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Portraits de praticiens entrés en résistance

Dossier | publié le : 01.01.2011 | S.D.

Dotés d’un statut protégé, les médecins du travail n’en sont pas moins l’objet de pressions de la part de certains employeurs qui voient en eux des empêcheurs de tourner en rond. Témoignages de quelques-uns de ces trublions.

C’est tous les jours que notre indépendance est attaquée… Les employeurs ne comprennent pas ce qu’elle peut apporter à l’entreprise. Mais ils ne supporteraient pas que leur médecin généraliste se comporte comme ils l’attendent des médecins du travail. De toute façon, on parle dans le vide car la médecine du travail est morte », regrette Alain Carré, médecin et fils de médecin du travail, qui a raccroché sa blouse blanche en 2008 après trente-deux ans passés chez EDF-GDF. Le Code du travail a beau réaffirmer l’indépendance technique et accorder aux médecins du travail le statut de salariés protégés, ceux-ci déplorent bien souvent la mainmise des organisations patronales sur les services de santé au travail. Le péché originel.Ainsi, les services interentreprises, où exercent près de 90 % des médecins du travail, sont dirigés par un conseil d’administration composé aux deux tiers de représentants d’employeurs.« Un employeuradhérentdemonservice, mécontent de mon rapport annuel dénonçant les effets des changements d’organisation sur la santé des salariés, a déjà appelé ma direction pour changer de médecin, témoigne Jean-Louis Zylberberg, dans son cabinet situé à Paris (XIe). Heureusement, c’est impossible sans mon accord et celui de la commission de contrôle, composée aux deux tiers de représentants de salariés. »

Au quotidien, les pressions semblent encore plus fortes pour les médecins salariés de services autonomes, rattachés directement aux entreprises. Frustrés, certains praticiens finissent par baisser les bras, en ayant le sentiment de prêcher dans le désert, puisque rien n’oblige les employeurs à prendre en compte leurs recommandations. Une tendance qui pourrait s’inverser alors que les juges se montrent intransigeants sur la santé des salariés. Lorsqu’une entreprise est attaquée pour faute inexcusable, le rapport du médecin du travail pèse alors de tout son poids… Mais, avant cette ultime échéance, certains praticiens ont choisi de sortir de leur réserve pour témoigner de leur quotidien. Portraits de ces fortes têtes.

“Le médecin peut être un contre-pouvoir”

« Quand je défends la cause d’un salariés j’assume bien le conflit, il me donne l’impression d’exister. » Si tel est le cas, alors le docteur Olivier Galamand, né après-guerre, a bien vécu. Médecin du travail pendant huit ans chez IBM à la Défense, il a contraint Big Blue à sortir enfin du déni de réalité et à intégrer (un peu) la prévention du stress dans son logiciel. Las de l’indifférence de la direction face à ses rapports dénonçant depuis 2003 un niveau de stress excessif et le burnout d’une fraction des salariés, il alerte les médias et l’opinion publique. Son image entachée, le groupe informatique va commencer par infléchir les pratiques managériales à travers un plan de formation en 2008. « Chez IBM, les pressions hiérarchiques conduisaient les managers à des troubles du comportement, alors j’ai rappelé au P-DG ses responsabilités. À mon pot de départ, en 2009, le DRH m’a dit que j’avais vraiment mis les pieds dans le plat. » C’est le hasard d’une rencontre qui pousse Olivier Galamand, pas très chaud à l’idée d’exercer en libéral, à choisir la médecine du travail en 1977. Il commence chez Renault, à l’usine de Flins. « J’ai tout de suite été emballé par l’étude des conditions de travail, le côté bricolage des aménagements de poste, les relations sociales. » Successivement à la direction des études, puis au siège chez Renault, il observe la lente destruction des collectifs de travail. « Je ne supporte pas qu’on harcèle un pauvre type. Le médecin du travail peut être un médiateur, un contre-pouvoir. S’il fait bien son boulot, il est forcément en conflit avec la direction. Renault et IBM ont essayé de me virer car je défendais un peu trop les salariés. Mais un employeur ne peut pas faire pression sur un médecin, foncièrement indépendant, qui a le soutien total des salariés. »

“L’union fait la force”

À 40 ans, Karyne Devantay est la benjamine du collectif des médecins du travail de Bourg-en-Bresse, qui réunit huit praticiens exerçant tous dans le même service interentreprises. Créé en 1994 en solidarité avec l’un d’entre eux dont l’indépendance était piétinée, le collectif dénonce publiquement la gouvernance patronale des services de santé au travail. « Dans l’Ain, par exemple, le secrétaire général de notre service est aussi représentant du Medef local. Notre union permet de contrecarrer les éventuelles pressions des employeurs et de réfléchir à notre identité. La gestion des risques est à la mode dans les discours officiels, mais dès qu’on creuse les conditions de travail, on devient gênant. Chaque recommandation donne lieu à un échange tendu avec l’employeur qui menace notre direction de changer de médecin, les agressions verbales sont quotidiennes. Je n’étais pas prévenue de toutes ces difficultés quand j’ai opté cette spécialité. Les salariés sont méfiants avec les médecins du travail car certains ont choisi de ne pas perturber les entreprises. Notre collectif dérange la profession car on met le doigt sur ses faiblesses déontologiques et ses difficultés d’exercice. Mais le fait d’en parler ouvertement permet de sensibiliser les représentants des salariés ; nous avons d’ailleurs construit des bonnes relations avec ces derniers. » Leur histoire s’inscrit dans un contexte de durcissement des conditions de travail au cours de ces quinze dernières années, qu’ils relatent dans un ouvrage collectif (la Santé au travail en France : un immense gâchis humain, aux éditions l’Harmattan, 2010). « On nous colle une étiquette de gauchistes, alors que je ne suis pas du tout politique. Mais, en travaillant sur le terrain, j’ai eu envie d’interpeller nos gouvernants. »

“Ma parole est plus crainte”

« Ancienne médecin généraliste, j’ai choisi de me reconvertir par contraintes familiales : la médecine du travail permet de concilier plus facilement sa vie de maman. J’ignorais tout de cette spécialité, méprisée par le corps médical et la population, persuadée que nous avons raté nos études. Et puis, au début, c’était douloureux de ne pas pouvoir prescrire. » Depuis vingt-cinq ans, Marielle Dumortier, auteure de Mon médecin du travail (éd. Le Cherche Midi, 2009), exerce dans l’Essonne, auseindel’ACMSIle-de-France. Spécialisée en psychopathologie, elle tient depuis peu une consultation en souffrance au travail à l’hôpital de Créteil. « J’ai l’impression d’être le porte-voix des salariés en souffrance. La plupart de ceux que je reçois en visite me connaissent depuis vingt-cinq ans, ils me font confiance. Ces consultations sont fondamentales car le salarié peut sans crainte y parler de son travail. Tant que je suis dans mon cabinet, on me fiche une paix royale. C’est lorsque j’en sors pour dénoncer publiquement des pratiques de management que les ennuis commencent. La pression des entreprises est difficile à vivre, je comprends que des médecins finissent par se taire. J’ai réussi à y résister car je fais partie d’un collectif de professionnels mobilisés autour de la souffrance au travail. Et si ma parole n’est pas plus entendue, j’ai le sentiment qu’elle est plus crainte. Collectivement, nous ne pouvons pas grand-chose, vu que l’employeur n’est pas obligé de tenir compte de nos recommandations. Individuellement, nous pouvons beaucoup pour les salariés, les aider à se remettre au travail, les accompagner vers l’inaptitude. »

“La réforme est le baiser qui tue”

Petit-fils d’un médecin d’entreprise, Dominique Huez, médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon depuis 1983, est un observateur attentif des conditions de travail des agents de l’entreprise publique et de ses sous-traitants. Le militantisme chevillé à la blouse blanche, le président de l’association Santé et médecine du travail, vice-président du syndicat CGT des médecins EDF-GDF, dénonce infatigablement la souffrance au travail et va prochainement ouvrir une consultation spécialisée à l’hôpital Bretonneau de Tours. Ce trublion a contribué au sein de la centrale à mettre en place un système de veille des risques psychosociaux, a régulièrement donné l’alerte contre l’utilisation de produits toxiques. À 61 ans, il délaisse progressivement ses consultations pour se consacrer à la recherche clinique. « Quand un médecin du travail énonce un risque, l’employeur trouve toujours une alternative, dans les domaines soit organisationnel, soit technique, même si, souvent, ce n’est pas du tout celle que nous avions imaginée. À la centrale, mon employeur avait admis depuis longtemps qu’il n’avait pas à organiser le quotidien de mon activité. Aujourd’hui, la réforme en cours est le baiser qui tue et accentue la démédicalisation de la santé au travail. »

949 services de santé au travail, dont 300 interentreprises, avec 4941 médecins (équivalents temps plein), et 649 autonomes (entreprises de plus de 2 200 salariés), avec 648 médecins

72 % de femmes dans la profession

3 300 salariés et 450 entreprises maximum suivis par un médecin en service interentreprises

70 médecins à France Télécom

56 000 euros brut annuels : rémunération moyenne pour un junior en service inter, 73 000 pour un senior. En service autonome : 74 000 euros pour un junior et 98 000 pour un senior

(Enquête Xcell Executive Search et Offre Emploi Santé.)

Auteur

  • S.D.