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Vie des entreprises

Le textile choletais, une affaire de femmes

Vie des entreprises | Reportage | publié le : 04.06.2012 | Adeline Farge

Dans ce berceau de la confection et du made in France, des petites mains se lancent dans la création ou la reprise d’entreprise. Avec un souci : préserver les savoir-faire et les emplois.

Dans le bureau encombré de modèles, Danielle Simonneau et Annie Pillet sont émues quand elles évoquent l’aventure qui les a conduites à ouvrir leur atelier de confection, à Nuaillé, à 7 kilomètres de Cholet, dans le Maine-et-Loire. Rien ne les prédestinait à devenir un jour « patronnes ». Originaire des environs, Danielle avait promis à son père de ne rester que six mois dans l’usine locale New Man, spécialisée dans le sportswear : « J’ai commencé à travailler dans la manutention à 16 ans. De fil en aiguille, j’ai terminé responsable administrative. » Aussi, à l’annonce de la fermeture de New Man en 2007, cette brune à fines lunettes accuse le coup. Après sept mois de recherches infructueuses, la quinquagénaire envisage de suivre une formation dans le tourisme. Mais Annie, blonde coupe au carré, vient la chercher avec une idée en tête : racheter un atelier. « Elle ne voulait pas s’installer toute seule. Elle est venue me dire que c’était avec moi ou rien. Je n’en revenais pas. Je ne sais même pas me servir d’une machine à coudre, s’amuse-t-elle. J’en suis arrivée à la conclusion que si New Man nous aidait, c’était possible », confie Danielle.

Banco ! Leur patron les encourage dans leur projet en leur vendant du matériel pour un prix symbolique et les remercie quand elles sont prêtes à prendre leur envol. Des 80 salariés licenciés par New Man, 5 sont embauchés. En juin 2008, AD Confection ouvre ses portes. Danielle se charge de la gestion et Annie de la production. Quatre ans après, les tables, armoires et machines à coudre récupérées chez New Man sont toujours là. Bien qu’elles gagnent près de 400 euros de moins par mois pour beaucoup plus d’heures de travail, elles sont fières de pouvoir faire vivre leurs 10 « filles ».

La chemise citoyenne

En 2009, elles ont été lâchées du jour au lendemain par leur principal client. « Ils ont décidé de diminuer la production en France. Pour les entreprises, nos produits sont trop chers », déplore Danielle. Ici, les ouvrières touchent un peu plus du smic. Lassées de travailler pour des grandes marques, comme Catimini, Kenzo et IKKS, qui leur donnent du travail selon leur bon vouloir, Annie et Danielle diversifient leur activité. Dans le petit atelier, les mécaniciennes s’affairent sur des vestes pour les Maîtres bouchers du terroir. Certains jours, elles habillent des seaux à champagne pour le Festival de Cannes. Et pour préserver les emplois, AD Confection a trouvé la parade : la chemise citoyenne, fabriquée pendant les creux d’activité. Vendu 60 euros pièce par Internet et sur les marchés de Noël, « ce produit coup de cœur nous permet d’éviter le chômage partiel », précise Danielle.

AD Confection n’est qu’un exemple parmi d’autres du dynamisme du Choletais qui attire, grâce à la qualité de ses façonniers et de ses créateurs, nombre de maisons de haute couture. Les leaders de la mode enfantine, tels que le Groupe Salmon Arc en Ciel ou Children Worldwide Fashion, ou encore des entreprises de fabrication de vêtements professionnels, comme Mulliez-Flory, se sont installés dans ce berceau du textile. « Le secteur prévoit de recruter 200 ouvrières de confection en 2012 en raison des départs à la retraite », se réjouit Laurent Vandenbor, responsable d’Opcalia Ouest-Atlantique et délégué général de l’organisation professionnelle Mode Grand Ouest (voir encadré page 46). Selon lui, le textile-habillement représente, dans le Choletais, près de 12 000 emplois pour 450 entreprises. Et, tous secteurs confondus, le chômage plafonne à 5,6 %.

Micro-usines et sous-traitance

Et cela dure depuis le XIXe siècle. Historienne de la mode, Aude Leguennec rappelle que le Choletais s’est positionné dans le textile et la mode après les guerres de Vendée. « Des entrepreneurs y ont investi les bourses versées par l’État pour la reconstruction. Ils ont ainsi développé des micro-usines et des activités de sous-traitance dans les campagnes pour nourrir les autres industries, indique l’enseignante. Dans les années 60, le territoire s’est orienté vers la confection, en particulier dans la mode enfantine. » Comme ce travail pouvait être apporté à la maison, pour le repassage, la broderie et la layette, le textile est devenu une affaire de femmes.

À La Ferrière, au nord de La Roche-sur-Yon (Vendée), Françoise Piou, 42 ans, représente bien la nouvelle génération d’entrepreneuses. « Comme je suis née à Cholet, j’ai une vocation pour la mode. Petite fille, je piquais des bouts de tissus pour coudre des vêtements pour mes poupées et j’étais jalouse de ma sœur qui était en CAP. » Diplômée du lycée de la mode et de l’Institut Colbert de Cholet, elle entre chez le maroquinier Gérard Hénon puis rejoint Les Ateliers modèles, sous-traitants de Baby Dior. Des postes de responsable de la négociation et de la production qui l’amènent à séjourner en Europe de l’Est et en Asie. Après onze ans en Thaïlande, elle aspire à un retour aux sources. « Mes parents sont exploitants agricoles. Devenir chef d’entreprise faisait partie de la trajectoire, et petite fille j’en rêvais. »

Grâce à l’Association nationale pour la transmission d’entreprise, Françoise Piou rencontre le propriétaire d’un atelier spécialisé dans le pantalon de luxe qui cherche à céder son affaire. En décembre 2011, La Ferrière Couture démarre avec 35 salariés et 5 clients haut de gamme, tels qu’Agnès B. Bien que la peur de perdre un client la tenaille toujours, Françoise Piou reste sereine : « Mes onze années chez Dior sont une vraie carte de visite. Les marques de luxe sont à 80 % françaises et je fais partie du même monde. »

Transformation du management

Dès son arrivée, le changement de génération s’est traduit par une transformation en profondeur des modes de management dans cet atelier où les salariés maintiennent une certaine distance et où le vouvoiement est de rigueur. « Le style de management datait des années 70 et était très sévère. J’ai une vraie connaissance du métier, je suis donc plus proche de mes salariées et je comprends ce qu’elles font. » Refonte du planning, modernisation de la communication, modulation du temps de travail, rien n’échappe à sa vigilance. « Le programme de formation sera renforcé en 2012. J’ai remis à jour l’entreprise, notamment avec la révision du système de primes, qui était vieillot, et la gestion du temps de travail », note Françoise Piou.

Textile du Maine a instauré des groupes autonomes capables de réaliser des pièces entières

À Cholet, dans son bureau de Mode Grand Ouest, Laurent Vandenbor reconnaît à ces dirigeantes un management plus participatif, où le dialogue a davantage sa place. « Le rapport femmes-femmes est plus simple que celui femmes-hommes. Avoir exercé le métier permet de parler le même langage. » Des actions de formation régulières et une organisation fonctionnelle sont une autre caractéristique partagée de ces PME. « Avant, beaucoup de femmes prenaient la direction à la suite du décès de leur conjoint. Aujourd’hui, elles montent directement aux affaires en reprenant des entreprises. Pour s’élever à un tel niveau de responsabilités, elles sont des bagarreuses », poursuit Laurent Vandenbor.

La pionnière s’appelle Sylvie Chailloux. Malgré la crise de la filière, elle s’est lancée, en 1984, à l’âge de 26 ans, dans la création d’une entreprise avec 5 000 francs – empruntés - en poche. Cette titulaire d’un BEP de comptabilité venait de passer dix ans dans une société d’habillement comme assistante de direction mais a fini par se détourner des chiffres pour se passionner pour la production. « Je n’avais pas de fonds propres et je n’ai acheté que des machines d’occasion », précise cette façonnière.

Textile du Maine recrute alors sept salariés et travaille pour un unique client, la société Jean Leduc, spécialisée dans le survêtement. Depuis, Sylvie Chailloux a embauché une vingtaine de personnes et travaille pour une dizaine de maisons de haute couture, en résistant avec acharnement aux délocalisations. Quand Phildar, Kookaï ou Kiabi, qui lui commandent de grandes séries, choisissent d’autres moyens de production, elle commence à travailler pour les créateurs parisiens puis se réoriente vers le luxe, le pré carré du made in France. Elle réorganise l’atelier en développant la polyvalence des ouvrières et instaure des groupes autonomes de quatre personnes capables de réaliser des pièces entières. « Pour préserver les emplois, on s’adapte aux demandes du marché, justifie-t-elle. On est en perpétuel changement et, avec les filles, on se forme en permanence. » Mais elle a dû aussi délocaliser une partie de ses activités au Maroc pendant cinq ans. Et elle a ouvert un bureau d’études : « On n’est plus seulement des façonniers, on participe à la création. »

En 2008, crise oblige, elle s’est retrouvée dans l’obligation de licencier. « Je ne voyais pas le bout du tunnel. Pour le chef d’entreprise, c’est un aveu d’impuissance », confesse-t-elle. Pourtant, elle ne regrette pas ses prises de risque. Les années de galère n’ont pas refroidi son fils, qui a décidé de prendre la relève. « La transmission rassure le personnel, mais je continuerai de m’investir dans les associations des façonniers de la région. » Pour passer le flambeau à d’autres futures dirigeantes.

450

C’est le nombre d’entreprises du textile-habillement dans le Choletais. Elles emploient près de 12 000 personnes.

Source : Mode Grand Ouest.

Made in Choletais

Face aux délocalisations amorcées dès les années 80 au Maghreb, en Asie et en Europe de l’Est, façonniers et créateurs sont condamnés à l’excellence. Qualité et réactivité sont leurs armes pour préserver leur troisième place sur le podium européen de l’industrie du textile et de l’habillement. Laurent Vandenbor a donc fait du made in France son cheval de bataille. Mode Grand Ouest, dont il est le délégué général, promeut le Choletais et soutient les entreprises dans l’innovation. « Il faut préserver les savoir-faire et rendre visibles les talents français. La main-d’œuvre est le nerf de la guerre », assène-t-il. Pour se recentrer sur le haut de gamme, le niveau de qualification des sous-traitants s’est accru. Des licences professionnelles ont été créées. « Avant, il suffisait d’un CAP ou d’un BEP, mais les métiers à faible qualification ont été délocalisés », note Françoise Tricoire, responsable de formation au campus de Cholet. Les rémunérations, elles, sont rarement à la hauteur de ces métiers à forte valeur ajoutée. Les coûts de production ne représentent pourtant que 5 à 10 % de la valeur finale du produit. Aux yeux de ces professionnels, pouvoirs publics et entreprises rechignent à investir en France. Alors la façonnière Sylvie Chailloux s’en remet aux consommateurs, qui « devraient imaginer les conditions de travail en Asie lors de leur passage en caisse ».

Auteur

  • Adeline Farge