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Politique sociale

Ces PME où les seniors sont un trésor

Politique sociale | publié le : 01.01.2010 | Laure Dumont

Quelques PME n’ont pas attendu que la loi impose des sanctions pour avoir une GRH favorable aux seniors. Elles y voient un atout stratégique, voire une condition de pérennité.

Usés, démotivés, intellectuellement rouillés, incompétents, rétifs au changement, incapables de s’adapter au rythme des nouvelles technologies… En France, plus qu’ailleurs, les stéréotypes sur les seniors vont bon train. Mais si le calendrier législatif impose une prise de conscience au pas de course à la majorité des entreprises françaises, certaines n’ont pas attendu l’injonction de l’État pour démonter les idées reçues et infléchir leurs pratiques. Dans un rapport remis au gouvernement en juin, le cabinet Vigeo listait ainsi les pratiques des bons élèves du CAC 40, EADS, Areva, Cofidis, L’Oréal ou Axa.

Et les PME ne sont pas en reste. Si la plupart d’entre elles (les moins de 300 salariés) attendent la signature des accords de branche pour mettre en œuvre des dispositifs favorables au recrutement et au maintien dans l’emploi des seniors, certaines montrent la voie depuis longtemps. Quitte à avoir payé le prix fort de cet avant-gardisme quand l’époque était au jeunisme, comme le raconte Philippe de Gibon, cofondateur et dirigeant de Convers Télémarketing.BaséeàNice,cettesociétécrééeen 1998 par quatre associés compte 145 salariés. « Traditionnellement, les centres d’appels emploient des étudiants, rappelle Philippe de Gibon, avec un turnover très élevé. Dès le départ, nous avons fait un autre choix en recrutant volontairement des gens plus matures, pour limiter le turnover mais aussi pour monter en compétences. »

Un contrat de travail inédit. Au début, la société Convers privilégie donc les 30-45 ans à l’embauche, souvent des mères en situation de retour à l’emploi. Mais, dès 1999, ses dirigeants font un constat : les salariés les plus âgés de l’entreprise lui apportent leur expérience antérieure, ils connaissent tous les rouages, ils ont une expérience de la vie, une éducation qui les rend fiables et une bonne diction ainsi qu’un langage châtié… C’est le déclic : Convers va à contre-courant des tendances du marché de l’emploi et décide de recruter des seniors. Pour les fidéliser, la direction propose un contrat de travail inédit et avantageux : les salariés définissent leurs horaires de travail d’une semaine à l’autre, ils peuvent changer leur nombre d’heures hebdomadaires deux fois dans l’année et leur rémunération est supérieure de 9 % à celle prévue par la convention collective. Résultat : ils restent chez Convers pendant quatre ans en moyenne. « J’apprécie particulièrement la grande souplesse de mon travail, explique Philippe, 45 ans, ancien commercial arrivé chez Convers il y a un an. L’été, j’adapte mon emploi du temps pour profiter du beau temps. Et je ne m’ennuie jamais. Je suis des dossiers dans la durée, qui sont très variés et intéressants. » Même satisfaction pour Martine, 52 ans, ancienne militaire de carrière qui est passée par un cabinet ministériel à Paris : « Je travaille de 9 heures à 17 h 30 pour 1 300 euros net par mois, ce qui me convient car j’ai un enfant à charge. J’apprécie aussi que le travail ne soit pas trop répétitif. »

Une arme antidélocalisation. Choisie initialement pour des questions de gestion des ressources humaines, la politique seniors de Convers est aussi devenue un outil stratégique et un atout par rapport à ses concurrents : la PME niçoise s’est spécialisée dans le télémarketing haut de gamme, B to C ou B to B, pour des clients comme Orange ou Bayer. « Nous n’avons jamais souffert de la délocalisation off shore que subit notre secteur depuis quelques années », précise Philippe de Gibon.

En découvrant la loi sur l’emploi des seniors, l’assureur SPB, 676 salariés, s’est rendu compte qu’il n’avait pas à rougir non plus de sa gestion des âges. La moitié de ses salariés ont vingt à trente ans d’ancienneté. « Ici, nous partons du principe que la valeur des individus ne dépend ni de leur diplôme ni de leur âge, insiste Laurence Deschamps, DRH depuis trois ans. Je trouve surtout que les valeurs des seniors sont plus conformes au monde du travail. Ils sont à l’heure, préviennent quand ils sont malades et, quand on leur signale un point à améliorer, ils ne prennent pas cela comme un reproche personnel. De par leur attitude, ils mettent en œuvre une forme d’éducation silencieuse bénéfique pour les plus jeunes et pour la société. » Une forme de tutorat informel et spontané.

Très à la mode, le tutorat ne doit pas être une solution fourre-tout pour « occuper » les seniors. « Ce n’est pas un gadget quand il y a un véritable enjeu, souligne Fabienne Caser, de l’Anact. Le tutorat doit être pensé en amont et mis en œuvre à certaines conditions, il ne s’organise pas trois mois avant un départ à la retraite. » Pour être réellement efficace et bénéfique, le dispositif doit répondre à une série de critères : les compétences à transmettre doivent être identifiées, le tuteur doit être épaulé dans sa mission d’accompagnant et il faut s’interroger sur comment transmettre ces compétences et dans quelles situations de travail… Enfin, la question de la reconnaissance du tuteur et du savoir-faire transmis est incontournable, qu’elle prenne la forme d’une prime ou d’une certification.

Les soieries Jean Roze ont formé au tutorat cinq salariés chevronnés pour sauver leur savoir-faire

L’entreprise mise en danger. Pour Antoinette Roze, gérante des soieries Jean Roze, basées à Tours, l’enjeu – et l’urgence – de la transmission du savoir-faire ancestral des tisseurs a émergé brutalement il y a trois ans. Cette petite entreprise familiale créée en 1650 qui fabrique des étoffes haut de gamme pour la décoration et l’ameublement emploie 17 personnes. « Jusque-là, la transmission du savoir-faire se faisait de façon naturelle, mais nous avons réalisé que trois personnes clés allaient partir à la retraite dans les deux à trois ans. Il y avait mise en danger de l’entreprise », explique Antoinette Roze. Sachant qu’il faut trois ans au minimum pour former un bon artisan, il y avait urgence, en effet, à moins de voir péricliter cet atelier d’art, dont les tissus sont très prisés dans le monde anglo-saxon. Avec l’aide de l’Anact et d’une société de formation, l’entreprise a fait suivre à cinq de ses salariés les plus chevronnés une formation au tutorat : « Il a fallu leur faire prendre conscience que former quelqu’un, c’est essayer de se mettre à sa place », note Antoinette Roze.

Directrice générale d’Orem-Astre, société rhônalpine de prestations de services industriels, Bénédicte Pilat s’est aussi intéressée à ses seniors car l’avenir de la PME en dépendait. Ce groupe indépendant créé en 1985 par son père, basé à Lyon, Annecy et Grenoble, emploie 250 salariés. « Il y a quatre ans, nous avons réalisé que deux cadres qui détenaient des compétences uniques prenaient leur retraite dans les quatre années suivantes, se souvient Bénédicte Pilat. Nous avons donc voulu employer ce temps pour qu’ils transmettent ce qu’ils savent et pour valoriser leur parcours de plus de dix ans chez nous. » À l’occasion d’entretiens avec leur direction, ces deux cadres expérimentés, conducteurs de travaux sur de gros chantiers, manifestent leur désir de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur afin de faire le point et de bénéficier d’aménagements de leurs postes de travail pour leurs dernières années de vie professionnelle. « Nous avons senti qu’ils avaient une vraie appréhension de la retraite, qu’ils avaient besoin d’être accompagnés dans le deuil de leur vie professionnelle », précise la dirigeante de l’entreprise.

Les équipes d’Orem-Astre développent alors des outils pour dessiner la cartographie des compétences de ces deux salariés. Les deux tuteurs ont suivi une formation de six jours et lancent actuellement leur plan de transmission après avoir mis au point leurs outils pédagogiques. Ce programme a fait souffler un vent nouveau dans la PME : « Beaucoup de gens de l’entreprise s’y sont impliqués et, du coup, cela nous a donné plein d’idées pour d’autres projets RH », s’enthousiasme Bénédicte Pilat. Quant aux deux seniors, ils sont regonflés à bloc. Celui qui devait partir le 1er juillet 2010 a décidé de rester dans l’entreprise, à temps partiel.

Une loi contre trente ans de mauvaises habitudes

Alors que la loi favorisant l’emploi des seniors entre en vigueur le 1er janvier, les négociations battent leur plein, dans les branches professionnelles et les grandes entreprises. Objectif : que la France, qui n’emploie que 38 % de ses seniors, rattrape son retard. Dans l’Union européenne, le taux d’emploi des seniors est de 44,7 % et, en Finlande, de 53 %. En imposant une sanction financière aux entreprises de plus de 50 salariés qui ne respecteraient pas les nouvelles exigences, le gouvernement a décidé d’employer les grands moyens. Un combat que le secrétaire d’État à l’Emploi a pris à cœur. « On arrête de rigoler avec l’emploi des seniors, lançait Laurent Wauquiez le 3 novembre lors d’une conférence de presse. Finies, les déclarations de bonnes intentions. Notre pays s’est drogué aux préretraites, nous avons massacré les seniors pendant plusieurs décennies. C’est terminé ! » Un coup de gueule que reprend à son compte Martine Le Boulaire, consultante à Entreprise & Personnel et coauteur d’un rapport publié en novembre (« Gestion des seniors : de l’âge à l’expérience »). « Ce travail, issu de huit années de constats dans les entreprises, est volontairement provocateur, prévient-elle ; il pointe un problème majeur de notre pays : les seniors sont perçus comme un problème, comme un stock à gérer. Depuis trente ans, nous sommes biberonnés aux préretraites, dans un pacte tacite entre tous les acteurs pour traiter le chômage. La loi est bienvenue car elle oblige à remettre en cause le stéréotype selon lequel à 50 ans on doit quitter l’entreprise pour laisser la place à un jeune. » Selon elle, plus de dix ans seront nécessaires pour inverser la tendance. « Il faut travailler sur les représentations, notamment celles qu’ont les dirigeants… qui sont majoritairement des seniors ! »

Auteur

  • Laure Dumont