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Idées

Le coût du travail est-il trop élevé en France ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2011 |

La relance du débat sur les 35 heures depuis le début de l’année doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur le coût du travail dans l’Hexagone, dont la durée hebdomadaire n’est qu’un des paramètres.

Gilles Koleda Directeur d’études à COE-Rexecode.

Le coût du travail est un déterminant important de la compétitivité des entreprises. Un niveau relatif élevé du coût du travail constitue un élément défavorable pour la compétitivité et donc pour l’emploi. La comparaison entre l’industrie française et l’industrie allemande est éclairante sur ce point. Les mesures statistiques du coût du travail peuvent légèrement différer entre les diverses sources disponibles. Au-delà des particularités qui peuvent exister en termes de niveaux mesurés des coûts français et allemands, la divergence dans les rythmes de progression au cours de la dernière décennie est confirmée par l’ensemble des données.

Le coût horaire du travail dans l’industrie manufacturière en France a progressé de 10 % de plus que le coût allemand dans la première partie de la décennie. La tendance s’est prolongée et amplifiée depuis. Le coût du travail dans l’industrie manufacturière, qui était inférieur de plus de 15 % au coût allemand en 2000, est aujourd’hui au même niveau, voire supérieur. Cette divergence résulte de politiques économiques diamétralement opposées menées dans les deux pays. L’Allemagne a mis en place des réformes profondes de son marché du travail et les partenaires sociaux se sont accordés pour une modération salariale au bénéfice de la compétitivité et de l’emploi. En France, la réduction uniforme de la durée du travail par la loi a abouti à une hausse des coûts horaires et limité les capacités d’adaptation des entreprises. La hausse relative des coûts salariaux a eu des conséquences fortes pour la compétitivité. Les produits français, qui présentent en moyenne des avantages hors prix moins forts que les produits allemands, ont perdu au cours des années récentes l’avantage comparatif de prix moins élevés. Il y a dix ans, les exportations françaises de marchandises représentaient 55 % des exportations allemandes. Elles n’en représentent plus que 40 % aujourd’hui. Les pertes de parts de marché se sont accompagnées d’une contraction de la base industrielle. La valeur ajoutée créée par l’industrie implantée sur le territoire français représentait 50 % de la valeur ajoutée créée sur le territoire allemand en 2000. Ce poids a diminué à 40 %. L’emploi industriel a diminué plus rapidement en France. Si cette situation devait perdurer, elle présenterait un risque pour la cohésion de la zone euro. Le niveau relatif élevé du coût du travail en France pose un réel problème.

Éric Heyer Directeur adjoint au département analyse et prévision de l’OFCE.

Cette notion de coût du travail, et donc sa mesure, est multiple et complexe. Si l’on procède à des comparaisons internationales, il est indispensable que celles-ci prennent en compte les différences en termes de durée du travail, de prix de production, de productivité et, enfin, de différentiels de taux de change : cela renvoie à la notion de coût salarial unitaire horaire en parité de pouvoir d’achat (CSU en PPA). Si nous voulons utiliser cette notion pour expliquer la compétitivité de nos entreprises, il est préférable de la calculer pour les seules entreprises soumises à la concurrence internationale, à savoir celles du secteur manufacturier. Si l’on se réfère à cette notion pour l’industrie manufacturière, la France ne connaît pas de réel problème de coût du travail : au cours de la période 2000-2008, en dépit de la forte appréciation de l’euro, elle a observé une progression modérée de son CSU en PPA (+ 6,4 %), grâce notamment à une bonne productivité et à une compression du taux de marge à l’exportation des entreprises françaises. Cette progression a été plus modérée que chez nos partenaires européens (30,1 % en Italie, 26 % en Espagne et 11,5 % au Royaume-Uni). Certes, l’Allemagne a connu dans le même temps une baisse de 5,1 %: celle-ci est due à une politique salariale très restrictive et à la mise en place d’une TVA sociale en 2007. Cette stratégie a asséché la demande intérieure et permis à l’économie allemande de gagner des parts de marché dans des pays proches d’elle structurellement et géographiquement, à savoir ses partenaires de la zone euro.

Mais cette vision macroéconomique ne rend pas compte de la dispersion des coûts du travail. Un pays peut ne pas avoir de problème de coût du travail moyen mais rencontrer des difficultés pour une partie des salaires. Or, si l’on peut considérer qu’il n’existe pas de problème de coût moyen du travail en France, il est possible d’en observer un en étudiant le coût du salaire minimum comparativement à d’autres pays avec lesquels notre appareil productif est en concurrence directe. Cette notion moyenne lisse les disparités qui peuvent apparaître dans une analyse par classes d’âge. Le système de progression des salaires à l’ancienneté qui prévaut en France a fortement renchéri le coût du travail des seniors, qui ont vu leur rémunération progresser plus vite que leur productivité, freinant leur maintien en activité.

Hervé Boulhol Responsable du desk France à l’OCDE.

On évoque souvent le niveau du coût du travail pour expliquer les mauvaises performances des exportations françaises. Cependant, son évolution ne semble pas être la cause première du décrochage, même si la convergence des smics liée aux 35 heures a pu peser. En effet, la part du salaire dans la valeur ajoutée a été relativement stable depuis vingt ans : le salaire réel a suivi peu ou prou les évolutions de la productivité du travail. De fait, la compétitivité-coût ne s’est pas détériorée par rapport aux pays de la zone euro, à l’exception notable de l’Allemagne en raison de la modération salariale outre-Rhin peu probante dans ses effets sur le PIB par tête.

En revanche, en comparaison internationale, la France a un salaire minimum élevé, qui ne joue pas le rôle de salaire minimal permettant d’inclure plus largement dans l’emploi les travailleurs peu qualifiés et les jeunes ayant une faible productivité. La France est le pays de l’OCDE ayant le ratio de salaire minimum au salaire médian le plus élevé. Si le smic est un instrument qui limite les inégalités salariales des travailleurs à temps plein, il est peu efficace pour contenir les inégalités de revenus en raison de ses retombées sur le temps partiel subi et le chômage. Les politiques de soutien aux revenus du travail (RSA et prime pour l’emploi, PPE) permettent, quant à elles, de lutter contre la pauvreté de façon significative.

Compte tenu du poids des prélèvements sur le travail, des allégements ciblés de cotisations sont nécessaires pour minimiser l’impact du smic sur l’emploi, mais, malgré ces allégements, le coût du travail pour les bas salaires reste élevé. De plus, les conséquences de ces rigidités sont amplifiées par la globalisation. Un haut niveau de salaire minimum tend, par ailleurs, à limiter l’intérêt des négociations collectives, donc la qualité du dialogue social, et contribue à la faible syndicalisation des salariés français. Or la mauvaise représentativité des syndicats semble être un déterminant important du chômage. Enfin, la quasi-automaticité de la progression salariale liée à l’ancienneté peut nuire à l’emploi des seniors. Une réponse de politique économique judicieuse consiste à continuer de refuser les coups de pouce au niveau du smic, à mieux cibler le RSA et la PPE sur les travailleurs ayant de faibles revenus et à transférer une partie du financement de la protection sociale sur des bases moins nocives à l’emploi : la fiscalité sur l’environnement, la propriété et la consommation.