logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Pas facile de bâtir un nouveau projet

Enquête | publié le : 01.10.2009 | Laure Dumont

Les nombreuses structures qui accompagnent les salariés victimes d’un licenciement économique doivent réviser leur conception de l’employabilité et leurs méthodes. Publics ou privés, les dispositifs les plus efficaces sont ceux qui apportent un soutien ciblé et individualisé.

C’est un homme, il a plus de 45 ans et il vient du monde industriel. Voilà le portrait-robot du chômeur en 2009. Bien sûr, la crise économique a apporté quelques nuances à ce profil type : ceux que l’on appelait les cols blancs, les cadres, sont aujourd’hui touchés par la crise de l’emploi dans des proportions inédites. Dans les fichiers de Pôle emploi, on voit ainsi apparaître et s’installer durablement des catégories très rares jusqu’alors, comme des informaticiens et des cadres de la banque et de la finance. « La dernière fois que j’ai cherché du boulot, se souvient Denis, 47 ans, ingénieur télécoms licencié à la suite d’un plan social fin 2008, c’était après ma thèse, en 1989. À l’époque, quelques lettres et coups de téléphone suffisaient pour trouver un emploi rapidement. Aujourd’hui, on me dit que je suis trop vieux et trop cher. » Après six mois de recherche accompagnée par un cabinet d’outplacement, Denis a déjà réduit ses prétentions salariales de 10 % et, pourtant, il n’a aucune piste sérieuse. Est-il devenu inemployable ? Va-t-il devoir changer de métier pour pouvoir rebondir ? Et si ce docteur en électronique est réellement devenu « incasable », quel sort va alors être celui des milliers d’ouvriers laissés sur le carreau par Continental, Molex ou Amora ?

« Les personnes les plus employables ne sont pas toujours celles que l’on croit. Il m’est arrivé de recaser des gens de plus de 60 ans sans aucun diplôme, raconte une consultante d’un cabinet de reclassement. Ce qui compte avant tout, c’est que la personne soit motivée, qu’elle ait conscience de la réalité du marché et veuille vite retrouver du travail : plus on s’éloigne de l’emploi, plus c’est difficile. » En clair, l’âge, le sexe, le niveau de qualification seraient des critères secondaires pour déterminer l’employabilité d’un individu. En revanche, sa motivation, le temps passé au chômage, le bassin d’emploi dans lequel il se situe, sa mobilité géographique et sa souplesse d’esprit sont bien plus déterminants. Sans oublier « la chance », comme tient à le souligner Jean-Paul, 54 ans, ancien de Metaleurop Nord, qui garde l’espoir chevillé aux tripes malgré ses recherches infructueuses depuis la fermeture de la fonderie en 2003.

Les cadres, difficiles à reclasser. La plupart des spécialistes de l’accompagnement s’accordent aujourd’hui sur cette approche de l’employabilité. « D’abord, il faut que les postes existent, rappelle Christian Degeilh, directeur général adjoint du pôle emploi et réorganisations chez Altedia, qui accompagne 25 000 personnes par an. De ce point de vue, la période actuelle est difficile. Ensuite, il faut que les gens aient envie de s’adapter, de changer. Paradoxalement, les cadres sont souvent plus difficiles à reclasser car, en devenant managers, ils ont perdu leur expertise. » Les profils les plus durs étant, selon un consultant, les cadres supérieurs des grandes entreprises : « Ils sont très exigeants, ne s’impliquent pas dans la recherche, ont des prétentions salariales très supérieures aux prix du marché et sont persuadés que nous allons leur apporter le job de leurs rêves sur un plateau. S’ils ne changent pas très vite d’attitude, ils peuvent devenir effectivement incasables. »

Toutefois, les grandes entreprises ne sont pas la majorité des employeurs. « J’ai le sentiment que cette notion d’employabilité est très ancrée dans notre culture d’ingénieurs, analyse le consultant Serge Ter Ovanessian. Elle est liée à l’univers complètement déterminé de la grande entreprise taylorienne où le travailleur s’adapte au travail et pas l’inverse. J’observe que les PME appréhendent cette notion avec beaucoup plus de souplesse et de pragmatisme, comme la plupart de nos voisins européens, d’ailleurs. En Allemagne, les profils recherchés sont bien moins précis qu’en France. »

Trop rigides, les Français, avec cette manie de mettre systématiquement les gens dans des cases ? Serge Ter Ovanessian se fait un brin provocateur : « C’est seulement à la fin de sa vie professionnelle que l’on peut affirmer qu’une personne était incasable ! L’employabilité n’est pas un concept opératoire car elle dépend de trop de déterminants. C’est une alchimie très complexe qui tient à l’individu, à la nature de l’accompagnement, à son environnement… Il n’y a pas de recette. » Et c’est bien le problème pour tous les cabinets spécialisés dans le reclassement, dont les méthodes sont remises en question. « Ce qu’attendent nos candidats, explique Bérengère Peytavin, de Right Management, ce sont des propositions de postes issus de ce que nous appelons le “marché caché”, c’est-à-dire toutes les offres qui ne sont pas publiées. Or ce marché, qui représentait auparavant jusqu’à 80 % des postes, est aujourd’hui quasiment à égalité avec les annonces du marché ouvert, notamment à cause d’Internet. »

Une étape administrative incontournable. Les cabinets doivent donc désormais trouver d’autres moyens que celui de l’exclusivité des postes proposés pour convaincre de la valeur ajoutée qu’ils prétendent apporter. Critiqués pour leur manque d’efficacité, dans un contexte économique qui se durcit, les spécialistes de l’accompagnement voient aussi les salariés augmenter sensiblement leur niveau d’exigence. Charles, 33 ans, diplômé d’une grande école de commerce, a choisi de bénéficier du plan de départs volontaires de Natixis, qui s’est terminé en septembre, pour créer son cabinet de conseil. Mais l’accompagnement des consultants de Sodie lui a semblé davantage une contrainte qu’une aide. « J’ai vécu cela comme une étape administrative incontournable car la commission de suivi ne validait que les projets qui avaient été présentés aux consultants. J’avais volontairement conçu un projet simple pour passer le moins de temps possible avec eux. Ils en connaissaient moins que moi et se sont révélés incapables de soutenir mon projet. » Même déception chez Jean-Pierre, 51 ans, sorti de Hewlett-Packard lors du plan social de 2006 : « J’ai suivi une formation de responsable d’entreprise de l’économie sociale et solidaire, raconte cet ancien délégué syndical CFDT, mais la cellule emploi ne m’a proposé que des postes de directeur de maison de retraite, très loin de mon projet professionnel. »

Depuis la dernière crise, en 1993, les techniques d’outplacement se sont considérablement démocratisées. Les cabinets de reclassement ont vu leurs objectifs monter en gamme et, du même coup, ils ont dû aligner leurs prestations. Ils ne peuvent plus désormais se contenter de justifier de moyens mis en œuvre, car il s’agit bien d’obtenir des résultats concrets et pérennes. Désormais, les entreprises qui font appel aux services de ces consultants exigent de plus en plus souvent que leurs missions se terminent quand tous les salariés licenciés auront effectivement retrouvé un poste. Quant à la définition de l’offre valable d’emploi (OVE), elle a beaucoup évolué aussi. « Une OVE est une proposition ferme de poste situé à une heure trente aller-retour en moyenne du domicile du candidat, insiste-t-on chez Right Management, en CDI payé au moins 80 % du salaire précédent, le projet ayant été bien entendu validé au préalable par le candidat. » La barre est haute, en effet, alors que certains cabinets et entreprises continuent de se contenter d’une définition a minima, et que certains salariés se retrouvent reconvertis d’office, dans un secteur totalement nouveau pour eux, avec une courte formation et bien peu de perspectives d’évolution.

Service minimum. « Avec le transfert de nos activités à Caen et à Charenton, raconte Nathalie, salariée depuis vingt-cinq ans d’une filiale de Natixis à Reims, la seule alternative qui nous est proposée est de suivre le mouvement, c’est-à-dire trois heures de trajet quotidien, ou de repartir de zéro en changeant carrément de métier. » Les 300 cadres de cette filiale, majoritairement autodidactes et âgés de plus de 50 ans, vont devoir passer de fonctions bancaires spécifiques comme la gestion des titres au conseil téléphonique pour des crédits à la consommation. Service minimum, donc, pour l’accompagnement de cette reconversion quasi imposée.

La barre est en effet d’autant plus haute qu’une nouvelle génération de dispositifs – publics, privés ou mêlant les deux – a vu le jour avec des résultats jugés satisfaisants par les pouvoirs publics. Parallèlement à la convention de reclassement personnalisé, destinée aux licenciés des PME, le contrat de transition professionnelle (CTP), qui propose à des licenciés économiques une reconversion avec suivi individualisé pendant un an à 80 % du salaire brut, a été étendu à 40 régions supplémentaires après le test des sept bassins d’emploi pionniers.

Autre cas d’école : à la suite de la visite de Nicolas Sarkozy, début 2008, sur le site désaffecté depuis 2003 de Metaleurop, tous les acteurs de l’emploi de la région Nord-Pas-de-Calais ont dû se mettre en quatre pour retrouver les derniers salariés non recasés de Metaleurop et leur proposer la solution que l’antenne emploi – privée – n’avait pu leur soumettre à l’époque. Ce challenge a mené à la création du Club 51. Grâce à l’association Chœurs de fondeurs, créée à la fermeture de l’usine par les 830 métallos licenciés, plus de 60 anciens sans solution ont été remobilisés, pris en charge par l’Afpa dans le cadre d’une reconversion très personnalisée. « Il a fallu une énergie, une volonté et un engagement très forts de la part de tous les intervenants pour remettre ces gens en marche, raconte Pascal Bearez, de l’Afpa, car il s’agit de personnes connaissant pour quelques-unes des problèmes sociaux, des handicaps, des addictions… À cet égard, le rôle de l’association Chœurs de fondeurs a été décisif. Sans eux, nous ne serions pas parvenus au même résultat, car ils nous ont permis d’identifier les gens, et ils sont allés les chercher alors que certains n’avaient pas forcément envie d’être aidés. »

Résultat : sur les 60 derniers métallos non reclassés, 37 ont trouvé « une solution stabilisée », selon l’Afpa. Et les 23 demandeurs d’emploi restants ont repris le moral. Comme Jean-Luc, 45 ans, ancien contremaître : « On m’a aidé à dire ce que je voulais faire, à rédiger un CV et une lettre de motivation. J’ai suivi une formation d’installateur thermique, mais surtout, ce qui m’a intéressé, c’est de rencontrer des gens comme moi. » Solidaires dans la galère.

De plus en plus souvent, la mission des consultants ne s’achève que lorsque tous les salariés licenciés ont retrouvé un poste
Avec la crise, les salariés sont-ils incités à développer de nouvelles compétences ?

Chefs d’entreprise 60 %

Salariés 52 %

Réponses positives

Avez-vous confiance en vos salariés en situation de crise ?

Chefs d’entreprise 88 %

Pensez-vous que votre dirigeant saura gérer la crise ?

Salariés 69 %

Réponses positives

Êtes-vous optimistes concernant le budget alloué à la formation dans les six mois à venir ?

Chefs d’entreprise 44 %

Salariés 40 %

Réponses positives

Pensez-vous que la formation est une forme de reconnaissance à l’heure du gel des salaires ?

Chefs d’entreprise 13 %

Salariés 17 %

Réponses positives

Les promos à succès des ex-Michelin

Reprendre confiance en maintenant une vie collective, faire le deuil du passé et se construire un nouvel avenir professionnel : aux Ateliers de transition professionnelle (ATP), à Toul, il s’agit bien de cela aussi. Ce lieu, inédit et innovant, a été mis en place par Michelin pour accompagner les 826 salariés de son usine Kléber dont la fermeture définitive était programmée pour 2008. Depuis leur ouverture, en mai 2008, cinq vagues successives de salariés sont passées aux ATP. « On ne voulait plus d’une logique de reclassement traditionnel, explique Marc Roosens, directeur des ATP, mais plutôt une mise en mouvement des salariés en les rendant acteurs de leur transition. Chaque personne commence avec six mois de dispense d’activité, payés comme avant, primes comprises. Elle vient tous les jours ici avec un programme précis défini par son conseiller référent et une visibilité sur deux semaines. On mixe en permanence l’individuel et le collectif. »

Que fait-on donc dans ces locaux fonctionnels et lumineux qui s’étendent sur 5 500 mètres carrés et deux étages, à quelques mètres de l’usine désaffectée ? Ces anciens spécialistes de la fabrication du pneu peuvent y apprendre 30 métiers différents, de la soudure – obligatoire, car c’est un métier en tension dans la région – à la peinture en passant par la plomberie, la maçonnerie ou l’électricité industrielle. Ils peuvent également suivre des cours de maths, de français, d’économie, mais aussi de sophrologie, de relooking et de tai-chi. Dans l’espace détente, certains viennent disputer une partie de baby-foot tandis que d’autres partagent un café dans la cafétéria. « Tout a été pensé pour que les gens viennent ici huit heures par jour », commente Thoai Phong Nguyen, d’AOS Studley, qui a participé à la conception du programme ATP et des lieux très en amont avec la direction du personnel de Michelin.

« Il s’agissait de créer un collectif de substitution à celui vécu chez Kléber, de nouvelles valeurs qui puissent perdurer par la suite. » Comme sur un campus, les salariés sont regroupés en promos. Elles ont déjà leur histoire, parfois leur totem. « Le travail conjoint entre des consultants de deux cabinets privés – Algoé et BPI – et des conseillers de Pôle emploi, du Greta, de l’Afpa reste l’aspect le plus innovant des ATP, souligne Nicolas Mazet, chef de projet issu d’Algoé. Le partenariat est ici réel et effectif et il s’avère particulièrement efficace. » Durant l’année écoulée, Daniel, 41 ans, a tourné la page deses quinze ans passés chez Kléber comme technicien de ligne. Il a fait une validation des acquis de l’expérience, s’est spécialisé dans l’usinage des métaux en complétant par une formation de CAO-DAO.

« On se dit qu’un an c’est long, qu’on a le temps, mais en fait, ça passe très vite. J’ai essayé d’en profiter au maximum. » Le 15 septembre, Daniel devait commencer en CDD chez un réparateur de moteurs électriques, avec un CDI à la clé. Il fait partie des 563 personnes sur 826 qui étaient « recasées » à la fin de l’été. En février 2010, les dernières promos devraient quitter les ATP. Michelin se retirera alors. Reste à savoir ce que deviendra cet espace atypique où les anciens passent toujours boire le café avec les ex-collègues entre midi et deux. « Nous allons entrer en discussion avec les institutions locales pour que les ATP perdurent, explique Thoai Phong Nguyen. Nous avons l’intuition que, dans dix ans, Pôle emploi fera cela. » Ce serait une bonne nouvelle…

Pensez-vous que la formation prépare à la sortie de crise en développant les compétences des salariés ?

Chefs d’entreprise 45 %

Salariés 39 %

Réponses positives

Auteur

  • Laure Dumont