supplémentaires

En peau de chagrin

Effet inattendu des 35 heures : le mécontentement des ouvriers habitués à arrondir leurs fins de mois grâce à un petit matelas d'heures supplémentaires. Bon nombre de firmes industrielles ont en effet profité des 35 heures pour développer l'annualisation. À l'instar de l'usine Peugeot de Mulhouse. Depuis la mise en œuvre des 35 heures en novembre, « les salariés qui n'effectuent plus d'heures supplémentaires ont perdu l'équivalent de 700 francs par mois en moyenne », explique Joël Moreau, délégué central CGT de PSA. Or, dans cette usine qui tourne à plein régime, ce complément de rémunération était plébiscité : « 80 % du personnel se portait volontaire pour les faire », rappelle le délégué. « Les salariés ne peuvent pas prétendre avoir le beurre et l'argent du beurre en oubliant les 2 800 embauches réalisées pour compléter les troisième et quatrième équipes », rétorque la direction de l'établissement. Mais, pour celle-ci comme pour les syndicats, l'heure de vérité de l'annualisation sonnera lorsque les salariés commenceront à effectuer des samedis obligatoires. « C'est à ce moment-là que les salariés prendront la mesure du changement », explique-t-on à PSA. En attendant, promet Joël Moreau, ce manque à gagner financier « va faire monter d'un cran les enchères lors des négociations salariales pour l'année 2000. »

Si les 35 heures sont souvent l'occasion de mettre fin aux pratiques débridées de certaines entreprises en matière d'heures supplémentaires, se félicitent les syndicalistes, elles se soldent aussi par une perte sèche pour les salariés. Et cela ne va pas sans poser quelques soucis aux DRH des entreprises concernées : « Lorsque, pour parer à mes pics d'activité, je fais maintenant appel à la sous-traitance, des salariés râlent après leurs heures supplémentaires. Je ne sais plus sur quel pied danser pour être vertueux », constate, un brin provocateur, le DRH d'une entreprise de messagerie. Sauf à agir comme Robert Buguet, entrepreneur en bâtiment et président de la Capeb, qui a fait le pari « réussi en 1999 » de troquer les anciennes heures supplémentaires… contre un nouvel accord d'intéressement.

Inégalités de traitement

Pas tous égaux devant les 35 heures

Effet boomerang des 35 heures, les inégalités de traitement entre salariés risquent de s'accentuer. Paradoxalement, la loi des 35 heures entraîne la déconnexion du travail de son étalon traditionnel : le temps. D'où de multiples inégalités potentielles. Au sein des entreprises, tout d'abord, la RTT multiplie les catégories de salariés. À Saint-Gobain Emballage, par exemple, la CFDT a refusé dans un premier temps d'entériner les cinq sous-groupes suggérés par la direction. « Dans les PME, les cadres servent souvent de monnaie d'échange. L'employeur s'engage à lâcher du lest sur les rémunérations générales en échange d'un système de forfait en jours étendu à tous les cadres, même les sédentaires intégrés en équipe », soutient Bernard Grassi, président de l'association d'inspecteurs du travail Villermé. Mais les inégalités peuvent aussi se retrouver d'une entreprise à une autre selon la qualité des accords signés (souvent issus d'un rapport de force plus ou moins équilibré) ou la date de l'accord. Le nombre de jours de congés supplémentaires accordés aux cadres oscille ainsi du simple au double (le plus souvent entre onze et vingt-deux). Dans les entreprises qui traînent ostensiblement les pieds, la menace d'une baisse de rémunération – hormis pour les smicards, qui bénéficient d'une garantie formelle – est réelle. Certes, le grand principe jurisprudentiel « à travail égal, salaire égal » devrait s'appliquer, mais il est facile de le contourner par des pseudo-différences dans les profils de poste. En diminuant le temps de travail, le gouvernement incite en outre les entreprises à se recentrer sur leur cœur d'activité, là où la productivité est la meilleure. C'est-à-dire aussi à prendre soin de leur personnel à haute valeur ajoutée. D'où un risque croissant d'externalisation ou de mise en place d'une politique de recrutement plus sélective… au détriment des salariés les moins qualifiés, rejetés un peu plus au-delà des frontières de l'entreprise.

Intensification du travail

La chasse aux temps morts

Pour travailler moins, il faudra… travailler davantage. C'est la découverte un peu saumâtre que sont en train de faire les salariés passés aux 35 heures. Pour limiter l'impact de la réduction du temps de travail sur leurs coûts de production, les entreprises cherchent à tout prix à gagner en productivité, en chassant les tâches inutiles, les pauses et les temps morts. Bref, en intensifiant le travail productif de leurs collaborateurs. Michel Victor, consultant chez Hewitt Associates, qui a suivi plusieurs accords de RTT, témoigne de cette quête éperdue d'efficacité : « Cela passe, par exemple, par une réflexion sur les réunions, pour en réduire au strict nécessaire la fréquence, la durée et le nombre de participants. » Dans les usines « où il y a de la productivité à faire, en moyenne 3 % par an », le consultant a constaté que les directions concentrent leurs efforts sur la rationalisation, la mécanisation des tâches ou les temps de pause. Dans les entreprises de services, la réorganisation passe souvent par un élargissement des amplitudes horaires et une individualisation des horaires. Elle aussi consultante, Lise témoigne qu'elle a les mêmes objectifs annuels à réaliser dans un temps réduit. « Je densifie au maximum ma présence au boulot. Je travaille maintenant systématiquement dans le RER. Et le soir et le week-end chez moi. » L'un des inspirateurs de la loi sur les 35 heures, l'économiste Gilbert Cette, nuance toutefois le constat : « L'accord collectif constitue un garde-fou. Les gains de productivité sont négociés avec l'aval des représentants des salariés. Là où il peut y avoir problème, c'est si les partenaires sociaux ne sont pas à la hauteur. »

Intérim

Kafka au pays du travail temporaire

« La loi est faite pour des salariés permanents ! » soupire Frédéric Tiberghien, président de Vedior Bis, numéro trois du travail temporaire en France. Pour des intérimaires dont la mission ne dépasse pas quinze jours en moyenne, elle devient en revanche franchement inapplicable. Ou alors au prix de nombreuses complexités. La mise en œuvre des 35 heures dépend en effet du régime en vigueur dans chacune des entreprises utilisatrices de travailleurs temporaires. « Cela suppose que nous demandions à chacun de nos clients les termes de leur accord, jusques et y compris dans ses éventuelles déclinaisons par site ou par service », explique Frédéric Tiberghien. Autre difficulté : le décompte de la durée annuelle du travail : « Cette loi va nous obliger, reprend-il, à mettre en œuvre un compteur individuel afin de nous assurer qu'aucun de nos intérimaires n'effectue plus de 1 600 heures dans l'année »… en sachant que rien ne leur interdit de travailler pour plusieurs enseignes.

La législation sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs est tout aussi impraticable. « Un intérimaire aura du mal à admettre que, même en étant embauché en modulation haute dans une entreprise, il restera payé sur la base de 35 heures », s'inquiète le président de Vedior Bis. « C'est inacceptable ! » confirme Samuel Gaultier, responsable du syndicat CGT des intérimaires qui continue, pour sa part, à militer en faveur d'une harmonisation du système sur la base d'un relèvement de 11,43 % du taux horaire auquel sont payés les travailleurs temporaires. Un coût difficile à répercuter sur les entreprises utilisatrices.

Laissés-pour-compte

Pas de RTT pour l'employée de maison

Que dit un avocat lorsqu'il voit un autre avocat quitter le cabinet vers 19 heures ? Il lui demande s'il compte prendre son après-midi. Avec les 35 heures, le clivage entre salariés et indépendants va encore se creuser. L'Insee affiche des horaires monstrueux pour ceux-ci : plus de 65 heures hebdomadaires pour les boulangers-pâtissiers, 56 heures pour un chauffeur de taxi, 54 heures pour un patron de PME. On est loin des 39 heures des employés du privé, et encore plus loin des 35 heures. Toujours selon l'Insee, artisans, commerçants, entrepreneurs, médecins alignent en moyenne plus de 51 heures hebdomadaires. Champions de la flexibilité, 44 % des indépendants avouent ne pas avoir de cadre horaire fixe. 90 % d'entre eux travaillent occasionnellement ou systématiquement le samedi, 61 % le dimanche et 21 % la nuit.

Les indépendants ne sont pas les seuls à regarder passer le train des 35 heures. La loi exclut les cadres dirigeants, les employés de maison, les assistantes maternelles, les VRP multicartes, les mandataires sociaux, les gérants non salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail, ou encore les concierges. « Une mesure injuste », déplore Michel, gardien d'immeuble employé avec son épouse par une société immobilière parisienne. À eux deux ils perçoivent un salaire net de 6 700 francs. « Notre charge de travail réelle est estimée à un gros trois quart temps, poursuit Michel. Mais la loge doit rester ouverte à 100 %, soit 48 heures par semaine. Neuf heures par jour du lundi au vendredi et trois heures le samedi matin. L'idéal aurait été de pouvoir prendre nos samedis. Mais on n'espère plus rien. »

PME

Casse-tête garanti

À la mi-janvier, un petit millier seulement des PME de moins de 20 salariés avaient conclu un accord de réduction du temps de travail. Soit moins de 1 % des entreprises de cette taille. Elles ont bien sûr jusqu'en 2002 pour se préparer. Il n'empêche. Les 35 heures s'annoncent, pour elles, comme un véritable casse-tête, d'autant qu'elles ne pourront, à l'instar des grandes entreprises, compter sur des services juridiques performants pour décortiquer toutes les arcanes de la loi Aubry II. Elles vont surtout se heurter à des difficultés d'organisation du travail et de recrutement. Quelle marge de manœuvre pour une toute petite structure où les effectifs sont réduits et non interchangeables ? Difficile de remplacer un comptable par une standardiste ! Difficile d'embaucher un quart d'ingénieur ou de technicien ! Certaines recourront au système du groupement d'employeurs et du cadre à temps partagé, mais cette solution n'est pas applicable partout. Les 35 heures pourraient donc bien se traduire, pour nombre de petites entreprises, soit par une baisse de production si l'entreprise renonce à l'embauche supplémentaire, soit par un surcoût important si elle se décide à recruter.

Recrutements

Des goulots d'étranglement

Pas de chance pour les 35 heures. Imaginées pour endiguer l'envolée du chômage en période de marasme économique, elles se mettent en place alors que la croissance bat son plein et que l'emploi repart de plus belle. Résultat : elles risquent fort de contribuer, comme les 40 heures en 1936, à la création de goulots d'étranglement dans certains secteurs, et donc de freiner l'embellie économique. « Il n'y a jamais de moment idéal pour faire quelque chose d'aussi complexe qu'une réduction du temps de travail », soupire Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'université Aix-Marseille II et l'un des inspirateurs des lois Aubry. « En période de croissance ralentie, tout le monde se serait plaint de la difficulté à financer les 35 heures. A contrario, dans la période actuelle, les chefs d'entreprise pleurent après la main-d'œuvre.» Dans le bâtiment, les artisans se voient ainsi contraints de réduire le temps de travail de leurs ouvriers au moment même où leur activité explose avec la reprise de l'immobilier, le coup de pouce gouvernemental réduisant la TVA sur les travaux et les conséquences des deux tempêtes. À défaut de réussir à pourvoir les 65 000 emplois manquants, il leur sera impossible de répondre à la demande.

Salaires

À la diète !

Les 35 heures arrivent à un bien mauvais moment ! Comment imposer une nouvelle diète aux salariés alors qu'ils sont au régime maigre depuis plusieurs années et que la croissance est – enfin – de retour ? « 35 heures ou pas, les salariés nous font savoir qu'avec un CAC à 6 000 points l'heure n'est plus à se serrer la ceinture », constate Gabriel Gaudy, responsable de l'Union FO de Paris. Pourtant, cette année et l'an prochain, les augmentations envisagées pour les cadres sont les plus faibles depuis cinq ans : + 2,2 %, selon l'enquête Cegos de novembre 1999. Et la modération salariale concerne toutes les catégories de personnel. Il est vrai que les entreprises n'ont guère le choix. « Le gel des salaires, la diminution des heures supplémentaires, voire la révision des avantages acquis sont souvent les seuls moyens pour compenser le surcoût occasionné par les 35 heures. Cela est particulièrement vrai lorsque les syndicats partie prenante à la négociation sont prêts à faire des concessions afin de créer des emplois », souligne une étude réalisée pour l'ANDCP. Cabinet d'ingénierie en ressources humaines, Aster met en garde contre le risque de démotivation du personnel, notamment les jeunes en poste depuis deux à trois ans. L'arrivée des 35 heures favorise en tout cas la généralisation de nouvelles tendances de politique salariale : le variable prend le pas sur le fixe, l'individuel sur le collectif, le différé sur l'immédiat.

Syndicats

Pas de pitié pour les minoritaires

Sous couvert de renforcer la légitimité des accords sur les 35 heures, la loi Aubry II a introduit une petite bombe à retardement dans le paysage syndical hexagonal. Elle subordonne en effet le bénéfice du nouveau dispositif d'allégement de cotisations patronales à la signature de l'accord de réduction du temps de travail par les syndicats majoritaires dans l'entreprise ou, à défaut, à son approbation par la majorité du personnel. Un accroc de taille au vieux principe de notre droit du travail selon lequel un accord est valable quand il est signé par un syndicat minoritaire dans l'entreprise, dès lors que celui-ci est reconnu représentatif.

Sauf à recevoir l'onction du personnel, les syndicats minoritaires n'ont donc plus qu'à numéroter leurs abattis. Si cette règle de ratification majoritaire, pour l'instant circonscrite, fait tache d'huile, comme le réclame ouvertement la CGT, les petites confédérations perdront en effet tout poids dans la négociation, sauf comme force d'appoint. « Certaines organisations ont toutes les raisons de s'inquiéter, souligne le consultant Hubert Landier. Le référendum remet en cause le rôle traditionnel du syndicat dont la légitimité ne repose plus sur son seul nom. Le développement de ces consultations peut progressivement aboutir à une concentration des syndicats. Dans ce nouveau jeu, Force ouvrière, la CFTC et la CGC sont les plus menacées. »

Travail au noir

Promis à un bel avenir

Et si, loin de créer des emplois, les 35 heures allaient surtout nourrir le travail au noir ? Christian de Perthuis, le directeur du Bipe, un institut de prévisions économiques, comme Alain Sionneau, le président de la Fédération nationale du bâtiment, n'en démordent pas : la modération salariale et la diminution du « matelas » des heures supplémentaires résultant des 35 heures inciteront les salariés les moins bien rémunérés (carreleurs, plâtriers, hommes d'entretien, garçons de café, etc.) à travailler au noir. D'autant qu'ils auront le temps de le faire, au-delà des seuls samedis et dimanches. À l'instar aujourd'hui d'un certain nombre de pompiers et de policiers, deux professions à horaires notoirement allégés.

En 2002, le passage aux 35 heures des 1,3 million d'entreprises de moins de 20 salariés pourrait encore accentuer le travail dissimulé. Pour récupérer le travail perdu du fait des 35 heures, les patrons de ces petites structures risquent fort d'avoir la tentation de rémunérer des dépassements d'horaires de leur personnel à coups de primes non déclarées.

Vie de famille

Pas forcément gagnante

« On dort toujours quand papa rentre du bureau. » Les enfants de Joël, 33 ans, consultant senior dans une grosse SSII, ne comptent pas sur les 35 heures pour voir leur père dîner avec eux. « Depuis janvier, nous sommes passés au forfait annuel en jours, explique ce père débordé. Cela se traduit par dix jours de congés supplémentaires. Dans mon service, nous sommes déjà pas mal chargés. Nous n'aurons pas de bras supplémentaires. À nous de nous organiser pour continuer à pulvériser les objectifs en fin d'année. Un week-end sur deux j'emportais des dossiers à la maison. Je crains que ça ne devienne systématique. Ma femme, assistante commerciale dans une société de design, a choisi de prendre ses jours de RTT les mercredis après-midi. Pour ne plus se contenter de croiser les enfants. De mon côté, je me console en me disant que je les verrai pendant les vacances. »

La vie privée sortira-t-elle gagnante des 35 heures ? « Les entreprises ont déjà bien du mal à mettre en place les 35 heures. Elles sont peu nombreuses à se soucier de l'impact du temps libéré sur la qualité de la vie », relève Marie-Claude Cougard, associée du cabinet Aster, spécialisé en ingénierie des ressources humaines. Paradoxalement, la multiplication des horaires atypiques occasionnés par les 35 heures ne simplifie ni la vie de famille ni la vie sociale des intéressés. Et elle complique singulièrement la quête d'un système de garde. « Nous avons de plus en plus de mal à trouver des nourrices pour s'occuper d'enfants le samedi après-midi ou le dimanche matin. Et les demandes ne cessent d'affluer, constate Geneviève Guisti, directrice de l'Union départementale des associations familiales de l'Ain. L'État légifère, la flexibilité entre dans les entreprises, mais rien n'est prévu dans la société pour aider les familles. »

VRP

Exclus du décompte en jours

Tempête du côté des employeurs de VRP. À l'origine, les horaires atypiques et les multiples déplacements de ces salariés itinérants les plaçaient logiquement dans la catégorie susceptible de bénéficier du forfait annuel en jours. Pour des raisons de marchandage politique à l'Assemblée nationale, un amendement de dernière minute a exclu les non-cadres de ce mode de réduction du temps de travail. Résultat : les VRP, visiteurs médicaux et autres salariés itinérants se voient appliquer le décompte horaire. « Une usine à gaz, dénonce Ludovic Agogué, juriste-conseil à l'Institut français des experts-comptables (Ifec). Comment assurer le suivi de ces 1 730 heures annuelles fixées pour les itinérants ? En plein rendez-vous, un commercial du cabinet peut-il laisser en plan un client et reprendre la conversation plus tard sous prétexte qu'il a dépassé son quota d'heures ? Le forfait annuel en jours nous aurait simplifié la tâche. »

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  • Liaisons sociales Magazine