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Métropoles

La cité rhénane se réveille

Métropoles | publié le : 01.11.2010 | Sandrine Foulon

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La cité rhénane se réveille

Crédit photo Sandrine Foulon

Terre de consensus, longtemps préservée, la métropole a pris la crise de plein fouet. Les acteurs locaux cherchent à faire fructifier ses atouts.

Strasbourg est-elle en passe de virer sa cuti ? Des cortèges toujours plus nombreux sont descendus dans les rues contre la réforme des retraites. Au sud de la ville, à Erstein, les salariés d’Alsapan, fournisseur d’Ikea, ont débrayé en début d’année pour leurs salaires. Au nord, ce sont les 230 salariés de la fonderie De Dietrich de Niederbronn-les-Bains qui ont fait grève au printemps pour protester contre un plan de reprise de l’entreprise trois fois centenaire par un fonds de pension américain. Ils n’avaient pas manifesté depuis trente ans. À Haguenau, ce sont encore des frontaliers inquiets pour leur emploi qui se sont rassemblés le mois dernier. La ville, peu réputée pour sa conflictualité, se radicaliserait-elle ? « L’Alsace suit les grandes tendances françaises, décrypte Francis Meyer, enseignant-chercheur à l’Institut du travail de Strasbourg. Lorsque des emplois sont menacés et que l’on vit une crise économique majeure, les gens se mobilisent. » Pour autant, reconnaît l’universitaire, le célèbre consensus alsacien, cette recherche de l’intérêt bien compris héritée de l’humanisme rhénan, est toujours vivace. En témoigne l’épisode douloureux vécu par les salariés de General Motors (voir pages 39 et 42). Pour sauver l’usine, les syndicats CFDT, FO et CFTC ont accepté de baisser de 10 % les coûts de main-d’œuvre. La CGT, seule à refuser de signer l’accord imposé par la direction américaine, a fini par trouver un compromis avec l’aide d’un médiateur. « Le poids de l’histoire et des conflits avec le voisin d’outre-Rhin ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur les acteurs sociaux et managériaux. Ils cherchent des solutions pour éviter les conflits trop dommageables », renchérit Michel Kalika, directeur de l’EM de Strasbourg. Quant aux syndicats, ils sont trop faiblement implantés pour rivaliser avec Marseille ou Paris sur la conflictualité. « Les déserts syndicaux sont nombreux. Les salariés ne font pas la démarche de prendre leur carte. Il ne s’agit pas d’un syndicalisme d’adhésion, militant, mais d’un syndicalisme d’audience », analyse Francis Meyer.

Protégée par un droit local avantageux (un régime de Sécurité sociale à part, un repos dominical renforcé…), toujours sous le régime du concordat qui reconnaît les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite – ce qui explique, accessoirement, la forte présence de la CFTC –, l’Alsace s’est reposée sur ses lauriers. « Tout était facile. La richesse des voisins suisses et allemands rejaillissait sur la région », note un chef d’entreprise. « Et pourtant, cela fait dix ans qu’on alerte les autorités.

L’industrie locale vit une crise structurelle, rappelle Bernard Marx, secrétaire de l’union régionale CFDT, première organisation syndicale de la région, avec 30 000 adhérents. Nous avons perdu 40 000 emplois industriels en dix ans, dont 12 000 pendant la dernière crise économique. Mais tous les diagnostics pointaient les faiblesses de notre industrie : trop manufacturière, trop dépendante de la mondialisation et de donneurs d’ordres allemands ou suisses. Elle compte pléthore de petits sous-traitants et pas suffisamment d’entreprises de taille moyenne, le niveau nécessaire pour être performant sur les marchés mondiaux. » Longtemps en situation de plein-emploi, l’Alsace rejoint le peloton national pour le chômage, dont le taux est passé de 6,3 % au deuxième trimestre 2008 à 8,3 % à la même période en 2010. « Depuis quatre ans, la hausse du taux de chômage est trois fois plus importante que dans le reste de la France », constate Bernard Marx. L’industrie souffre. À deux pas de General Motors, l’usine Delphi fermera en novembre, laissant 324 salariés sur le carreau. Quant aux 66 000 frontaliers – dont 7 000 Strasbourgeois –, ils pâtissent des mesures de chômage partiel et des licenciements outre-Rhin.

« Le tissu associatif alsacien est très fort. Il existe des structures pour les frontaliers, les seniors, les jeunes… Du coup, du côté des pouvoirs publics, on se souciait peu de l’employabilité des salariés. Quant à l’attractivité du bassin d’emploi strasbourgeois, ça ronronnait », déplore un DRH. Jusqu’à l’arrivée des socialistes Roland Ries à la mairie et Jacques Bigot à la Communauté urbaine de Strasbourg, le service économique de l’agglomération était dépourvu de chef. Le personnel a été multiplié par deux.

Belle endormie autour de sa cathédrale de grès rose, Strasbourg n’a pourtant pas à chercher bien loin ses atouts. Ils sont tous là : situation géographique hors du commun, desservie par deux ports, deux aéroports et une ligne TGV, aura de capitale avec le Parlement européen et la Cour européenne des droits de l’homme, offre de formation importante avec une université de 42 000 étudiants et des pôles de recherche à proximité. « Les entreprises étrangères qui s’installent ici savent qu’elles trouveront une main-d’œuvre qualifiée et qui bosse, note Michel Kalika. La rigueur, l’engagement, la ponctualité, le respect du formel et de l’écrit ne sont pas des poncifs en Alsace. »

Logique de filière. Reste à capitaliser. Les élus viennent de se lancer dans de grands travaux : un nouveau quartier d’affaires et des infrastructures pour accueillir des événements internationaux. Il s’agit d’accompagner les filières créatrices d’emploi : le développement durable, les sciences de la vie, le secteur tertiaire… « Même l’industrie s’oriente vers une logique de filière, note Bernard Marx. Et les pôles de compétitivité créeront des emplois. Mais ce n’est pas nécessairement pour tout de suite. Notre souci immédiat, c’est la reconversion des salariés au chômage. Car l’Alsace n’a pas suffisamment formé au-delà du niveau cinq. »

Historiquement davantage tournée vers l’Ill que vers le Rhin, Strasbourg veut désormais dynamiser l’axe avec Kehl. Ambivalente à l’égard de ce voisin très consommateur de salariés français, l’Alsace sait que son avenir se joue là. « Les entreprises regrettent souvent que l’appareil de formation alsacien tourne à fond pour l’Allemagne, admet un universitaire. Mais il vaut mieux un Alsacien travaillant en Allemagne qu’au chômage. »

Auteur

  • Sandrine Foulon