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Politique sociale

Le Medef en panne de boussole

Politique sociale | publié le : 01.05.2009 | Stéphane Béchaux

Positions à contre-courant, dissensions internes, manque de vision… L’organisation patronale traverse une zone de fortes turbulences. Au centre des critiques, sa présidente, Laurence Parisot, qui joue sa réélection l’an prochain.

Séquestration pour les uns, lynchage médiatique pour les autres. En plein ouragan économique et social, il ne fait pas bon diriger une entreprise hexagonale. Et encore moins incarner le patronat. « On sent une volonté politique et médiatique de trouver des boucs émissaires au travers des patrons. Dès lors, il est extrêmement difficile pour Laurence Parisot de hurler contre les loups », analyse Bernard Chambon, président de l’Union des industries chimiques. « Le Medef et les chefs d’entreprise sont acculés. On les montre tous du doigt en généralisant de façon absurde. Mais on aurait pu au moins tenter d’éviter de se mettre dans cette situation », nuance l’un de ses alter ego, critique à l’égard de la politique de Laurence Parisot. Au travers de cette crise, les faiblesses du Medef apparaissent au grand jour.

UN DISCOURS PUREMENT DÉFENSIF

Au patronat, Medef en tête, l’imagination n’est pas au pouvoir. Depuis le déclenchement de la crise, à l’automne, l’Avenue Bosquet n’a pas pondu la moindre proposition d’envergure. « Pour trouver des points d’équilibre, il faut des ouvertures. Mais Laurence Parisot dit non à tout. Elle reste dans une logique purement défensive », déplore un conseiller ministériel. Jusqu’alors adepte des grands discours sociétaux, la présidente du Medef se raccroche aujourd’hui aux deux mammelles du patronat : la baisse des charges et l’assouplissement du Code du travail. « Après avoir navigué dans des eaux éloignées de sa base, elle revient aux fondamentaux. En période de crise, c’est ce que les petits patrons attendent », analyse un dirigeant de la maison. « Laurence Parisot a les mêmes problèmes que Bernard Thibault : elle doit tenir compte de sa base », abonde Thomas Chaudron, ex-président du Centre des jeunes dirigeants. De quoi, espère-t-elle, marquer des points, à quatorze mois de la fin de son premier mandat…

Mais le timing fait grincer des dents. S’arc-bouter, lors des négos Unedic de décembre, sur la baisse des cotisations alors que le chômage explose, passe encore. Mais proposer aux syndicats, en février, une nouvelle « délibération sociale » portant notamment sur la sécurisation des licenciements, non ! « Elle est à côté de la plaque. On ne peut parler d’un tel sujet qu’en haut de cycle économique », juge un vieux loup du patronat. Depuis le sommet social du 18 février, où elle n’a pas fait la moindre ouverture, Laurence Parisot n’a plus la cote auprès de Nicolas Sarkozy. Et ses déclarations va-t-en-guerre contre les mobilisations syndicales nationales énervent jusque dans ses rangs. « Elle joue contre son camp. Il vaut mieux que la colère s’exprime dans la rue plutôt que dans les entreprises », regrette l’un des membres de son conseil exécutif. François Chérèque, son principal interlocuteur syndical, a lui aussi la dent dure. « Avec sa communication à contre-emploi, elle est à côté de ses pompes. Elle n’a pas pris la mesure de la crise », juge-t-on à la CFDT.

UNE CACOPHONIE PATRONALE
Laborieuses négos ! N’en déplaise à Laurence Parisot, le camp patronal n’a pas encore comblé le vide laissé par Denis Gautier-Sauvagnac

Parler au nom du patronat relève de la gageure. PME et multinationales, sous-traitants et donneurs d’ordres, industries et services ont des intérêts souvent contradictoires. « Le problème n’est pas nouveau mais il s’exacerbe en période de disette. Car personne ne veut payer pour les autres », analyse un dirigeant patronal. Et l’hypothétique sortie de crise ne s’annonce pas plus simple. « Le Medef devra alors se positionner sur la contribution des entreprises au rétablissement des comptes, notamment ceux de la Sécu », prévient Christian Lajoux, président du Leem (industries pharmaceutiques).

Au sein du patronat, les sujets de discorde ne manquent pas. Sur la question des rémunérations, par exemple, pas simple de concilier les positions des dirigeants du CAC 40, représentés par l’Afep, et celles des patrons de PME. Réanimé en mars 2008, après des années de coma, le comité éthique du Medef a dû composer pour pondre, à l’automne, son fameux code de bonne conduite, aujourd’hui décrié. « L’Afep avait les deux pieds sur les freins », confie Thomas Chaudron, qui participait aux travaux.

Les négos interpro, aussi, donnent lieu à des bagarres internes. Les améliorations du système d’indemnisation du chômage partiel font ainsi l’objet de vives discussions. « La solidarité a ses limites. Les artisans en ont assez de payer des dispositifs qu’ils n’utilisent pas », justifie Pierre Martin, président de l’UPA. Au sein même du Medef, il a fallu guerroyer. « On a dû faire un forcing d’enfer. On a eu plus de facilité à convaincre le gouvernement, qui devait payer, que Laurence Parisot », jure un industriel. Autre exemple, tiré des dernières négociations Unedic, l’instauration d’un système de bonus-malus sur les cotisations chômage. « Plus de 80 % des employeurs y gagneraient. Mais, faute de consensus, le Medef est incapable d’avancer sur ce sujet », déplore un haut fonctionnaire de Bercy.

Entre les trois organisations patronales représentatives, les relations sont parfois tendues. Le patron de la CGPME, Jean-François Roubaud, n’a toujours pas digéré que le Medef, allié à l’UPA, évince son bras droit, Jean-François Veysset, de la présidence de l’Unedic qu’il occupait par intérim l’an dernier. Pierre Martin, lui, n’a pas apprécié la guérilla juridique de ses deux partenaires pour faire annuler l’accord, signé fin 2001, visant à développer le dialogue social dans l’artisanat. Mais, face à l’adversité, les trois font bloc. Pas question de favoriser l’arrivée de nouveaux acteurs ! Forte de ses 19 % obtenus aux prud’homales, l’économie sociale frappe ainsi à la porte. « On représente 10 % de l’emploi. On a nos propres intérêts à défendre », plaide Alain Cordesse, président de l’Usgeres. Même combat pour les professions libérales. À l’automne, ses représentants ont fait constater, par huissier, que le Medef leur refusait de participer aux négos sur la formation. « On ne coupera pas, comme les syndicats, à une mesure de la représentation patronale », prévient l’UNAPL. Au vu des dissensions patronales dans certaines branches (plasturgie, sécurité, hôtellerie-restauration…) et certains territoires, Guadeloupe en tête, il y a urgence.

UNE EXPERTISE SOCIALE AFFAIBLIE

Laborieuses négos ! N’en déplaise à Laurence Parisot, le camp patronal n’a pas encore comblé le vide laissé par Denis Gautier-Sauvagnac. « On a beaucoup de mal à trouver des candidats. Des gens très remarquables dans leur entreprise ne font pas toujours de grands négociateurs », commente un dirigeant du Medef. Un avis partagé côté syndical. « Depuis que l’UIMM est partie, il n’y a plus de vrais négociateurs. Le Medef manque de stratégie. Il a laissé le pouvoir à son directeur des relations sociales, Dominique Tellier. Un hyperrigide », décrypte un syndicaliste réformiste.

Reprises au pied levé par Cathy Kopp, DRH d’Accor, à l’automne 2007, les très techniques négos sur la modernisation du marché du travail ont beaucoup pataugé. Celles sur la représentativité, conclues en avril 2008 par une simple « position commune », ont aussi été ardues, malgré l’appui juridique du cabinet Capstan. Quant aux récentes discussions sur l’assurance chômage, elles ont frôlé la sortie de route. Pour sauver le texte, ratifié par la seule CFDT, Laurence Parisot a dû se fendre, fin janvier, d’une lettre au patron de la CFE-CGC dans laquelle elle renonçait de facto à la baisse des cotisations chômage. Sous l’œil bienveillant de… l’UIMM. « Jean-François Pilliard [son délégué général] a joué les missi dominici », admet Bernard Van Craeynest, destinataire du courrier.

Dans la maison patronale, le numéro deux de l’UIMM pourrait devenir le nouvel homme fort du social. À son tableau de chasse, l’ex-DRH de Schneider Electric vient d’accrocher un premier trophée : un accord unanime sur la formation professionnelle incluant un dispositif innovant, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Reste que la concurrence interne n’est pas féroce. Toute à son obsession de renouveler les têtes, Laurence Parisot n’a guère promu de spécialistes. Patron de Virgin Mobile, Geoffroy Roux de Bézieux ne connaissait rien des arcanes de l’Unedic quand il en a pris la présidence, voilà un an. DRH de Publicis, Benoît Roger-Vasselin n’en impose pas à la tête de la commission des relations du travail.

UNE PROSPECTIVE DÉFAILLANTE

Contrairement à son prédécesseur, Laurence Parisot campe quasiment avenue Bosquet. « Elle veut tout savoir, tout connaître. Ernest-Antoine Seillière, lui, jouait les dilettantes de talent », note un directeur adjoint. Mais cette omniprésence a son revers. Dossiers en retard, courriers en souffrance, agenda fluctuant… Le fonctionnement de l’organisation laisse sérieusement à désirer. Autre reproche formulé à l’encontre de la présidente, sa tendance à gouverner hors des instances, avec sa garde rapprochée : Hélène Molinari, la numéro deux du Medef, Rosine Lapresle-Tavera, sa coach, Anton Molina, responsable de la presse… « La priorité absolue, c’est la com. Pas le fond des dossiers », confie un ancien du premier cercle. « Le Medef ne travaille pas collectivement. Laurence Parisot a beau avoir fait signer des clauses de confidentialité, elle n’écoute ni son bureau ni son conseil exécutif », complète l’un de ses opposants. « La présidente doit parfois réagir très vite. Elle n’a pas toujours le temps de consulter les instances », tempère le représentant d’une fédération des services.

Pourtant riche de 14 commissions – fiscalité, développement durable, économie, international, nouvelles générations… –, le Medef se montre incapable de développer une vision prospective globale. Le constat émane autant des adversaires que des soutiens de la numéro un, qui vient de lancer une réorganisation interne. « Il s’agit de libérer les énergies en décloisonnant les activités, les directions et les commissions », explique Jean-Charles Simon, l’un des deux délégués généraux adjoints. « Actuellement, beaucoup de commissions vivotent. Celle des relations du travail, en particulier, brille par la pauvreté de ses débats », confie l’un des participants. Pas étonnant, dès lors, que Besoin d’air, le livre-programme de la big boss, n’ait pas été élaboré en interne. Ni que le projet « Ambitions 2010 » se concentre sur la restructuration du réseau plutôt que sur la prospective. « Sur ce plan, on peut s’améliorer. Le conseil exécutif pourrait, par exemple, réunir des séminaires de réflexion pour bâtir un projet », argue Bernard Chambon, président de l’UIC. « La maison n’est armée en aucune façon pour faire ce job. Et ça ne date pas d’hier », tempère un vieux connaisseur de l’organisation. L’avènement du « patronat du xxie siècle », si cher à Laurence Parisot, attendra.

Parisot, bis repetita ?

Élue en juillet 2005 à la tête du Medef, Laurence Parisot remettra son titre en jeu l’an prochain. En novembre, la présidente de l’Ifop a fait taire les rumeurs, en annonçant avoir « bien l’intention » de briguer un second mandat.

« Les discours musclés de Laurence Parisot sont parfaitement réfléchis. Elle est en campagne », analyse un dirigeant patronal. Pour l’instant, aucun prétendant n’est sorti du bois. Et il est très improbable que le jeu se décante en 2009.

Globalement, Laurence Parisot garde le soutien des fédérations des services. Mais ses deux mentors, Claude Bébéar (Axa) et Michel Pébereau (BNP Paribas), ont perdu en influence. Pas sûr, de surcroît, que la présidente puisse compter sur le soutien des assurances.

Fort de son très beau parcours à la tête du réassureur Scor, Denis Kessler fait figure de candidat potentiel.

« Il ira si on vient le chercher », pronostique un ancien haut dirigeant du Medef. Du côté des industriels, Laurence Parisot a peu d’appuis. Le soutien de l’agroalimentaire ne lui est pas acquis. Jean-René Buisson, président de l’Association nationale des industries alimentaires, fait certes partie du premier cercle, mais on dit le patron de Danone, Franck Riboud, très critique à son égard.

Quant à l’UIMM, elle a beau se faire discrète, elle ne pardonnera jamais les attaques qu’elle a subies. Son président, Frédéric Saint-Geours, qui a modernisé l’organisation, pourrait se lancer dans la bataille. Ou plus probablement soutenir une tierce personne. Patrick Bernasconi, le patron de la Fédération nationale des travaux publics, pourrait ainsi jouer les candidats de compromis.

Auteur

  • Stéphane Béchaux