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La CMU vient chambouler le marché

Dossier | publié le : 01.05.2000 | F. C.

Branle-bas de combat dans la prévoyance santé. En cause : la « refondation sociale », la refonte du Code de la mutualité, mais aussi la mise en œuvre de la couverture maladie universelle. La redistribution des cartes est en cours au moment où s'ouvre un vaste champ de négociation dans les entreprises.

Des sous ! Le retour de la croissance et l'envolée des bénéfices des entreprises donnent du grain à moudre aux salariés pour réclamer leur part du gâteau. Mais l'absence d'inflation et l'entrée en vigueur des 35 heures incitent les employeurs à faire preuve de modération. Le recours à la rémunération globale constitue l'une des réponses possibles. Elle englobe deux formes de salaire « différé » : l'épargne salariale d'un côté, la prévoyance de l'autre. Or, dans le domaine de la prévoyance, les besoins sont immenses : « C'est bien simple, analyse un expert, plus les régimes obligatoires, en santé comme en vieillesse, se désengagent, plus il y a de place pour des produits complémentaires auxquels les salariés souscrivent sur une base individuelle ou collective. »

Sur le marché de la santé, le cloisonnement a longtemps été de rigueur. Trois types d'opérateurs se partageaient des clientèles bien définies. Les institutions de prévoyance ont décroché des contrats collectifs dans les entreprises. Les mutuelles, qui gèrent l'assurance maladie des fonctionnaires et des étudiants, ont engrangé des adhésions individuelles. Quant aux sociétés d'assurance, elles ont en fait très peu défriché le marché, en raison d'une fiscalité dissuasive : une taxe de 7 % qui ne s'applique pas à leurs concurrents.

Une première digue a sauté en 1985 quand le nouveau Code de la mutualité a autorisé les mutuelles à intervenir sur le segment de la protection collective. Réponse du berger à la bergère : en décembre 1989, la loi Évin a instauré un « droit de suite » pour les institutions de prévoyance leur permettant d'intervenir dans le champ de la protection individuelle. Dernier acte en 1994, avec la loi du 8 août qui a intégré les directives européennes sur l'assurance dans le Code de la Sécurité sociale et ouvert, de ce fait, le marché de l'assurance collective aux assureurs. Ainsi, en l'espace de dix ans, toutes les barrières se sont levées, déclenchant une vaste recomposition d'un secteur comprenant des milliers d'opérateurs.

Fini le dumping sur la prévoyance

Mais la redistribution des cartes est loin d'être terminée. Elle va même s'accélérer, refondation sociale oblige. Le grand round de négociations entre les partenaires sociaux, qui va s'étaler sur toute l'année 2000, aborde le dossier épineux des régimes complémentaires de retraite. Patronat et organisations syndicales ont en effet inclus un chapitre sur les « regroupements ». Un terme vague à souhait. Pour les gestionnaires des caisses Agirc et Arrco le sujet n'est pas vraiment nouveau. Le principe est inscrit dans la loi du 8 août 1994, puis dans les accords Agirc-Arrco du 25 avril 1996. L'idée est de permettre aux caisses de se rapprocher, mais en prenant soin de distinguer les activités non lucratives, comme la retraite, des activités lucratives, et en premier lieu la prévoyance. En clair, la bonne vieille technique des vases communicants qui permettait de faire du dumping sur la prévoyance avec les excédents des caisses de retraite est proscrite.

Pour que les choses soient encore plus nettes, le Medef souhaite aujourd'hui, comme l'explique Roger-Pol Cottereau, nouveau président CFTC du groupe Mornay, « passer d'une séparation comptable à une séparation de corps ». L'opération n'est pas sans arrière-pensées. Dans la perspective, esquissée par le patronat, de mise en place d'un grand régime de base par points, il s'agirait de faire basculer l'Agirc et l'Arrco, autrement dit la retraite complémentaire des cadres et des non-cadres, dans le camp de la Sécurité sociale et de faire passer la prévoyance dans celui des assureurs. Ces transferts ne sont pas dénués d'une certaine logique. Depuis le 1er janvier 2000, les régimes Agirc-Arrco sont rattachés au règlement 1408 de Bruxelles, donc considérés comme une « Sécurité sociale bis », alors que les institutions de prévoyance se voient appliquer les troisièmes directives européennes sur les assurances. Inutile de dire que cette sorte de Yalta ferait l'affaire des sociétés d'assurance.

Au cours des dernières années, en effet, les institutions de prévoyance ont pris des parts de marché dans le secteur de la prévoyance collective, au nez et à la barbe des autres opérateurs. Les compagnies, qui traversent une mauvaise passe dans l'assurance dommage et l'assurance des personnes, à l'exception notable de l'assurance vie, espèrent ainsi profiter de cette nouvelle répartition des rôles pour prendre pied sur le terrain de l'assurance santé. Les institutions de prévoyance se laisseront-elles faire ? Comme en témoignent les difficultés rencontrées par les présidents réputés les plus attachés au paritarisme, à l'image d'Yves Michelon, à l'Isica, ou de Georges Hollier, du groupe Agrira, les institutions sont actuellement plutôt en délicatesse avec le Medef. L'organisation patronale leur refuse notamment de négocier sur la réduction du temps de travail, mais ne se presse pas, de son côté, de conclure un accord 35 heures au niveau de la branche… Patron du groupe Apri, Jacques Nozach a retenu la leçon en mettant en sommeil les discussions sur la réduction du temps de travail engagées avec les syndicats.

La CMU, un sacré « booster »

La nouvelle redistribution en cours entre les opérateurs n'est pas le seul facteur de changement. Le paysage de la prévoyance santé est également bouleversé par la mise en œuvre de la couverture maladie universelle. D'abord, parce que la CMU a brisé un tabou en permettant à l'assurance maladie d'intervenir dans le champ de la complémentaire santé. Ensuite, parce que la prévoyance collective santé va s'imposer à tous les salariés. Comme l'explique Philippe Georges, sous-directeur de l'accès aux soins à la Direction de la Sécurité sociale, « il sera difficile de laisser à l'écart une catégorie de salariés qui n'aurait droit ni à la protection sociale d'entreprise ni à la CMU ». En d'autres termes, on assiste à l'amorce d'un deuxième étage d'assurance santé obligatoire, le premier étant l'assurance maladie. Pour Roger Tranchinsu, de Macif Prévoyance collective, la loi du 27 juillet 1999 créant la CMU va considérablement modifier la donne au sein des entreprises dans les deux à trois années à venir.

L'article 21 de la loi institue ainsi une obligation annuelle de négocier sur la prévoyance maladie dans les entreprises non couvertes par un accord de branche ou d'entreprise. Quant à l'article 22, il fait entrer une 14e disposition obligatoire dans une convention de branche pour permettre à cette dernière d'être étendue. Même si l'obligation de négocier n'est assortie d'aucune obligation de résultat, il va de soi qu'un champ immense s'ouvre à la complémentaire santé. Selon la dernière enquête Dafsa, 40 % des salariés seulement sont actuellement couverts par de tels accords. L'analyse des 500 conventions collectives existantes est très révélatrice : seules les branches où figurent de grandes entreprises sont concernées par un accord sur la complémentaire santé. Les garanties sont généralement limitées à la chirurgie et à l'hospitalisation. Et la participation patronale est, la plupart du temps, de 50 % (voir tableau page 88). Scénario le plus probable, les PME, qui ne sont pas toujours outillées pour négocier ce type d'accord, vont vraisemblablement attendre les conventions de branche ad hoc, qui, d'après les spécialistes, ne seront pas conclues, dans le meilleur des cas, avant deux ans. Quant aux grandes entreprises, elles devraient procéder à des adaptations des contrats existants.

Mais tout cela coûtera très cher. Actuellement, les employeurs ont pour seule obligation de cotiser à hauteur de 1,50 % du salaire limité à la tranche A pour les cadres. Les régimes de prévoyance sont nettement moins répandus pour les non-cadres et représentent rarement plus de 1 % du salaire brut, soit en moyenne 1 000 francs par salarié. « Quand un régime de prévoyance qui coûte environ 1 000 francs a du mal à se mettre en place, quid d'un régime maladie, disons du niveau de la CMU complémentaire, qui coûte un peu plus de 1 500 francs pour couvrir juste le salarié et non sa famille ? » interroge Roger Tranchinsu. Mais ce responsable de Macif Prévoyance collective fait également le constat que la nouvelle obligation créée par la CMU « tombe à pic » : « Le blocage fréquent des salaires dans les accords de réduction du temps de travail ne pourra-t-il pas trouver une certaine respiration grâce à l'introduction d'un régime de prévoyance maladie à adhésion obligatoire bénéficiant pour cette raison de l'optimisation sociale et fiscale au profit des salariés et des employeurs ? »

Les petites mutuelles en danger

À qui va profiter l'obligation de négocier un accord santé d'entreprise ? Les couvertures maladie déjà en place dans les entreprises passent soit par des contrats collectifs à adhésion facultative, normalement gérés par le comité d'entreprise, soit par une série d'adhésions individuelles auprès d'un même organisme. Il y a donc tout lieu de penser que les institutions de prévoyance et les mutuelles d'entreprise resteront les mieux placées pour collecter les adhésions. À court terme, c'est-à-dire aussi longtemps que ces opérateurs bénéficieront de règles sociales et fiscales plus avantageuses que les compagnies d'assurances sur les produits santé. Or les jours sont aujourd'hui comptés pour ce régime de faveur. L'intégration des directives assurances dans le Code de la mutualité devrait logiquement s'accompagner d'une harmonisation fiscale d'ores et déjà ficelée par Bercy, voire d'une remise en question des clauses de désignation de l'opérateur régulièrement attaquées par les assureurs devant la Cour de justice des Communautés européennes – ces dispositions permettent en effet aux syndicats de privilégier les institutions de prévoyance dont elles sont cogestionnaires. En outre, si les grandes mutuelles d'entreprise ont les reins suffisamment solides et les compétences pour entrer dans le dispositif CMU et opérer des remboursements sur la base d'un panier de biens et services de qualité, des milliers de petites mutuelles ne pourront pas suivre, sauf à se regrouper pour mutualiser le risque.

Même si la CMU a un coût élevé pour les opérateurs (taxe de 1,75 % sur le chiffre d'affaires, forfait garanti de 1 500 francs par assuré, alors que des simulations font apparaître un coût notablement supérieur, remboursement à la Caisse nationale d'assurance maladie de 0,85 franc par malade au titre du tiers payant), elle n'en constitue pas moins un cheval de Troie pour les compagnies d'assurances sur le marché de la santé. Car si le ticket d'entrée est élevé, encore faut-il comparer son coût aux investissements colossaux consentis par les sociétés d'assurance pour se doter de réseaux de soins et mettre en place des plates-formes téléphoniques permettant de guider les assurés. « Cela coûte plusieurs dizaines de millions de francs », explique-t-on pudiquement chez Groupama. Les Mutuelles Mieux-Être, qui se sont adossées à France Secours et qui rapprochent aujourd'hui leurs activités mutualistes de celles du groupe Médéric, ne sont pas plus précises.

Ce dernier exemple permet d'entrevoir ce que pourrait être demain le paysage de la prévoyance santé. D'un côté, des compagnies d'assurances disposant déjà de la surface financière suffisante pour conquérir des parts de marché. L'agressivité d'Axa proposant aux radiologues libéraux un conventionnement privé en dit long sur les ambitions des assureurs. De l'autre, quelques groupes de prévoyance – une douzaine, tout au plus – conservant des liens étroits avec des mutuelles, voire des assurances à forme mutuelle. Coïncidence ? C'est précisément ce schéma qui semble inspirer aujourd'hui les promoteurs de cette « maison de l'assurance » (Réunion des organismes d'assurance mutuelle, Groupement des sociétés d'assurance à caractère mutuel, Fédération nationale de la mutualité française…) dans laquelle cohabiteront toutes les familles d'assureurs se réclamant de l'esprit mutualiste, par opposition aux sociétés privées.

Complémentaires santé : des coûts non négligeables

Auteur

  • F. C.