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Politique sociale

Les gros salaires sous contrôle aux Pays-Bas

Politique sociale | publié le : 01.06.2009 | Sabine Cessou

Primes et bonus faramineux donnent de l’urticaire aux Néerlandais. Et la crise accroît le malaise. Après la loi sur les salaires des P-DG, de nouvelles concessions sont exigées des assureurs et banquiers.

Du jamais-vu dans les polders : sans que personne ne lui ait rien demandé, la très sélective banque Van Lanschot, qui gère les comptes des plus riches Néerlandais, a réduit de 10 % le salaire de ses administrateurs en janvier et supprimé toute prime pour 2008. Mieux encore, son P-DG, Floris Deckers, s’est excusé, le 16 mars, dans les colonnes du quotidien national NRC Handelsblad, pour sa responsabilité de banquier dans la crise financière actuelle. Ces beaux gestes ont sans doute amélioré l’image de Van Lanschot, mais ils n’ont rien changé au climat de défiance qui règne à l’encontre des grands patrons aux Pays-Bas. Un climat devenu si lourd que certains, comme Ad Scheepbouwer, le P-DG de la société de télécommunications KPN, s’estiment victimes d’une nouvelle forme de « discrimination ». Il n’en reste pas moins le P-DG le mieux payé des Pays-Bas (7,8 millions d’euros en 2008), juste après Jeroen van der Veer, aux commandes de Shell (8,7 millions d’euros en 2008, dont 6,8 millions d’euros de bonus).

Ce genre de prime colossale, précisément, passe de plus en plus mal aux Pays-Bas. Dans une société où les différences entre les classes sociales ne sont pas marquées, voilà plus de vingt ans que la gauche et les syndicats débattent du salaire des patrons. La crise n’a fait qu’aggraver le malaise provoqué par les écarts de salaires, de plus en plus grands. « Notre pays n’a jamais connu de véritable aristocratie et n’a pas eu besoin de faire la révolution, rappelle Dick Pels, écrivain et sociologue. La société néerlandaise est dominée depuis le XVIIe siècle par les marchands, qui recherchent une certaine égalité dans leur statut. La logique du capitalisme à l’anglo-saxonne, qui a inextricablement lié l’argent au statut et à l’honneur, n’est finalement que très récente aux Pays-Bas. »

Taxe sur l’avidité. C’est une énième prime, accordée en mars par la banque ING à son nouveau directeur financier, qui a fait déborder le vase. L’Irlandais Patrick Flynn s’est vu offrir, en cadeau de bienvenue, 100 000 actions, d’une valeur de 400 000 euros. Or la banque ING a été renflouée en octobre à hauteur de 10 milliards d’euros par l’État, ses dirigeants s’engageant alors à renoncer à toute prime pour 2008. Au Parlement, le député travailliste Paul Tang, auteur de la loi sur les gros salaires adoptée en septembre (voir encadré ci-contre), y est allé de son geste symbolique : il a résilié son compte personnel chez ING. La moutarde est tellement montée au nez de Wouter Bos, le ministre travailliste des Finances, qu’il a interdit le 24 mars toute prime dans les groupes renfloués par l’État, à tous les niveaux de la hiérarchie, avec effet rétroactif au 1er janvier 2009. Le plan d’actions de Patrick Flynn a donc sauté, de même que les 300 millions d’euros de bonus versés en février par la banque ABN Amro à ses cadres, qui vont devoir les rembourser.

Le ministre des Finances a aussi convoqué les principaux banquiers, assureurs et responsables de fonds de retraite du pays. Un accord « amiable » a été conclu avec eux le 27 mars, assorti de deux concessions importantes. Tant que durera la crise, les salaires des dirigeants du monde de la finance n’augmenteront pas plus vite que ceux des salariés ordinaires. Ces chefs d’entreprise se sont également engagés à ne pas bénéficier d’indemnités de départ supérieures à une année de salaire. « Nous n’en sommes qu’au début d’un changement profond de mentalité », espère Agnes Jongerius, la secrétaire générale de la Confédération syndicale des Pays-Bas (FNV), la plus grande centrale du pays. Elle revendique depuis deux ans une « taxe générale sur l’avidité », sous la forme d’une hausse de l’imposition sur la tranche des revenus les plus élevés (de 52 % actuellement à 60 %).

La FNV demande aussi le plafonnement des salaires des P-DG à un maximum de 20 fois le plus petit salaire versé par leur groupe. Cette mesure reviendrait à limiter leur salaire, 3 millions d’euros actuellement en moyenne, à 500 000 euros annuels. « Ces revendications n’ont que de très faibles chances d’aboutir, estime le journaliste Xander van Uffelen, du quotidien De Volkskrant. Les banquiers, en revanche, vont devoir tenir leurs promesses, car le Parlement est prêt à légiférer. » Une large majorité s’est en effet dégagée en mars en faveur d’une taxation spéciale, à hauteur de 90 %, de toutes les primes ! « Au premier dérapage, le Parlement pourrait voter cette réforme qui ne toucherait plus seulement la finance, mais l’ensemble du secteur privé », confirme Kees Cools, professeur de finances à l’université de Groningue.

Le secteur public n’est pas non plus à l’abri. Depuis 2005, les partenaires sociaux débattent d’une « norme Balkenende », qui limiterait tous les salaires de la fonction publique aux 185 000 euros annuels touchés par le Premier ministre, Jan Peter Balkenende. Le fait que des doyens d’université, des directeurs d’hôpital ou de société de logement social gagnent jusqu’à 3 fois plus que le chef du gouvernement paraît profondément scandaleux aux Pays-Bas. La fameuse norme, cependant, semble si difficile à appliquer qu’elle n’est jamais entrée en vigueur. Pour préserver la compétitivité du pays, il faudrait commencer par exempter les directeurs des aéroports, des ports et des entreprises d’électricité. Malgré tout, le gouvernement planche sur le plafonnement des salaires des médecins spécialistes aux alentours de 200 000 euros annuels. Depuis la libéralisation des tarifs des spécialistes, certains neurologues gagnent jusqu’à 600 000 euros par an en pratiquant un taux horaire de 100 euros pour des consultations de vingt minutes. « C’est beaucoup trop », estime Ab Klink, le ministre de la Santé. Avec la crise, il est clair qu’aux Pays-Bas un seuil de tolérance a été définitivement franchi.

500 000 euros

C’est le plafond que la confédération syndicale FNV voudrait imposer aux salaires des P-DG néerlandais, qui sont actuellement de 3 millions d’euros en moyenne.

Les dispositions de la loi

La loi sur les « gros salaires » (top salaris), votée le 9 septembre 2008, impose une fiscalité spéciale aux P-DG et aux directeurs des 90 sociétés cotées à Amsterdam. Depuis le 1er janvier 2009, ils doivent se plier à quatre nouvelles règles. En plus de l’impôt sur le revenu, ils sont imposés à 30 % sur leurs primes s’ils gagnent plus de 500 000 euros annuels net et si ces primes dépassent leur salaire annuel. Leurs avoirs en actions dans leur propre société sont gelés dès l’ouverture de négociations sur un éventuel rachat de leur entreprise. Les sociétés s’exposent à une lourde pénalité : 15 % d’impôt supplémentaire sur leurs bénéfices si le salaire du P-DG est augmenté quelques mois avant son départ afin de gonfler artificiellement sa retraite. Enfin, les administrateurs de fonds d’investissement sont taxés à hauteur de 25 % sur les bénéfices tirés de leurs actions dans leur propre société.

Une cinquième contrainte a été adoptée en novembre pour empêcher des sociétés comme KPN de contourner les obstacles précédents : depuis le 1er janvier 2009, aucune société cotée ne peut plus payer de bonus liés à ses performances boursières à un dirigeant touchant plus de 500 000 euros annuels. Ces mesures ont été critiquées pour leur portée trop limitée. Des réformes plus ciblées contre les primes sont réclamées, à gauche comme à droite. « Alors que les primes pratiquées par les banques ont été l’un des facteurs de la crise actuelle, il paraît inexplicable qu’une culture du bonus règne toujours dans la finance », estime ainsi le député libéral Frans Weekers.

Auteur

  • Sabine Cessou