logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

À propos des séquestrations

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.06.2009 | Jean-Emmanuel Ray

Illégale, et passible de lourdes sanctions pénales, la séquestration n’est pas – quand elle est opérée à l’occasion d’un conflit du travail – forcément perçue comme illégitime par l’opinion publique. C’est sans doute la raison pour laquelle les juges, ou encore les pouvoirs publics censés mettre en œuvre une ordonnance d’expulsion, n’interviennent qu’avec retenue.

Retenir pour négocier » ou « séquestrer » ? « Démontage d’un McDo, acte citoyen » ou « destruction volontaire d’un bien appartenant à autrui » ? Même dans notre société de la communication, il est un peu facile de crier systématiquement à la « criminalisation de l’action syndicale » et d’en appeler au temps où la faim justifiait les moyens, où le tribunal correctionnel de Château-Thierry relaxait en 1898 une très jeune maman ayant volé du pain. Car, dans un État de droit, « la lutte syndicale ne peut s’exercer que dans le respect de la loi pénale, surtout s’agissant d’atteintes aux personnes, qui sont parmi les plus graves », a très légitimement rappelé à José Bové la chambre criminelle le 6 février 2002. Mais, dans notre État de droit, la transgression de la loi commune est en passe de devenir un droit de l’homme : situation choquant le citoyen. La même chambre avait même dû rappeler à l’ordre le 23 décembre 2006 une cour d’appel ayant estimé que « les conflits collectifs de travail constituant souvent des sources d’affrontement pouvant impliquer des immobilisations de personnes plus ou moins prolongées, ils ne sauraient, en l’absence de violences caractérisées, donner matière à des poursuites pénales ». Faudrait-il donc que la personne « immobilisée »(sic) aille au contact des séquestrateurs et prenne quelques solides coups pour enfin pouvoir prétendre être séquestrée ?

Bref, la séquestration constitue une très grave infraction pénale, ne pouvant prétendre être couverte ni par le droit syndical ni par le droit de grève : le mobile n’a pas tous les droits. « Le fait […] d’arrêter, d’enlever, de détenir, de séquestrer une personne est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans. » (C. pénal, art. 224-1.) Mais il est vrai aussi qu’assimiler un gréviste, même lourdement fautif, à un mafieux exigeant une rançon apparaît tout à fait déraisonnable, et cinq ans pour avoir séquestré un cadre pendant deux jours tout autant. Ces peines visant les enlèvements liés au grand banditisme étant totalement disproportionnées à l’occasion d’un conflit du travail, le juge répressif les applique avec modération (Cass. crim., 20 décembre 2000 : deux mois avec sursis).

CONSÉQUENCES SUR LE PLAN DISCIPLINAIRE

Comme tout délit portant atteinte aux personnes, la séquestration constitue une faute lourde de grève (Cass. soc., 24 avril 2003) : la seule qui permette de licencier un gréviste, qu’il soit simple salarié ou représentant du personnel.

Mais c’est à l’employeur de prouver que c’est bien M. Y. qui était là, et que c’est lui qui a empêché M. Z. de sortir. Or l’identification des séquestrateurs n’est pas toujours chose facile : personnes étrangères à l’entreprise, porte fermée de l’extérieur. Il faudra ensuite prouver la commission d’une véritable séquestration : entre une rangée serrée de grévistes devant la porte du comité d’entreprise et d’autres qui attendent le résultat des négociations… « La présence de M. Y. et de M. Z. sur les lieux de l’action, même s’ils ne l’ont pas désavouée, n’est pas suffisante faute de preuve d’un rôle actif joué dans la volonté d’empêcher les victimes de circuler librement ou de les isoler du monde extérieur. » (Cass. crim., 6 septembre 1989). S’agissant des représentants du personnel, le Conseil d’État se voulait exemplaire. Toute séquestration constitue une faute d’une gravité suffisante permettant à l’inspecteur du travail d’autoriser le licenciement du lourdement fautif. Et l’inspecteur ne pouvait, en principe, refuser pour un motif d’intérêt général (ex. : retour de la paix sociale), un tel refus portant une atteinte manifestement excessive à l’intérêt de l’employeur ou de l’encadrement.

Mais, avec l’arrêt du 11 février 2005, le Conseil a semblé évoluer. Début classique : « M. M., délégué syndical, délégué du personnel, membre du comité d’établissement et du comité central d’entreprise, a pris une part personnelle et prépondérante aux agissements d’un groupe de salariés qui ont abouti à retenir le directeur de l’établissement dans son bureau, et n’a eu aucun rôle modérateur dans le déroulement des événements ; la faute ainsi commise, qui a excédé l’exercice normal des mandats dont était investi M. M., était suffisamment grave pour justifier son licenciement ». Mais justifie finalement le refus d’autorisation : « M. M. étant l’unique délégué syndical de l’établissement, il existait un intérêt général à son maintien dans l’entreprise compte tenu de la situation sociale constatée et de ses multiples mandats ; cette décision ne portant pas une atteinte excessive aux intérêts de la société Sameto Technifil. »

Or, jusqu’à présent, et à l’instar de son contentieux de la Fonction publique, le Conseil, soucieux d’exemplarité, censurait systématiquement les refus d’inspecteurs du travail – souvent localement sous influence – invoquant in extremis l’intérêt général pour sauver un représentant du personnel : s’agissant de très graves délits visant des personnes, un tel refus portait forcément une atteinte excessive aux intérêts de l’entreprise ou de l’encadrement. Mais, en l’espèce, la séquestration ne semblait pas avérée.

DIFFICILE SORTIE DE CRISE

La radicalisation que représente la séquestration de managers locaux (bien rarement les véritables décideurs) peut être source de très graves dérapages car sa violence provoque souvent la rupture du dialogue interne. Il convient donc de trouver des solutions externes pour renouer ses fils ; ils passent naturellement en France par l’intervention de l’État : mission bons offices du directeur départemental du travail et de l’emploi ; convocation commune à la préfecture dont le titulaire, fort inquiet d’éventuels débordements sur la voie publique, charge les RG d’un suivi quotidien (sur l’ensemble de ces questions : cf. la journée de formation sur les conflits collectifs du travail organisée par Liaisons sociales le mercredi 1er juillet 2009).

Pour chacune des parties, la question est alors de ne pas perdre la face. Or, au pays des Gaules, « quand on est fort on décide, quand on est faible on négocie ». D’où des pratiques inattendues : convocation mensuelle du comité d’entreprise, où, dans un cadre géographique et temporel très ritualisé, une habile pause-café permettra aux protagonistes responsables de se retrouver discrètement dans le couloir pour trouver une solution de sortie (« tu laisses partir Hubert à midi, je te fais ces nouvelles propositions à 12 h 30 »).

Ou encore, côté patronal, la « vraie provocation » que constitue une assignation en expulsion des occupants devant le TGI, en sachant que le préfet n’enverra pas les forces de l’ordre exécuter l’ordonnance. Mais, à la barre, dans des conditions radicalement différentes de température et de pression sociales, chacun pourra s’expliquer sans perdre la face, devant un tiers ayant un réel pouvoir : le juge ayant reçu le message nommera un médiateur qui convoquera les parties.

LES PIÈGES DU PV DE FIN DE CONFLIT

S’il veut avoir la force d’un véritable accord collectif de travail, le procès-verbal de fin de conflit doit être signé par des délégués syndicaux, et s’applique indistinctement aux grévistes et aux non-grévistes (Cass. soc., 8 avril 2009, société Mory Team). Et, depuis le 1er janvier 2009, il est soumis aux nouvelles règles concernant les syndicats signataires (devant avoir obtenu au moins 30 % des suffrages exprimés) et opposants (ayant recueilli plus de 50 %).

S’il prétend constituer un avenant à un accord d’entreprise, il doit en respecter les règles : « Sont seuls habilités à signer un accord de révision les syndicats signataires de l’accord initial ; en l’absence d’une telle signature l’avenant de révision est nul. » (Cass. soc., 8 avril 2009.)

Attention enfin au PV de fin de conflit stipulant le retrait des sanctions ou des plaintes pénales. Retrait de toutes les sanctions : l’employeur paraphant cette clause ne pense souvent qu’aux sanctions disciplinaires classiques, pas toujours aux licenciements prononcés pour faute lourde de grève : en l’espèce, il devra alors réintégrer les éventuels séquestrateurs… Retrait des plaintes : si, au civil, les parties sont maîtres de l’instance, s’agissant de droit pénal seules les plaintes de l’entreprise (donc pas pour séquestration) seront retirées et pas forcément celle du cadre séquestré, victime directe de l’infraction pouvant seule porter plainte : or le manager humilié veut parfois « aller jusqu’au bout ». Et, malgré ces retraits, le procureur de la République peut, au nom de l’ordre public, décider de poursuivre quand même : sentiment de trahison de la part des signataires syndicaux. En pratique, cependant, le ministère public a la délicatesse d’arrêter toute poursuite quand le conflit est terminé. Ainsi dans l’affaire Kléber Toul où, en février 2008, deux cadres avaient été séquestrés quatre jours et trois nuits : le parquet de Nancy avait fait procéder à 42 auditions par la gendarmerie… et classé l’affaire cinq mois après.

HUMAN WARNING

Reste que si l’on regarde CNN et autres BBC, il semble qu’au pays des Gaules les relations sociales soient en permanence aussi conflictuelles et dérapent toujours aussi vite : bien que 10 séquestrations maximum aient eu lieu, l’image de la France n’en sort pas grandie. Les séquestrateurs mettent par ailleurs en danger des emplois. Leur propre emploi futur, d’abord, car leur chance d’en retrouver un demain dans la même branche est bien faible. Les emplois de leurs camarades ensuite, car l’éventuel repreneur découvrant des images de séquestration et de violences sera dissuadé de le faire…

Mais, au-delà des quelques militants d’extrême gauche profitant de cette aubaine pour rejouer à leur seul profit la messe rouge du Grand Soir, de tels dérapages dépassant les lois sociales font aussi réfléchir. Il n’existe pas que des profit warnings, mais aussi des human warnings.

FLASH
Légalité et légitimité

En matière de conflit collectif, la légalité est une chose, la légitimité en est une autre. Au-delà des blogs offensifs de grévistes, comment expliquer autrement l’immense prudence du procureur, les réticences du juge des référés, l’inertie du préfet, voire la passivité de cadres pouvant directement citer en correctionnel les fautifs ? Car alors qu’ils connaissent parfaitement l’identité de leurs séquestrateurs, quand des plaintes sont déposées, elles le sont souvent contre X., et l’enquête préliminaire dure, dure : de l’utilisation tactique de l’appel au juge pour modifier le rapport de force.

Dans notre société de la réputation, le poids de l’opinion publique est essentiel : une séquestration (raisonnable) attire dans l’heure médias et personnalités très diverses voulant profiter de ces coups de projecteurs, obligeant alors l’État à intervenir sous ses multiples et parfois contradictoires casquettes. Plus nouveau : en revendiquant la séquestration, il est possible d’inverser le débat et de se poser en victime poussée à bout. Dans un monde économiquement insensé où quelques responsables – goinfres – jouent Take the Money and Run, la réaction est hélas prévisible.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray