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Enquête

Égalité professionnelle : il y a encore du boulot

Enquête | publié le : 01.12.2010 | Éric Béal, Stéphane Béchaux, Anne Fairise, Anne-Cécile Geoffroy, Laure Dumont

Plus diplômées que les hommes, les femmes sont toujours moins bien loties. Les stéréotypes ont la vie dure et les tâches domestiques reposent encore largement sur leurs épaules. Chômage, emploi, salaire, carrière…, un état des lieux en 12 questions.

L’éducation des filles favorise-t-elle l’égalité professionnelle ?

60 % des emplois non qualifiés sont occupés par des femmes. Ce chiffre, que les excellents résultats des filles à l’école ne laissent pourtant en rien présager, révèle que les stéréotypes sociaux sont encore très prégnants. Au cours des trente dernières années, les filles se sont en effet admirablement bien conformées aux exigences du système scolaire…, comme s’il avait été conçu pour elles ! D’après les dernières études du ministère de l’Éducation, les filles entrent facilement dans les apprentissages, notamment dans ceux du langage et de la lecture. Elles redoublent moins que les garçons et décrochent le bac à 69,5 % (contre 58 %). Et, sur les 150 000 élèves quittant le système sans qualification, elles sont très minoritaires (voir encadré p. 26). Les conventions successives sur l’égalité des chances à l’école – dont la première remonte à 1984 – portent ainsi leurs fruits. Signée par huit ministères concernés par l’égalité hommes-femmes, la dernière, de 2006, devrait être reconduite en 2011. « L’objectif est de poursuivre les avancées déjà très honorables qui ont été accomplies, commente Marie-Jeanne Philippe, présidente du comité de pilotage. Les trois axes de travail restent l’orientation, la formation des enseignants pour continuer de gommer les stéréotypes, et la lutte contre les violences sexistes. »

Car deux problèmes se posent au moment des choix d’orientation et minimisent l’avance scolaire des filles. D’abord, elles ont tendance à sous-estimer leurs capacités et à se conformer à l’idée – démontrée comme étant fausse – selon laquelle elles seraient littéraires alors que les garçons seraient scientifiques. Ainsi, quand ils se jugent très bons en maths, 8 garçons sur 10 vont en S alors que les filles qui s’estiment très bonnes en maths ne sont que 6 sur 10 à opter pour cette filière. À l’inverse, 1 garçon sur 10 se jugeant très bon en français choisira d’aller en L, contre 3 filles sur 10. Autre travers féminin, les filles continuent de se projeter majoritairement dans des métiers qui leur permettront de combiner vie professionnelle et vie familiale, alors que les garçons ne se posent même pas la question.

L’une des clés identifiées pour lutter contre ces modèles repose sur les enseignants : dans les IUFM, des formations à la gestion de la diversité sont en place pour faire prendre conscience aux futurs enseignants des stéréotypes qu’ils peuvent véhiculer et les former aux moyens de les corriger. Pas sûr, cependant, que ces cours subsistent avec la réforme de la formation des enseignants… L’autre levier est plus difficile à exploiter : il s’agit de la famille. « Si les parents sont conscients du poids des résultats scolaires dans l’orientation de leur enfant, souligne le dernier rapport sur les discriminations remis à Luc Chatel en septembre, ils sous-estiment le poids des déterminants culturels et en particulier du sexe de l’élève. » Ainsi, actuellement, l’éducation des filles – et des garçons – ne favorise pas de manière significative une évolution des modèles. La lutte contre les stéréotypes doit devenir une vraie question de société et peut-être passer par un quasi-matraquage publicitaire…L. D.

Les femmes arrivant sur le marché du travail sont-elles plus diplômées ?

14 points séparent le taux d’obtention d’un diplôme de niveau bac + 2 des filles (71 %) et celui des garçons (57 %), selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La moitié d’une génération de filles (50,2 %) obtient une licence, pour seulement 37 % des garçons. Cette réussite universitaire est un phénomène historique. À partir des années 60, les filles ont rattrapé les garçons en termes de réussite scolaire. Pour les dépasser à partir de 1981, année où, pour la première fois, elles sont devenues majoritaires parmi les étudiants. Ces bons résultats s’inversent cependant pour les cursus longs. Majoritaires en licence et en master, les filles ne sont que 42 % à accéder au doctorat et 26 % à obtenir le grade d’ingénieur. Cette situation provient d’une orientation trop souvent dirigée vers des formations moins prestigieuses – et moins rentables professionnellement – que celles suivies par les garçons. Le détail des études supérieures par types de disciplines montre qu’elles sont très présentes dans les cursus de lettres et de sciences humaines (64,7 % en droit, 72,6 % en lettres, 74,6 % en langues) et minoritaires dans un grand nombre de disciplines techniques et scientifiques (27,8 % en sciences fondamentales et appliquées, 7 % en parcours plurisciences, 40,3 % en IUT).

Dans leur livre intitulé Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés (éd. Nathan, 2007), les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet parlent de « mauvaise gestion du capital humain défavorable aux filles ». Ils démontrent que cette répartition sexuée des étudiants commence dès le secondaire. Les stéréotypes perdurent, expliquent-ils, et sont responsables du bridage des orientations scolaire et professionnelle des filles. E.B.

Les réseaux de femmes sont-ils efficaces ?

200 réseaux de femmes ont été identifiés par Emmanuelle Gagliardi et Wally Montay pour leur Guide des clubs et réseaux au féminin, paru au Cherche Midi en 2007. Aujourd’hui épuisé, cet ouvrage a été le premier du genre et il a répondu à un besoin. Il est à présent prolongé par une plate-forme interréseaux, créée par ses auteurs, Connecting-Women.net, qui a pour objectif de créer des passerelles entre tous les réseaux existants. « Les premiers réseaux sont apparus il y a dix ans, lancés par des femmes de plus de 35 ans qui découvraient à partir de cet âge les spécificités d’une carrière au féminin, raconte Emmanuelle Gagliardi. Ils ont crédibilisé leur action en montrant aux directions d’entreprise, chiffres à l’appui, qu’il y avait un vrai problème d’égalité salariale et de carrières. Dans la foulée, ces femmes, au sein d’Action de femme, Administration moderne, Grandes écoles au féminin, EuropeanPWN-Paris, etc., ont lancé des ateliers sur le leadership, la relation à l’argent, le management… Leur défi, aujourd’hui, est de ne pas s’essouffler. »

Ce travail de fond, bien que porté par des tactiques qui restent « respectueuses et consensuelles », selon Isabel Boni-Le Goff, chercheuse au centre Maurice-Halbwachs (CNRS-Ehess-ENS), commence à porter ses fruits. « Nous assistons actuellement à une explosion des réseaux de femmes internes aux entreprises, souvent mis en place par les directions elles-mêmes », note Emmanuelle Gagliardi. Car les femmes ont réussi à démontrer aux dirigeants que la mixité n’était pas seulement un objectif en soi, mais qu’elle constitue un atout stratégique et une clé de développement pour le business.

Parallèlement à ces avancées, ces femmes – des Elles de l’auto à Société générale au féminin en passant par Accent sur elles chez Accenture – se retrouvent aussi pour se serrer les coudes dans un environnement qui reste encore hostile, sinon goguenard. « Quand on se réunit, les collègues masculins nous demandent comment s’est passée notre réunion Tupperware ! » raconte par exemple une adhérente des Elles de l’auto.

Si les stéréotypes ont décidément la vie dure, ces réseaux ont au moins le mérite d’exister et d’interpeller collègues et DRH. Une évolution notable qui fait dire à Françoise Fillon, déléguée générale du réseau Retravailler, que, pour les cadres supérieures, la partie est presque gagnée : « L’accès à la prise de décision est en train d’évoluer. Ces réseaux de dirigeantes ont vraiment permis aux mentalités de changer. La philosophie du salaire d’appoint a vécu. L’enjeu, aujourd’hui, est d’accompagner et d’aider les entreprises à mettre en œuvre la mixité à tous les niveaux et dans tous les métiers. » Sur le terrain, il s’agit par exemple de remettre en question les stéréotypes et les choix d’orientation professionnelle des filles… comme des garçons. « Le levier le plus efficace de l’égalité salariale sera la mise en place d’une vraie mixité des postes à tous les niveaux. Les entreprises l’ont compris mais, maintenant, il faut les aider à trouver les femmes pour les postes », insiste Françoise Fillon. Un chantier colossal, qui doit se mener tant au sein des familles et de l’école qu’à Pôle emploi ou à l’Afpa…L.D.

Le nombre de femmes en sous-emploi ne cesse de progresser. De quoi modérer les satisfecit sur le développement de l’emploi féminin, qui s’est fait… grâce à la croissance du temps partiel, jusqu’à concerner aujourd’hui une femme sur trois
Quel est le véritable écart de salaire entre les hommes et les femmes ?

19,1 % ou 7 %? Une chose est sûre, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est toujours défavorable à ces dernières. Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une femme gagnait en moyenne 19,1 % de moins qu’un homme en 2008 (contre 18,8 % en 2007). Chez les cadres, cet écart entre les salaires nets mensuels des hommes et des femmes (respectivement 4 375 et 3 347 euros) s’élevait à 23,5 %. Les ouvrières gagnaient 17,5 % de moins que leurs collègues masculins, les employées 5,8 % et les femmes des professions intermédiaires 12,5 %.

Mais une partie de ces différences s’explique par le fait que les femmes occupent plus souvent des emplois peu qualifiés, de moindres responsabilités ou à temps partiel. Auteurs de « L’écart des salaires entre les femmes et les hommes peut-il encore baisser ? » (Économie et statistique, 2006), Dominique Meurs et Sophie Ponthieux prennent en compte ces différences structurelles en matière de qualification de l’emploi, de temps de travail et de niveau d’éducation pour situer à 7 % l’écart réel, dit « ajusté », entre hommes et femmes. Cet écart correspond plus ou moins à la mesure de la discrimination salariale effective. Reste qu’il n’a pratiquement pas bougé depuis dix ans, en dépit d’une législation complète sur l’égalité des rémunérations « à travail égal ». E.B.

Le temps partiel contraint recule-t-il ?

Non seulement 83 % des actifs travaillant à temps partiel sont des femmes, mais plus d’un tiers d’entre elles subissent cette situation, faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet, selon l’enquête emploi de l’Insee. Pour une femme sur deux, le contrat à temps partiel a été imposé à l’embauche. Cette absence de choix concerne plus souvent des caissières de supermarché, des employées de l’hôtellerie-restauration ou des services à la personne (assistantes maternelles, aides-ménagères), contraintes aux journées hachées et aux horaires décalés… La conséquence est immédiate sur leur fiche de paie, 50 % des personnes à temps partiel subi gagnant moins de 800 euros net par mois. Triste cocorico ! Car cette proportion importante de salariées cantonnées aux semaines de moins de 35 heures est une particularité tricolore. « Un emploi à temps partiel sur trois est déclaré involontaire en France, contre un sur six pour l’ensemble de l’Union européenne », notent Cédric Afsa Essafi et Sophie Buffeteau, auteurs d’une étude sur l’activité féminine dans l’Hexagone (Insee, 2006).

Pis, le nombre de femmes en sous-emploi ne cesse de progresser, atteignant plus de 1 million en 2007 contre 910 000 en 2003. De quoi modérer les satisfecit sur le développement de l’emploi féminin, qui s’est fait… grâce à la croissance du temps partiel depuis les années 80. Jusqu’à concerner aujourd’hui une femme sur trois. Rien d’étonnant à ce que l’essentiel des propositions de Brigitte Grésy, auteur en 2009 d’un rapport sur l’égalité professionnelle, porte sur la lutte contre le temps partiel subi. A.F.

Les femmes peuvent-elles compter sur la formation professionnelle ?

30 % la probabilité d’accéder à une formation professionnelle, pour les femmes, chute de près d’un tiers si elles ont des enfants de moins de 6 ans. Du côté des hommes, la présence d’enfants n’a en revanche aucune incidence sur l’accès à la formation. Le constat du Cereq (« Concilier vie familiale et formation continue, une affaire de femmes », Bref, mars 2009) est plutôt déprimant. Avant d’envisager de se former, les femmes doivent surtout lever de nombreux freins domestiques. Et le premier d’entre eux : la garde d’enfant, qui est très souvent coûteuse. Viennent ensuite le ménage, les loisirs et l’accompagnement des enfants à l’école ou aux activités du mercredi.

« Jusqu’ici, je n’ai pu observer qu’une expérience d’entreprise, celle de Belin, qui tentait de contourner tous ces problèmes. Et elle date du début des années 90 », pointe Christine Fournier, spécialiste de la formation continue au Cereq. En prenant en charge les frais de garde de jour comme de nuit et de location d’une voiture pour permettre aux opératrices de production de se rendre en formation, Belin a réussi à mener 48 d’entre elles au CAP en trois ans. Un autre frein tient à la mobilité géographique. Dans les secteurs généreux en formation comme la banque, les assurances ou la fonction publique, les promotions imposent fréquemment une telle mobilité. Or la France reste très macho : la femme suit plus souvent son mari que l’inverse. Et les effets de la formation sur la carrière des femmes restent alors lettre morte.

Ce que montrent surtout les rares recherches sur le sujet, c’est que les inégalités d’accès à la formation se jouent entre catégories socioprofessionnelles. Mieux vaut être diplômée, cadre ou exercer une profession intermédiaire ! Les femmes cadres accèdent autant sinon plus que les hommes à la formation, surtout parce qu’elles sont davantage à travailler dans le secteur public. Les employées et les ouvrières, plus souvent à temps partiel, sont les parents pauvres de la formation. « Les femmes, comme les hommes, ont finalement peu à attendre de la formation professionnelle, souligne Christine Fournier. Simplement parce que le système de formation est très centré sur l’entreprise. Celle-ci privilégie les formations d’adaptation au poste de travail. Des formations courtes, d’une trentaine d’heures en moyenne, qui ne sont pas propices aux évolutions professionnelles. » A.-C.G.

Avoir des enfants pénalise-t-il la carrière ?

55 % des femmes ont le sentiment que leur(s) congé(s) maternité a (ont) eu un impact négatif sur leur progression de carrière, révèle un sondage LH2 de mi-2009. « L’arrivée d’un enfant marque le plus souvent une rupture dans les trajectoires professionnelles féminines », note Brigitte Grésy, pour qui « la France reste dans le moule de Monsieur Gagne-Pain ». Et pour cause, explique l’inspectrice générale des Affaires sociales, la naissance d’un enfant provoque une spécialisation entre parents : aux femmes « la responsabilité familiale », aux hommes « la responsabilité professionnelle »!

Les statistiques l’attestent. Si le taux d’emploi des hommes et des femmes sans enfants est identique (autour de 82 %, selon l’Insee), les différences se creusent dès que la femme devient mère : 73 % des mères d’un enfant âgé de moins de 12 ans sont actives, mais elles ne sont plus que 64 % quand elles ont deux enfants et 40 % quand elles en ont trois. Certaines renoncent ainsi à « faire carrière », d’autres prennent un congé parental, changent d’horaires, passent à temps partiel ou tirent carrément un trait sur leur activité, en raison des difficultés rencontrées sur le marché du travail ou à concilier leurs doubles journées. Car, malgré des efforts importants, crèches, assistantes maternelles et gardes à domicile n’accueillent que 38 % des enfants, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined). Conséquence : près de 380 000 femmes cessent chaque année leur activité pour s’occuper de leur bambin. L’investissement des pères, non plus, n’est pas à la hauteur. Alors que les femmes assument 80 % des travaux domestiques, « l’arrivée d’un enfant modifie la répartition des tâches entre conjoints dans un sens « défavorable » à la femme, quelle que soit la tâche sauf la vaisselle », précise Arnaud Régnier-Loilier dans une étude pour l’Ined.

Ces comportements influencent l’attitude des employeurs à l’égard des (futures) mères, supposées moins investies dans le travail que leurs homologues masculins. Cela commence lors de l’entretien d’embauche. Une femme sur quatre environ est alors interrogée sur ses « projets familiaux », révélait l’an passé la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Le regard négatif pèse encore dans l’accès à la formation professionnelle, l’attribution des augmentations salariales – de plus en plus individualisées – ou des promotions. Après la naissance de ses jumeaux, Laurence, cadre dans la communication, a mis quatre ans pour décrocher une évolution de poste, assortie d’une augmentation. « Cela s’est fait après le départ de mon supérieur. Il m’avait toujours tenu rigueur de mon absence lors de mon congé maternité », souligne-t-elle. Dans l’enquête « Le travail en questions », menée par la CFDT, un tiers des femmes estiment avoir été lésées à leur retour de congé maternité parce que leur carrière s’est ensuite trouvée limitée, qu’elles ont perdu leur poste ou en ont occupé un moins intéressant. Développement de services sur le lieu de travail, du type crèche ou garde d’enfants d’urgence chez Alstom Transport, lutte contre le présentéisme chez L’Oréal ou Adecco, élargissement de la période de détection des cadres à haut potentiel chez EDF ou Schlumberger… Les grandes entreprises commencent à s’organiser pour permettre à leurs salariées mères d’évoluer professionnellement. Il leur reste à faire école… A.F.

Les métiers qui se féminisent perdent-ils en prestige ?

Avec 99 % de femmes, la profession d’assistante maternelle remporte la palme du métier le plus féminisé de l’Hexagone. Suivent les employées de maison (98 %), les secrétaires (97 %) et les aides-soignantes (92 %). Des métiers qui, comme tous ceux très largement investis par la gent féminine, ne suscitent guère la jalousie du sexe opposé. En volume, les professions qui comptent le plus de femmes ne se distinguent pas davantage par leur prestige : les agents d’entretien (800 000 salariées) devancent les enseignantes et les nounous. « Beaucoup de métiers dits féminins s’inscrivent dans le prolongement des tâches imposées aux femmes dans l’activité domestique », rappelle la sociologue Marlaine Cacouault-Bitaud, professeure à l’université de Poitiers.

À l’exception du nettoyage, qui s’est masculinisé, les métiers majoritairement investis par les femmes n’ont pas gagné en mixité au cours des trois dernières décennies. Les professions dites masculines, si. Et notamment les plus qualifiées. En 2002, 62 % des médecins âgés d’au plus 35 ans étaient de sexe féminin, contre 38 % de leurs aînés. Idem pour les cadres des banques et de l’assurance (56 % contre 28 %) et les professionnels du droit (56 % contre 41 %). Dans ce dernier secteur, la magistrature compte 57 % de femmes, tous âges confondus, et les greffes, 80 %. Une féminisation toujours à l’œuvre : en 2006-2007, les cursus universitaires en droit, médecine ou pharmacie étaient aux deux tiers suivis par des étudiantes.

Les barrières machistes seraient-elles tombées ? Que nenni ! « À l’intérieur de ces professions, on observe un nouveau partage des sexes. Les hommes se réfugient dans les positions qui apportent les meilleurs gains en termes de prestige et de rémunération. On compte très peu de femmes parmi les avocats d’affaires, les cardiologues ou les premiers présidents de cour d’appel », analyse Marlaine Cacouault-Bitaud. Une ségrégation dont les femmes sont parfois des victimes consentantes. « En médecine, ce sont les femmes qui obtiennent les meilleurs rangs de sortie. Et pourtant elles ne choisissent pas les spécialités les plus lucratives. Parce qu’elles privilégient davantage l’intérêt intellectuel du poste et intègrent, aussi, la disponibilité qui lui est associée », estime la sociologue du travail et du genre Sophie Pochic, chercheuse au CNRS.

Du côté de la gent masculine, on voit rarement l’arrivée des femmes d’un bon œil. À tort. « La plupart des métiers dits féminins sont, indéniablement, dévalorisés. Mais le lien de causalité entre féminisation d’une profession et perte de prestige, lui, n’est pas démontré. On est davantage dans le domaine de la rhétorique, du discours véhiculé par les hommes pour défendre leurs bastions », affirme Sophie Pochic. Mais si la féminisation d’un métier n’est pas la cause de sa dévalorisation, elle l’accompagne souvent. De la médecine à l’architecture, du journalisme à la magistrature, les professions qui se sont le plus féminisées ont perdu de leur superbe. À l’inverse, les métiers ayant le vent en poupe résistent, eux, à la féminisation. Ainsi des très lucratives salles de marché. S.B.

Si la féminisation d’un métier n’est pas la cause de sa dévalorisation, elle l’accompagne souvent. À l’inverse, les métiers ayant le vent en poupe restent fermés aux femmes
Les femmes ont-elles davantage accès aux instances dirigeantes ?

91 fauteuils sur les 634 postes d’administrateurs des sociétés du CAC 40 sont occupés par des femmes, selon Action de femme. Elles sont ainsi 14,4 % à siéger dans les conseils d’administration des plus grandes entreprises cotées. Des chiffres, certes, en progression (de 60 % en un an), mais encore très insuffisants pour atteindre la parité. En outre, ils placent la France dans le peloton de tête des… retardataires européens. D’ici à la fin de l’année, la loi Zimmermann devrait être promulguée pour remédier à cette spécificité et accélérer le mouvement initié par les pays de l’Europe du Nord. Ce texte, directement inspiré de la loi norvégienne et que l’Afep et le Medef ont repris à leur compte, exige des conseils d’administration des entreprises privées, publiques, ainsi que des sociétés du secteur mutualiste de se féminiser en deux étapes : à hauteur de 20 % d’ici à 2013 et de 40 % d’ici à 2016. « Si la loi n’est pas appliquée, les sénateurs ont proposé que les administrateurs ne touchent pas leurs jetons de présence », se réjouit ouvertement Daniel Lebègue, président de l’Institut français des administrateurs et ardent défenseur du texte. « D’après nos études, poursuit-il, le vivier de femmes existe et les entreprises ne devraient avoir aucun mal à appliquer la loi. »

En considérant que 2 000 sociétés comprenant en moyenne 10 administrateurs chacune seraient concernées par ce texte, ce sont quelque 4 000 fauteuils qui doivent être attribués à des femmes d’ici à deux ans, et 8 000 d’ici à cinq ans. Une révolution. Mais la France saura-t-elle, cette fois, s’émanciper du modèle scandinave et devenir exemplaire… avec des conseils d’administration comptant plus de 40 % de femmes, voire carrément, allez, 50 %? Chiche ! L.D.

Plus de 1 million de femmes à temps partiel déclarent vouloir travailler plus. Leurs collègues masculins ne sont « que » 400 000 dans ce cas
Les accords sur l’égalité professionnelle sont-ils efficaces ?

6,9 % des accords d’entreprise et 9,5 % des accords de branche abordent la question de l’égalité professionnelle. Issus du bilan 2009 de la négociation collective, ces deux chiffres en disent long sur l’intérêt des partenaires sociaux pour la thématique. Ce résultat signe l’inefficacité de la loi du 23 mars 2006, qui imposait aux entreprises et aux branches de négocier chaque année sur le sujet. Mais aussi de supprimer les écarts de rémunération avant la fin 2010. Une échéance sabrée par les parlementaires dans la récente loi sur les retraites. Le législateur impose désormais aux entreprises de plus de 50 salariés d’être couvertes, avant le 1er janvier 2012, par un accord ou un plan d’action. Au risque, sinon, de payer une amende pouvant atteindre 1 % de leur masse salariale.

La menace devrait booster les signatures d’accords. Mais sans garantir leur qualité. Réalisée en 2008, l’enquête Dares-SDFE (Service des droits des femmes et de l’égalité) portant sur le contenu des textes est édifiante. « Seuls 23 accords sur 159 comportaient une analyse structurelle des inégalités professionnelles, avec des mesures précises et des objectifs chiffrés », note l’auteur de l’étude, Marion Rabier. Les autres se contentaient de réaffirmer de grands principes, y ajoutant, au mieux, une mesure correctrice. Ces insuffisances n’ont pas disparu. Les textes restent pauvres, à l’instar de l’accord signé fin 2009 chez Essilor, qui ne prévoit que des « mesurettes »: recours au Cesu, création d’un guide de la parentalité, respect des horaires pour les réunions, etc. « Outre les grandes recommandations, les accords s’attardent en long et en large sur la protection des femmes enceintes, les congés maternité, la conciliation des vies familiale et professionnelle. Ils renvoient les femmes à leur statut de mère », analyse Annie Ducellier, fondatrice du cabinet Isotélie. Autre écueil, la mise en œuvre poussive des engagements. « Lorsque la négociation se termine, la passion retombe. Les services RH comme les syndicats ont les plus grandes difficultés à porter le sujet dans la durée », observe François Fatoux, délégué général de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises. Les belles intentions des états-majors trouvent ainsi peu d’écho auprès des managers. « L’accord apparaît souvent comme une démarche politique dont ils ne contestent pas la légitimité mais qu’ils jugent finalement peu réaliste au regard du poids des autres objectifs », notait, en septembre 2008, une étude du cabinet Essor Consultants. Résultat, les avancées sont timides. Et les syndicats déchantent. « Lorsqu’une entreprise demande le label Égalité professionnelle pour la première fois, les syndicats émettent souvent un avis favorable. Mais beaucoup moins lors du renouvellement », observe la cédétiste Sophie Mandelbaum, qui siège à la commission de labellisation. Après le Crédit lyonnais, fin 2009, la Société générale vient d’en faire l’expérience. En novembre, la CFDT, signataire des accords maison, s’est violemment opposée à leur renouvellement. Pour manque de résultats. S.B.

Les femmes sont-elles plus touchées par le chômage ?

9,4 % des femmes actives se trouvaient au chômage (au sens du BIT), contre 9,1 % des hommes, au deuxième trimestre 2010. Un « surchômage » qui ne s’est jamais démenti. Néanmoins, ces dernières années se caractérisent par un rapprochement notable des deux courbes. Et pour cause. En 2006 et 2007, les femmes ont davantage bénéficié de la reprise de l’emploi et, en 2008 et 2009, les hommes ont été plus durement touchés par les suppressions d’emplois dans l’industrie. Cette quasi-égalité des taux de chômage masque de vraies différences, au détriment des femmes. « On commente beaucoup, depuis le début de la crise, la moindre augmentation du chômage féminin. Mais, derrière, se cache une hausse des emplois à temps partiel et des activités réduites », prévient Françoise Milewski, économiste à l’OFCE.

Ce sous-emploi reste largement une histoire de femmes. Mi-2010, plus de 1 million d’entre elles, à temps partiel, déclaraient vouloir travailler plus. Leurs collègues masculins n’étaient « que » 400 000 dans ce cas, dont plus d’un quart pour cause de chômage technique ou partiel. Actuellement, 68 % des hommes et 60 % des femmes sont, en France métropolitaine, en emploi. Des taux désormais relativement proches, mais qui continuent à diverger si l’on tient compte des horaires de travail. Ainsi, seules 41 % des femmes ont un emploi à temps complet, contre 64 % des hommes. Et 18 % travaillent à temps partiel, contre 4 % de la gent masculine. Des écarts que la crise renforce. S.B.

Pourquoi les femmes ont-elles une petite retraite ?

825 euros, c’est la pension moyenne des Françaises. À 65 ans, Monique vient de prendre sa retraite et touche nettement moins : 350 euros par mois. Pourtant elle a travaillé jusqu’au bout du bout. Sa petite retraite est en fait le parfait reflet de sa carrière professionnelle hachée. Abonnée à des emplois à temps partiel ces vingt dernières années, elle n’a repris une activité qu’une fois ses trois enfants élevés, à 45 ans. Le cas de Monique est symptomatique de la situation des femmes face à la retraite et de l’inégalité persistante avec les hommes. La pension moyenne des hommes frôle en effet les 1 500 euros mensuels. Une différence de 58 % qui s’explique par les écarts salariaux avec les hommes mais pas seulement. Le début des années 90 a vu la montée en puissance des contrats de travail à temps partiel en France, boostés par les dispositifs d’exonération de cotisations. Quand 30 % des femmes en emploi travaillent à temps partiel, seuls 5 % des hommes sont concernés.

Les femmes ne sont pas mieux loties face au chômage. Elles connaissent depuis plusieurs années des taux supérieurs à ceux des hommes. Ces derniers n’interrompent presque jamais leur carrière professionnelle pour élever leurs enfants et se protègent ainsi mieux des affres du chômage. Conséquence de cette précarité et d’un parcours professionnel en pointillé : 76 % des bénéficiaires du minimum vieillesse sont des femmes. Résultat, pour compenser leur petite retraite, elles n’ont d’autre solution que de travailler plus longtemps : elles partent en moyenne à 61,5 ans, quand les hommes tirent leur révérence à 60,1 ans. A.-C.G.

Pourquoi il faut sauver les garçons

En publiant, en 2009, Sauvons les garçons ! (Descartes & Cie), Jean-Louis Auduc a jeté un pavé dans la mare sans craindre de se positionner – en apparence en tout cas – à contre-courant. Directeur adjoint de l’IUFM de Créteil, cet historien de formation travaille notamment sur l’échec scolaire. En se plongeant dans le détail des enquêtes émanant du ministère de l’Éducation nationale, il dresse un constat sur lequel l’institution s’est longtemps montrée aveugle : l’échec scolaire a un sexe, masculin en l’occurrence. Suradaptées au système éducatif qui semble comme taillé pour elles, les filles en tirent largement profit et s’y sentent très à l’aise. Ainsi, 80 % des enseignants sont des femmes, comme la plupart des autres interlocuteurs des élèves dans le cadre scolaire (personnels médicaux, conseillers d’orientation…). « Cette situation crée un cercle vicieux, note Jean-Louis Auduc. Les filles se projettent naturellement dans ces métiers déjà ultraféminisés alors que, parallèlement, les métiers « masculins » sont invisibles à l’école. »

Pour aider les garçons, Jean-Louis Auduc plaide par exemple pour une lutte personnalisée contre l’échec scolaire qui prendrait en compte les différences sexuées dans la manière d’apprendre. Il appelle, comme le font déjà les Suédois, non pas à la suppression de la mixité, mais à sa gestion intelligente. Cela signifie par exemple de prévoir des travaux pratiques séparés à des moments clés de certains apprentissages où filles et garçons se distinguent : l’apprentissage de la lecture en CP, l’éducation à la sexualité ou l’orientation en 3e… Dans un rapport Eurydice appelé « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire. Étude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe », publié en décembre 2009, la Commission européenne invite ainsi les États membres à « offrir plus d’espace à la fois aux filles et aux garçons » et à faire de la lutte contre l’échec scolaire des garçons « une priorité politique »… dans l’intérêt de tous, garçons… et filles. Question d’égalité.

Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, membre active de l’association Femmes et Sciences, auteur de Cerveau, sexe et pouvoir (avec D. Benoit-Browaeys, Belin, 2005) et d’Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ? (Le Pommier, 2007).
“Nous sommes plus dans la croyance du changement que dans le changement lui-même”

Vous êtes spécialiste du cerveau, mais pourquoi vos ouvrages se placent-ils sur le terrain de l’égalité hommes-femmes ?

Je suis d’abord une scientifique, mais j’estime qu’il est de mon devoir de participer à la diffusion du savoir scientifique, notamment pour lutter contre les idées reçues sur les différences entre les hommes et les femmes. Les discours que l’on entend se fondent sur des études anciennes, qui n’ont pas toujours été confirmées. Or la conception du cerveau a beaucoup changé avec le xxie siècle, elle est aujourd’hui radicalement différente d’il y a vingt-trente ans.

Qu’avons-nous appris ?

Le cerveau humain est doué d’une propriété exceptionnelle qui est la « plasticité cérébrale ». À la naissance, les neurones du bébé cessent de se multiplier, mais le cerveau est loin d’être achevé : seulement 10 % des neurones sont connectés entre eux. Les 90 % restants vont se construire au cours du développement postnatal en interaction permanente avec le monde extérieur, social et culturel. C’est la spécificité de l’être humain, elle signifie qu’à la naissance les potentialités du cerveau sont immenses, l’avenir est ouvert.

À la naissance, les garçons et les filles ont donc le même potentiel ?

Oui, en ce qui concerne les fonctions cognitives, l’intelligence, la mémoire… Il existe certes des différences entre les cerveaux masculins et féminins, qui se situent dans les régions qui contrôlent les fonctions de reproduction. Pour le reste, il y a une telle diversité entre les cerveaux d’individus d’un même sexe que c’est elle qui l’emporte sur les différences entre les sexes. Si l’on observe des différences de comportement entre les hommes et les femmes, la question pertinente est de se demander d’où elles viennent. Quelle est la part de la biologie et de l’environnement ? Les recherches en neurobiologie montrent que c’est l’éducation qui construit les stéréotypes. Ce n’est qu’à partir de 2 ans que les enfants ont conscience de leur appartenance à un sexe mais, dès la naissance, leur entourage contribue, souvent inconsciemment, à orienter leur environnement en fonction des normes sociales du masculin ou du féminin.

Nos comportements ne peuvent donc être biologiquement « féminins » ou « masculins »?

Non, à cause de la plasticité du cerveau. On revient régulièrement à l’argument biologique, notamment dans les périodes de crise, pour justifier les problèmes sociaux, ce qui revient à exonérer les dirigeants de leur responsabilité. Associer la crise boursière à la testostérone des traders qui ferait que les hommes prennent plus de risques que les femmes est une vision réductionniste et simpliste qui, hélas, séduit le grand public. D’autant que ces idées ne sont pas scientifiquement démontrées. On est ici dans une argumentation idéologique et non pas dans la science.

Comment modifier les stéréotypes ?

La difficulté est qu’ils sont souvent profondément intégrés, y compris par les femmes elles-mêmes qui peuvent avoir tendance à se sous-estimer, se dire nulles en maths ou en navigation dans l’espace. Pour modifier ces attitudes, la priorité passe par la formation des enseignants. Les stéréotypes se forment dès le plus jeune âge, il faut donc aider les enseignants à donner aux enfants – filles et garçons – les conditions favorables pour une égalité des chances et des choix dans l’orientation scolaire et professionnelle. Les associations comme Femmes et Sciences, Femmes ingénieurs, Femmes et Mathématiques interviennent efficacement dans les collèges et les lycées en ce sens. Mais cela va prendre du temps, car, au-delà de l’école, une vraie volonté politique à tous les niveaux de la société est nécessaire. Aujourd’hui, on est plus dans la croyance du changement que dans le changement lui-même. Certes, il y a des femmes pilotes de ligne et P-DG, mais l’immense majorité des femmes vit l’inégalité au quotidien.

Propos recueillis par Laure Dumont

Auteur

  • Éric Béal, Stéphane Béchaux, Anne Fairise, Anne-Cécile Geoffroy, Laure Dumont