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Vie des entreprises

Les cadres chinois rechignent à s’expatrier

Vie des entreprises | Reportage | publié le : 01.05.2011 | Émilie Torgemen

Qu’ils vendent leurs produits à travers le monde ou qu’ils aient acquis des entreprises étrangères, les groupes chinois ont besoin de cadres nationaux capables de travailler à l’étranger. Mais leurs talents hésitent à partir.

Le Shanghaien Qian Yun est désormais en poste à Créteil, au siège de la filiale française de Mindray, depuis que ce géant chinois du matériel médical a racheté, en 2008, une branche de l’américain Datascope. C’est le nouveau visage de la mondialisation pour les cadres de la République populaire. Selon le ministère chinois du Commerce, 532 000 nationaux travaillaient à l’étranger en 2009 pour des entreprises chinoises. Au fur et à mesure que les champions nationaux s’internationalisent, trouver des expatriés devient un nouveau défi.

Chez Mindray France, Qian Yun est le seul Chinois. Chargé de la communication, il assure la fonction délicate d’intermédiaire entre le siège de Shenzhen et les équipes locales. « Ce n’est pas toujours facile, compte tenu de la distance géographique et culturelle, explique-t-il. Je dois faire comprendre au siège qu’en France les acheteurs sont plus conservateurs qu’en Chine et qu’il faut du temps avant de faire accepter de nouveaux produits. » Perle rare, cet ancien médecin, qui a étudié à l’EM Lyon, a accepté un contrat sans aucun des avantages liés au statut d’expatrié. Mais il aime le mode de vie français.

Choc des cultures. « Pour les talents chinois, l’expatriation n’est pas le meilleur choix de carrière. La Chine est aujourd’hui le marché le plus dynamique », note Charles-Édouard Bouée, président Asie de Roland Berger. À Créteil, Qian Yun progresse moins vite que ses collègues qui travaillent près du grand patron. « Vos voisins comptent plus que votre famille installée au loin », dit-on en mandarin, l’équivalent de notre « loin des yeux, loin du cœur ».

Pourtant les postes à l’étranger sont exigeants. « La langue est la première barrière, les expatriés doivent aussi comprendre l’environnement économique, représenter la culture de leur propre entreprise et gérer les différences interculturelles », énumère Arthur Cheung, professeur de management à la China Europe International Business School de Shanghai. Le choc des cultures est en partie ce qui a expliqué le fiasco du mariage entre le chinois TCL et le français Thomson. Arthur Cheung rapporte que Li Dongsheng, alors P-DG de la coentreprise, de passage à Paris, a voulu organiser une réunion à 18 heures, sans réussir à joindre aucun de ses managers. Impensable !

Pas d’opportunité de carrière à long terme. Les entreprises chinoises de télécoms ou du bâtiment résolvent la question du management interculturel en important en bloc leur modèle et leurs employés, particulièrement dans les pays en voie de développement. Wu Le a ainsi commencé sa carrière comme interprète en Algérie pour la société de construction étatique CSCEC avec un salaire de 1 750 euros par mois, le double de ce qu’elle aurait perçu en Chine. À l’exception des 20 % de staff algérien imposés par la loi, le personnel administratif comme l’armée d’ouvriers mobilisée pour construire des routes, des aéroports, etc., venaient tous de Chine. « Sur notre base vie, tout était payé par l’entreprise : le logement, la lessive…, nous avions même un potager pour cultiver des légumes chinois », se rappelle Wu Le. Avec leurs bonus, ces grandes entreprises attirent les jeunes diplômés, mais elles n’offrent pas d’opportunités de carrière à long terme en Chine.

La société Midea, dont les appareils d’électroménager et les climatiseurs sont vendus dans le monde entier, a poussé la logique plus loin en établissant deux unités distinctes : domestique et internationale. « Nos expatriés font en général toute leur carrière dans l’unité internationale, ils ont développé des compétences particulières et ne veulent pas changer », note Chen Hailong, directeur air conditionné à l’international. Qu’importe si les postes au siège sont rares pour les anciens expatriés.

D’autres géants chinois choisissent de localiser leurs équipes. C’est le cas de la société de panneaux solaires Trina, qui recrute localement, y compris pour les postes clés. Dans la mesure où, hors de Chine, l’entreprise recherche surtout des commerciaux, elle a besoin d’employés qui maîtrisent la langue et l’environnement commercial. « Nous ne nous positionnons pas comme une entreprise chinoise mais comme une entreprise globale qui a ses racines en Chine », souligne Stephanie Yang Shao, DRH de Trina. Les salariés étrangers de Trina suivent des leçons de chinois et vont aussi souvent que possible au siège à Changzhou, près de Shanghai.

En Europe ou aux États-Unis, les expatriés chinois témoignent qu’il est souvent difficile de s’imposer auprès des équipes locales, les stéréotypes jouant en leur défaveur. Charles-Édouard Bouée relativise : « C’est le serpent qui se mord la queue, dans la mesure où les entreprises chinoises n’arrivent pas à envoyer leurs meilleurs éléments à l’étranger, la réputation des managers chinois reste à faire. »

La tribu des fourmis

A « l’hôtel des cols blancs » de Shanghai, des centaines de jeunes diplômés s’entassent dans des pièces minuscules en attendant de trouver l’opportunité qui ne vient pas. « Toutes ces années passées dans les amphithéâtres n’étaient qu’une perte de temps ! » lâche Zou Zhiqiang, diplômé de l’université de Jiujiang, à 700 kilomètres au sud de Shanghai. Son camarade Chen Xin, perché sur un lit superposé, explique que leur université leur a trouvé un « job » dans une agence immobilière pour 190 euros par mois, une misère. Ils ont quitté l’entreprise et vivent depuis un mois dans le dortoir qu’ils partagent à six, sans grand espoir. Une cravate et un costume pendent au-dessus de restes de repas.

En Chine, cette population précaire de diplômés sans emploi grandit. Ils seraient 100 000 à Pékin. On les appelle « la tribu des fourmis ». En 1998, quand Jiang Zemin, alors président, avait annoncé un plan pour renforcer l’éducation supérieure, 830 000 diplômés sortaient chaque année des universités chinoises. En mai dernier, plus de 6 millions de jeunes Chinois sont arrivés sur le marché du travail avec un diplôme supérieur en poche. C’est une réussite remarquable pour le gouvernement mais une source d’inquiétude aussi. L’économie chinoise ne génère pas assez d’emplois qualifiés pour absorber le flux de jeunes adultes éduqués.

Dans l’usine du monde, les minggong, paysans sans éducation qui affluent en masse dans les villes pour travailler à la chaîne, sont davantage recherchés. Dans la province méridionale du Guangdong, par exemple, leur salaire a doublé en deux ans, dépassant celui des cols blancs. Les « fourmis » comme Chen Xin portent les attentes de leurs parents qui ont vidé leur compte en banque pour leur offrir la belle vie que des études supérieures sont censées leur procurer. La pression est d’autant plus forte que, en Chine, en l’absence de système de retraite efficace, le sort des parents repose sur la réussite de leurs enfants.

Auteur

  • Émilie Torgemen